Une bonne partie de l’économie repose aujourd’hui sur le numérique et cela ira grandissant. De même que son poids écologique, via les datacenters, les terminaux et les réseaux. Les acteurs du secteur commencent à se mobiliser. Un point d’étape non exhaustif.
Bonne nouvelle, la crise sanitaire, et ses conséquences sur l’activité économique et les voyages, ont provoqué une baisse sans précédent des émissions de CO2 dans le monde, de 6,5 % sur la période du 1er janvier au 31 août 2020, selon Carbon Monitor. En France, cette collaboration scientifique internationale, co-coordonnée par le LSCE (CEA-CNRS-UVSQ), estime la chute des émissions à 11,6 %.
Mauvaise nouvelle, cette baisse, temporaire, ne résout pas le problème de fond : celui d’un réchauffement climatique global dû à une concentration de gaz à effet de serre en constante progression.
Le poids écologique du numérique
Que vient faire le numérique là-dedans ? Ce secteur serait responsable de 3,7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il serait à l’origine également de 4,2 % de la consommation mondiale d’énergie primaire, selon un rapport présenté par une mission d’information du Sénat à la fin juin et qui s’appuie sur des études de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), de l’Insee et du The Shift Project, un think tank qui œuvre en faveur “d’une économie libérée de la contrainte carbone”. La fabrication et l’utilisation des terminaux, des datacenters et des réseaux ont une part très importante sur cette empreinte (44 %).
En France, le numérique représentait 2 % du total des émissions en 2019. Et la forte augmentation des usages laisserait présager une hausse de 60 % d’ici à 2040. « Si l’on veut être sérieux avec les objectifs de transition énergétique, il est indispensable de prendre en compte l’impact du numérique, qui est en croissance exponentielle », affirme Matthieu Auzanneau, directeur général, The Shift Project. La crise sanitaire, le confinement et sa conséquence de marche forcée vers une transition numérique, la croissance des objets connectés et la 5G à venir l’accélèreront d’autant.
On dématérialise pour plus de matière
Il existe bien une empreinte climatique du numérique et de ses nuisances que l’on ignore trop souvent encore. L’Ademe chiffre qu’en 2019 les émissions de gaz à effet de serre par le numérique ont été générées par les datacenters à 25 %, les infrastructures réseau à 28 % et par les équipements des consommateurs (ordinateurs, smartphones, tablettes, objets connectés, etc.) à 47 %. L’Ademe fait remarquer : « Paradoxalement, plus on dématérialise, plus on utilise de matières. Plus on miniaturise et complexifie les composants, plus on alourdit leur impact sur l’environnement. La production de composants complexes exige beaucoup d’énergie, des traitements chimiques et des métaux rares : le tantale, par exemple, indispensable aux téléphones portables ; ou l’indium, indispensable aux écrans plats LCD. Les fabricants sont en train d’épuiser ces minerais précieux à un rythme inégalé ».
Terminaux, datacenters et réseaux
L’Ademe chiffre qu’en moyenne il faut mobiliser de 50 à 350 fois leur poids en matières pour produire des appareils électriques à forte composante électronique, soit par exemple 800 kg pour un ordinateur portable. La seconde vie des ordinateurs, smartphones et autres tablettes est une évidence à mettre en place. Tout comme il est évident qu’il faille opter quand c’est possible pour des matériels d’occasion pour s’équiper (lire notre encadré sur les smartphones de seconde main).
Il faut compter également le poids de la consommation électrique, loin d’être issue d’une énergie verte. Une box Internet (Internet + TV) consomme de 150 à 300 kWh par an, comme un grand réfrigérateur pour vous faire une idée. L’ordinateur portable, utilisé pour le télétravail à la maison, ou en entreprise, c’est de 30 à 100 kWh/an. D’ailleurs, les technologies numériques représentent le second poste de consommation électrique à la maison. C’est le premier en entreprise.
Pour échanger des documents, faire des visioconférences, envoyer des mails à des collègues, stocker des données, réaliser des campagnes emailing, surfer sur Internet, vendre en ligne… il faut bien des terminaux, des câbles, des routeurs, des unités de stockage, des serveurs… et des datacenters. Alors que nous sommes de plus en plus nombreux sur Terre à utiliser Internet, le poids écologique de nos pratiques, professionnelles comme personnelles, pèse de plus en plus lourd. A titre d’exemple, la vidéo en ligne représente 60 % des flux de données sur le Web dans le monde, indique The Shift Project. Chaque année, Elle émet 300 millions de tonnes de CO2 (autant que la pollution numérique de l’Espagne), d’autant que les datacenters utilisant des énergies fossiles (gaz et charbon) gonflent leur empreinte carbone.
Rendre les datacenters moins énergivores
D’ailleurs, la prise de conscience de l’ampleur des changements à opérer en matière de pratiques des datacenters pèche encore, même si des initiatives se multiplient. Ces centres de données, qui fonctionnent 24h sur 24 et 7j sur 7 pour stocker, traiter et organiser les données, nécessitent en effet beaucoup d’électricité pour fonctionner et être refroidis (jusqu’à 40 % de leur consommation électrique) afin d’éviter la surchauffe des composants IT.
Au niveau mondial, les experts estiment cette année leur consommation à 42 % de celle de la France. Les chiffres varient d’une étude à l’autre : on parle de 1 à 3 % de la demande en électricité mondiale actuellement, avec un triplement ou un quadruplement dans les 10 prochaines années. Dans tous les cas, il s’agit d’importants postes de dépenses pour les datacenters (leurs plus gros) qui voient donc aussi de plus en plus dans leur transition énergétique un moyen de faire des économies.
« Moins on consomme d’énergie, plus on va être rentable », souligne justement Albane Bruyas, COO de Scaleway, un fournisseur de Cloud qui propose à la fois de la colocation en datacenter et des serveurs dédiés. Un argument pour faire progresser les bonnes pratiques, qui se combine à une conscience plus aiguisée des citoyens et donc des salariés et entreprises clientes des datacenters, sur le sujet du réchauffement climatique.
Un refroidissement problématique
Pour diminuer leur impact énergétique, plusieurs pistes directes sont généralement suivies et/ou envisagées par certains acteurs des datacenters. Il s’agit d’abord de réduire la consommation électrique, avec des systèmes de refroidissement de l’air intérieur moins énergivores que la climatisation. Ainsi, une des particularités du datacenter Eolas (groupe Business & Decision) basé à Grenoble et inauguré en avril 2011, est d’utiliser la nappe phréatique, sur laquelle il est implanté, pour alimenter les climatiseurs des circuits de refroidissement de la salle blanche en “natural cooling”.
Comme dans la démarche “Zéro déchet”, qui veut que le meilleur déchet reste celui qu’on ne produit pas, ici, la meilleure consommation est celle qu’on ne consomme pas.
Scaleway, qui a 6 datacenters en Europe, dont 4 en France, se pose en héraut de ce principe. Selon lui, « la performance énergétique pousse les datacenters les plus efficients, salués par tout le marché, à des pratiques inavouables : l’utilisation inconsidérée de millions de mètres cubes d’eau et le gâchis de 30 à 40 % d’énergie, juste pour des besoins inutiles et évitables, rien que sur la climatisation. » L’entreprise s’engage sur la sobriété de l’utilisation en énergie et sur la haute efficience de ses infrastructures et se fixe un objectif ambitieux en PUE (Power Usage Effectiveness ou indicateur d’efficacité énergétique communément utilisé pour qualifier l’efficacité énergétique des datacenters, qui indique le ratio entre l’énergie totale consommée par le datacenter et l’énergie consommée par les équipements (serveurs). En plus de réduire à 1,3 l’indice des datacenters existants et avoir un PUE inférieur à 1,15 pour tous les nouveaux datacenters construits depuis 2018 (selon Uptime Institute le PUE moyen est de 1.58), Scaleway s’engage sur une consommation pondérée inférieure à 1.
Son datacenter parisien DC5 se veut le symbole de ces engagements avec une empreinte énergétique de 30 à 40 % inférieure à celle d’un datacenter traditionnel, grâce en particulier à la suppression de la climatisation, explique à Solutions Numériques Albane Bruyas, Il n’y a aucun processus consommant de l’énergie pour refroidir le datacenter, mais un système de free cooling dit adiabatique, « unique en Europe » qui va chercher l’air à l’extérieur du bâtiment et « refroidit les serveurs par évaporation d’eau »…
« Contrairement au marché, on ne refroidit pas à l’extrême », précise Albane Bruyas que nous interrogeons sur le sujet. Alors que les datacenters traditionnels ont une température autour de 20 degrés, les serveurs de Scaleway, qui sont « testés dans des conditions extrêmes, sont capables de supporter des températures plus élevées jusqu’à 30 ou 35 degrés ». « On refroidit ce qui est nécessaire, sans abus pour que le hardware fonctionne parfaitement bien. » Tous les nouveaux datacenters de Scaleway reposeront sur cette technologie, indique Albane Bruyas.
A ce type de dispositifs peuvent s’ajouter des outils utilisant dorénavant l’Intelligence Artificielle pour optimiser leur utilisation. Par exemple, pour la consommation des serveurs, Schneider Electric a lancé une nouvelle brique de DCIM intelligente (le DCIM permet d’orchestrer et monitorer les salles informatiques) pour sa suite EcoStruxure IT Advisor. Cette solution purement logicielle (DCIM AI) permet de monitorer les serveurs physiques par rapport aux machines virtuelles, pour faire simple, d’éteindre les serveurs physiques quand ils ne sont pas utilisés. « On a des gains énergétiques qui vont de 25 à 60 % chez nos clients qui la testent », soutient Damien Giroud, National Sales Director – Secure Power France chez Schneider Electric.
Deuxième enjeu pour les datacenters : s’approvisionner en électricité “verte” (barrages hydrauliques, sources photovoltaïque ou géothermiques, voire hydrogène, etc.).
Energie verte et réutilisation de l’énergie
Scaleway alimente ainsi l’ensemble de ses datacenters en énergie 100 % renouvelable, principalement hydraulique depuis 2017 par certificats d’origine. Mais il a pris aussi l’engagement de bannir les produits toxiques, à effet de serre et impactant la couche d’ozone, notamment certains gaz frigorigènes comme les hydrofluorocarbures (HFC). Fabrice Coquio, président d’Interxion, l’un des principaux fournisseurs de services de datacenters de colocation neutres vis-à-vis des opérateurs télécoms et des fournisseurs de Cloud en Europe, promet lui que « 100 % de la consommation » du nouveau campus de datacenters “Paris Digital Park” en cours de travaux à la Courneuve et qui comptera 4 000 mètres carrés de salles informatiques, « proviendra de l’énergie renouvelable ».
Autre piste, réutiliser l’énergie produite : par exemple, la chaleur dégagée par un datacenter sert à chauffer des bâtiments à proximité Ainsi, le campus de datacenters Paris Digital Park d’Interxion pourrait bientôt alimenter l’équivalent de 54 000 logements en chauffage et eau chaude.
On peut aussi “jouer” sur le matériel, en allongeant la durée d’usage des serveurs, en changeant certaines pièces notamment s’il le faut, alors que l’on sait que c’est leur fabrication qui génère plus de CO2 que leur utilisation. Et les faire entrer dans un dispositif de recyclage ou de réutilisation dans des pays en voie de développement. Scaleway s’est ainsi engagé à prolonger le cycle de vie de ses équipements informatiques en production jusqu’à 10 ans, alors que la durée est « généralement comprise entre trois et cinq ans », précise Albane Bruyas « par le réemploi et une maintenance soignée. Et cela afin d’éviter les déchets électroniques. » Scaleway fait d’ailleurs travailler une entreprise locale à vocation sociale, Loxy, pour le recyclage de ses matériels.
L’Edge computing à la rescousse
Les acteurs prennent peu à peu conscience qu’il y a urgence à apporter des solutions et à les généraliser. Selon les estimations publiées dans le Digital Economy Compass 2019 de Statista, le volume annuel de données numériques créées dans le monde a été multiplié par plus de 20 au cours des 10 dernières années pour atteindre 47 zettaoctets en 2020. De quoi remplir 470 millions de disques durs actuels de 100 To ! Et ce n’est que le début. On attend une multiplication par trois ou quatre du volume annuel de données créées tous les cinq ans. En 2035, on devrait atteindre les 2 000 zettaoctets de données, la multiplication des objets connectés et la 5G accélérant cette croissance.
Alors, certains mettent en avant le développement de l’edge computing qui consiste à déplacer le traitement des données à la périphérie du réseau, au plus proche de la source et des usages, et qui se montre moins consommateur en énergie que le Cloud. Schneider Electric a ainsi développé des solutions dédiées avec « 35 % de réduction d’empreinte carbone par rapport à d’autres solutions », indique à Solutions Numériques Damien Giroud. Il est par ailleurs convaincu que déployer ces petites infrastructures passe par des partenariats forts, avec des intégrateurs, des fabricants de serveur, des éditeurs, etc. pour proposer des ensembles de solutions qui ont peu d’impact environnemental tout en délivrant le niveau de services attendu.
Des clients de plus en plus intéressés
« Le développement durable est un sujet important depuis de nombreuses années chez Schneider Electric et commence à intéresser nos clients. Il devient un élément différenciateur, nos clients ayant eux-mêmes des clients qui les challengent sur l’efficacité énergétique et l’empreinte carbone », relève Damien Giroud … Il nous confie que lorsqu’il vendait des solutions de refroidissement pour un datacenter il y a 10 ans, peu de clients étaient intéressés par les options de free cooling, alors qu’aujourd’hui, « 9 fois sur 10, les clients me les demandent », notant que les exploitants de datacenters ont ainsi mis « dans leurs drivers le développement durable ». Le label “Green Premium” des produits Schneider s’appuie sur trois piliers. Le premier, indique Damien Giroud est de consommer le moins de produits pour la fabrication et de développer des solutions à très haute efficacité énergétique. Le deuxième est « le bien-être ou well being avec la suppression de toute matière dangereuse ou rare ». Le dernier s’appuie sur la conception des produits avec le maximum de matières recyclables (entre 50 et 75 % d’éléments recyclables dans les produits) et qui sont éco-designés pour prolonger leur durée de vie. « Nous remettons d’ailleurs en vente nos produits, des onduleurs retravaillés par exemple, sur un second marché », précise Damien Giroud. Une usine en Ardèche est spécialisée dans ce « rétrofit ou rewamping » des produits pour le marché français ou étranger, en fonction de leur maturité. Le fabricant met en avant cette notion d’économie circulaire avec un nouveau label “circular certified”.
Mais d’aucuns diront que le problème de la consommation des datacenters, de la fabrication et utilisation des terminaux est moins une question technique que d’ordre politique ou éthique. Quelles utilités, que stocker, quels freins à la consommation, etc. ? Au-delà de nouveaux outils d’optimisation, l’entreprise devra sans doute changer sa stratégie et sa politique globale par rapport au numérique.
Les enjeux sont récents, et les chiffres et données, dont ceux retranscrits dans ce dossier, doivent être complétés, documentés, pour pouvoir mettre en place des méthodologies efficaces. Dossier à suivre.
L’écosystème se mobilise avec l’initiative Planet Tech’Care
Début octobre 2020, Syntec Numérique a annoncé l’initiative Planet Tech’Care, une plateforme liant les entreprises pour réduire l’empreinte environnementale du numérique. Plus de 100 entreprises et acteurs de formation ont signé le manifeste, dont des acteurs de l’IT, comme Scaleway ou Capgemini, mais pas seulement, avec La Poste ou L’Oréal. « La réduction de l’impact environnemental du numérique doit mobiliser tout l’écosystème », selon Syntec Numérique, qui s’est allié à divers partenaires (l’Alliance GreenIT, la Fing, GreenIT.fr, l’Institut Numérique Responsable, The Shift Project, le Cigref, Cinov Numérique, la Société Informatique de France, Systematic et Talents du Numérique) pour fédérer l’écosystème.