La Banque de France s’est engagée dans une stratégie de transformation du métier fiduciaire, chargé de l’entretien de la monnaie. Elle a ainsi construit deux centres fiduciaires entièrement automatisés, dont le plus grand vient d’être inauguré à La Courneuve.
La Banque de France restructure son réseau de caisses (centres de tri de billets) dans l’Hexagone. Dans ce cadre, elle a construit deux centres fiduciaires de nouvelle génération. Le premier, le Centre fiduciaire Nord de France (CEFINOF) a ouvert début 2016, à Sainghin-en-Mélantois près de Lille. Le second à La Courneuve, en Seine-Saint-Denis, a été inauguré le 13 novembre 2018 et doit prochainement gérer 20 % de la circulation nationale de cash, approvisionnant l’Ile-de-France.
Deux usines à cash automatisées
Argon Consulting est intervenu en amont sur le schéma directeur logistique pour la Banque de France, impliquant notamment un certain nombre de centres automatisés à construire. Fabien Regost, consultant du cabinet, est en mission sur le projet depuis cinq ans : « Le centre de Paris La Courneuve est conçu comme une usine, pas comme un entrepôt logistique. » Ces deux centres sont ainsi deux usines à cash entièrement automatisées. Auparavant, la Banque de France utilisait certes des machines de tri très rapides. Mais les autres processus en amont ou en aval n’étaient pas forcément automatisés. Or, rappelle la Banque de France, l’argent liquide est un enjeu de sécurité nationale : pas de France sans monnaie !
Thierry Para, directeur du programme de Paris – La Courneuve, projet qui a remporté début 2019 le grand prix des Rois de la Supply Chain, indique : « En cinq ans, études comprises, le centre est sorti de terre dans le budget et dans le planning. C’est un investissement de 170 millions d’euros : la Banque investit dans l’avenir pour rester au centre du jeu fiduciaire. » Le retour sur investissement est évalué à neuf ans.
Mettre des robots dans un coffre-fort
Les objectifs de l’industrie de la monnaie sont d’allier sûreté et agilité. Aucune interruption de service n’est tolérée. Le délai de préparation est très court, inférieur à trois heures. Enfin, les conditions d’accueil et de sécurité sont améliorées pour les transporteurs de fonds dont les rotations sont réduites de moitié. Il a fallu créer un bâtiment autour des processus nécessaires à la réalisation de ces objectifs, et marier le métier fiduciaire et l’automatisation, avec un fort degré d’anticipation. Automatiser le nouveau site de La Courneuve, c’est mettre des robots dans un coffre-fort pour billets et pièces de monnaie de 16 500 m2 et de 27 mètres de haut !
L’informatique au cœur du projet
La fiabilité et la sécurité du système d’information sont des clefs du projet de La Courneuve. Il repose sur une infrastructure virtualisée qui offre l’intégrité, la disponibilité, la confidentialité, la traçabilité des données et la fiabilité des évolutions. Le projet a exigé une redondance des infrastructures suffisante pour fonctionner en mode dégradé. Des serveurs virtualisés sont installés dans deux locaux techniques différents sur le site de La Courneuve. Les données sont sauvegardées et répliquées dans le datacenter de la Banque de France à Noisiel. De plus, le Warehouse Control System (WCS), fourni par B2A Technology qui pilote les automates, est intégré avec tous les modes dégradés.
La Banque de France a utilisé la simulation dynamique pour concevoir l’usine, explorer son fonctionnement, y compris en modes dégradés : 4 scénarii ont été envisagés, avec 12 ou 24 machines de tri. Tester les flux logistiques avant même que le site ne soit construit a permis de gagner un temps considérable. Il y a eu des tests anticipés des interfaces informatiques en plateforme, notamment entre le système de gestion logistique (Warehouse Management System, WMS) qu’utilise la banque centrale française sur ses sites (Reflex, de l’éditeur grenoblois Hardis) et le WCS. Hardis a développé de nombreux spécifiques pour ce projet. L’intégration des processus logistiques a été réalisée par B2A Technology. Il y a ainsi eu l’émulation, de façon également anticipée, du WCS et des différents automates logistiques :
– trois élévateurs pour acheminer les palettes entre les niveaux ;
– deux transstockeurs accédant aux palettes de billets préparées ;
– trois robots de palettisation et dépalettisation ;
– huit véhicules autoguidés (Automated Guided Véhicle, AGV) permutables entre les niveaux ;
– deux miniloads d’accès aux cartons de billets.
Ainsi, les automates ont fonctionné dès leur installation sur le site. Début 2019, une batterie de tests sur les équipements logistiques et le système de sécurité a lieu. Les 135 agents de la Banque de France chargés du tri fiduciaire sont en cours de formation. Et Fabien Regost de conclure : « les deux défis ont été de faire dialoguer des automates logistiques avec des équipements de sécurité, et de faire évoluer les métiers des agents de la Banque de France. » Le centre de La Courneuve va entrer en opération à l’été 2019.
Comment le site va fonctionner à partir de l’été 2019
Les transporteurs de fonds, avant d’entrer dans le site, passent une série de contrôles rigoureux puis pénètrent dans un garage sécurisé pour décharger les valeurs à traiter. Ils y déposent les colis et palettes sur des tapis roulants automatisés. Ceux-ci seront ensuite palettisés par un robot et transportés automatiquement pour être stockés dans un coffre ultrasécurisé et mécanisé. Ultérieurement, la palette sera extraite par un autre robot pour que les billets soient triés. Les opérateurs alimentent les machines de tri qui répartissent 33 billets à la seconde, broient les billets usagés, rejettent les quelques billets faux et constituent des paquets de billets valides, remis en circulation. Le site de La Courneuve va aussi traiter les pièces de monnaie.
La sécurité semblable à celle d’une centrale nucléaire
La Banque de France juge la sécurité du centre fiduciaire de La Courneuve comparable à « celle d’une centrale nucléaire : 16 500 m² les plus sécurisés de France. » Le site ne pourrait ainsi être pris de force. De multiples barrières défensives, la plupart cachées comme autant de chausse-trappes. Des centaines d’yeux électroniques et de lasers de dernière génération sont installés pour détecter toute tentative d’intrusion.
Auteur : Christine Calais