La Commission européenne a publié le 9 décembre dernier un ensemble de propositions dans le but d’améliorer les conditions de travail via une plate-forme numérique. Parmi elles, une proposition de directive visant, entre autres, à garantir que les travailleurs des plateformes se voient accorder le statut professionnel juridique correspondant à leurs modalités de travail réelles.
Elle fournit une liste de critères de contrôle permettant de déterminer si la plate-forme est un « employeur ». Si la plate-forme remplit au moins deux de ces critères (voir notre encadré ci-dessous), elle est juridiquement présumée l’être. Les personnes exerçant leur activité par son intermédiaire peuvent alors jouir des droits qui découlent du statut de « travailleur salarié » : salaire minimum (lorsqu’il existe), négociation collective, protection du temps de travail et de la santé, congés payés, meilleur accès à la protection contre les accidents du travail, prestations de chômage et de maladie, pensions de vieillesse contributives. Les plate-formes seront autorisées à contester ou à réfuter cette qualification, mais ce sera à elles de prouver qu’il n’existe pas de relation de travail.
Olivier Iteanu, avocat à la cour, spécialisé dans le numérique, la cybersécurité et la data, réagit pour Solutions Numériques à cette proposition de directive.
« La Commission européenne s’est donnée pour objectif de lutter contre les « faux entrepreneurs » travaillant via les plateformes numériques, qu’elle souhaite ramener dans le giron du salariat, statut juridique et social plus protecteur. Mais comme toujours, si les intentions sont bonnes, c’est la mise en œuvre qui risque de pêcher. Car si l’idée de créer une présomption de salariat pour ces travailleurs est bonne, mettant à la charge de la plate-forme l’obligation de prouver que le travailleur n’est pas salarié, les cinq critères fixés sont trop généraux et flous. Cela n’évitera pas les longs contentieux. Au final, c’est la jurisprudence qui tranchera dans cinq à dix ans alors qu’elle a déjà commencé son travail, près d’une centaine de décisions ayant déjà été rendues dans l’Union Européenne. A t-on besoin d’une nouvelle directive ? Pas sûr. » Olivier Iteanu le précise, « Les décisions de justice ont été rendues essentiellement en France, en Grande-Bretagne et en Espagne. Elles sont globalement favorables aux travailleurs des plateformes, leur reconnaissant le statut de salarié ».
Le marché des travailleurs des plateformes estimé à 43 millions d’euros en 2025
La directive renforce par ailleurs la transparence dans l’utilisation des algorithmes par les plate-formes, garantit un suivi humain du respect des conditions de travail et crée le droit de contester des décisions automatisées. Ces nouveaux droits sont accordés tant aux travailleurs salariés qu’à ceux réellement indépendants. Des questions déjà abordées par la mission d’information « l’uberisation de la société : quel impact des plateformes sur les métiers et l’emploi ? ».
La proposition de directive doit désormais être examinée par le Parlement européen et le Conseil. Une fois adoptée, les États membres auront deux ans pour la transposer en droit national. D’après la Commission, plus de 28 millions de personnes dans l’Union européenne travaillent actuellement par l’intermédiaire de plate-formes numériques, et elle prévoit qu’elles seront 43 millions en 2025. La grande majorité de ces personnes sont véritablement indépendantes. Toutefois, la Commission estime que 5,5 millions d’entre elles sont erronément qualifiées de travailleurs indépendants. Entre 2016 et 2020, les recettes de l’économie des plate-formes ont presque été multipliées par cinq, passant d’une estimation de 3 milliards d’euros à environ 14 milliards d’euros.
Les critères à remplir par une plateforme (deux au moins)
pour être un employeur
- déterminer le niveau de rémunération ou en fixer les plafonds
- superviser l’exécution du travail par voie électronique
- limiter la liberté de choisir son horaire de travail ou ses absences, d’accepter ou de refuser des tâches, ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants
- fixer des règles impératives spécifiques en matière d’apparence, de conduite à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du travail
- limiter la possibilité de la personne exécutant un travail via une plate-forme de se constituer une clientèle ou d’exécuter un travail pour un tiers.
Patricia Dreidemy