Quelles questions se poser avant d’utiliser ou non l’intelligence artificielle générative dans les ressources humaines ? Quels potentiels et risques ? Nous avons interrogé Cédric Routaboul, directeur général du cabinet de recrutement informatique Link Consulting, et Julien Matsis, directeur général de Tellent France, éditeur d’une suite de gestion des talents.
Solutions Numériques : quelles sont les questions préalables à se poser si l’on souhaite intégrer l’IA générative à ses processus ?
Cédric Routaboul : Comment on gère l’IA générative ? Quelles données l’alimentent ? Comment fonctionne l’algorithme ? Il faut être particulièrement vigilant dans la rédaction des prompts pour éviter les biais et les erreurs.
Julien Matsis : Il faut d’abord comprendre où se situe le ROI de l’IA et maîtriser la technologie avant de se laisser embarquer par le buzz de l’IA générative. Chez Tellent, nous ne sautons pas à pieds joints dans l’IA générative. Nous sommes vigilants sur le fait que nos collaborateurs, employés d’une société technologique, comprennent les possibilités de l’IA générative et à quoi elle sert dans notre travail, quel que soit le département : juridique, produit…
Attention, au niveau des ressources humaines, il y a des biais, notamment des biais de genre, qui peuvent être générés par les algorithmes d’IA. Mais en les éduquant, demain les algorithmes pourront s’améliorer. Néanmoins, l’IA ne va pas remplacer la réflexion de l’être humain.
Pourquoi utiliser l’intelligence artificielle générative dans les ressources humaines ?
Julien Matsis : Notre approche est mesurée. Les RH ne vont pas être remplacées par l’IA générative. Mais celle-ci représente un potentiel pour les aider et augmenter leur impact. L’IA générative s’avère utile pour les tâches répétitives ou chronophages, telles la saisie de données, la compilation d’un grand volume de données.
Cédric Routaboul : L’IA générative fait gagner en productivité dans l’exécution de certaines tâches dans le processus de recrutement : l’aide à la rédaction d’annonces, l’aide à la rédaction de questionnaires d’évaluation des compétences.
« On aura toujours besoin de l’humain dans le recrutement », Cédric Routaboul
Quels sont les usages de l’intelligence artificielle générative dans le recrutement ?
Julien Matsis : L’IA générative peut servir dans le recrutement en réalisant le modèle de départ d’une offre d’emploi, soit environ 80 % du travail à effectuer. Mais le reste du travail sur l’offre est crucial : il s’agit de faire ressortir les spécificités de l’entreprise, mettre en valeur sa marque employeur. Et dans la tech, les professionnels sont sursollicités et ne lisent guère les offres d’emploi…
Nos clients demandent d’utiliser l’IA pour le tri des CV. Nous ne le faisons pas. Mais nous travaillons avec l’IA pour reconnaître ce qui engendre des biais. Ainsi, nous allons rendre les CV anonymes grâce à l’IA dans une nouvelle fonctionnalité qui sortira cette année.
“Nous travaillons avec l’IA pour reconnaître ce qui engendre des biais”, Julien Matsis
Cédric Routaboul : On aura toujours besoin de l’humain dans le recrutement. Je pense que l’IA générative n’est pas utile dans la présélection et la sélection de candidats. C’est d’autant plus vrai dans le secteur tech en tension. De plus, l’algorithme formé sur des CV masculins car ils sont nombreux dans le domaine tech, peut générer des biais de genre.
C’est notre client qui maîtrise son environnement et qui sait si les compétences du candidat sont adaptées à celui-ci. C’est ce que nous déterminons avec lui au préalable. Nous évitons les zones d’ombre dans l’environnement de travail pour être transparent avec le candidat et être sûr que cela peut lui convenir en termes de poste, de projet à mener, de localisation. C’est le succès du recrutement.
Or l’intelligence artificielle a du mal à traiter les nuances et les spécificités d’un profil hors des compétences pures et dures. Par exemple, comment va-t-elle juger le niveau d’une personne ? Saura-t-elle que les profils issus de l’école 42 sont cotés même s’il n’y a pas de diplôme bac+5 ? Quid des personnes en reconversion ?
Nos ingénieurs d’affaires IT regardent le parcours, la formation de reconversion suivie… et passent un coup de téléphone au candidat pour valider leur choix. Ensuite, la sélection peut être chronophage avant de présenter un panel de candidats à l’entreprise cliente. L’ingénieur d’affaires écoute le candidat, ses aspirations, par exemple de quitter le monde des grands groupes, apprécie son parcours de vie, sa mobilité géographique. Ce dernier point est particulièrement important pour les postes dans les villes moyennes ! Il évalue aussi les soft skills en posant des questions sur ses expériences passées : comment le candidat s’en est par exemple sorti face à des difficultés ? l’essentiel est de ne pas rater une personne pertinente pour un client.
Ainsi, notre base de données n’est pas alimentée par l’IA générative. Charger un CV et ses données sensibles dans un moteur d’IA générative opaque nous pose des soucis de confidentialité.
Nos clients veulent avant tout une sélection qualifiée, parfois avec des profils hors des sentiers battus. L’utilisation de l’IA générative n’est pas leur souci premier.
Quelles fonctionnalités peuvent faire gagner du temps au personnel RH ?
Julien Matsis : Dans notre suite de gestion des talents à destination des PME, nous avons introduit les premières fonctionnalités intégrant l’IA générative en 2023, en nous appuyant sur OpenAI. La première est l’aide à la rédaction de fiches de poste. Nous proposons également l’aide à la rédaction des questions pertinentes pour les campagnes d’entretiens. Nous offrons déjà des modèles, nous travaillons à aller plus loin dans la reformulation.
En outre, nous travaillons à un chatbot qui aidera les collaborateurs d’une entreprise sur des questions qui reviennent régulièrement, par exemple comment fonctionne la procédure pour poser ses congés. Cela va libérer du temps dans le service concerné par les demandes.