Pour faire face à la pénurie de talents, les recruteurs doivent privilégier une approche par compétences, s’ouvrir à des profils auxquels ils ne pensent pas, voire qu’ils éliminent à cause de stéréotypes tenaces. Et mieux vaut être flexible sur les salaires et utiliser des dispositifs de mise en relation encore trop peu connus.
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Travailler sur les compétences
Beaucoup (trop) de recruteurs dans l’IT visualisent, quand ils rédigent leur annonce d’emploi, l’ingénieur avec 3 à 5 ans d’expérience. « Nous travaillons sur les critères de recrutement avec les entreprises, souligne Laetitia Niaudeau, directrice générale adjointe de l’Apec. Pour ouvrir le champ des possibles, il faut en finir avec la pure approche CV : niveau de diplôme, années d’expérience, entreprises. Il vaut mieux étudier les compétences. » La réflexion s’adresse aussi sur les candidats, qui doivent apprendre à valoriser leurs compétences.
Et bien sûr, il faut aussi tirer un trait sur l’offre d’emploi qui s’adresse à des gens surqualifiés pour le poste, au risque de n’attirer pas grand-monde. Pas besoin ainsi de bac+5 pour un poste de technicien informatique.
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Mieux exploiter différents viviers de talents
Il existe des viviers de talents trop peu exploités, selon l’Agence pour l’emploi des cadres. Les recruteurs du numérique n’y pensent pas spontanément, même si les choses évoluent grâce au travail d’acteurs de l’emploi et d’associations spécialisées comme Les Descodeuses. Ces viviers sont les jeunes issus des quartiers populaires, les cadres senior, les demandeurs d’emploi de longue durée. Il faut changer de regard : le recruteur ne doit pas chercher à reproduire le profil de celui qui est parti.
Concernant les seniors, il y a encore trop de stéréotypes. « Les recruteurs pensent qu’il va falloir former quelqu’un qui sera parti à la retraite dans 4 ans, fait remarquer Laetitia Niaudeau. Or un cadre de 55 ans va plus avoir tendance à rester 10 ans dans l’entreprise, jusqu’à sa retraite, alors qu’un jeune diplômé part au bout de deux à quatre ans. Et l’entreprise a peur de prétentions salariales élevées. Aujourd’hui, il faut de toute façon proposer des salaires qui correspondent aux attentes… quel que soit l’âge ! L’idée qu’ils ne connaissent pas les nouvelles technologies n’est aujourd’hui plus vraie. De l’autre côté, les candidats seniors s’autocensurent en se disant que l’offre n’est pas pour eux. » C’est pourquoi l’Apec travaille aussi avec les candidats pour changer leur regard, qu’ils ne cherchent pas à reproduire leur dernier poste de cadre supérieur manageant une grande équipe dans une grande entreprise, mais à trouver d’autres moyens de s’épanouir.
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Soigner la prise de poste
Soigner la prise de poste, c’est déjà dans l’offre d’emploi et lors de l’entretien d’embauche, donner une vision claire de la mission. Si l’offre doit être attractive, elle doit être le reflet de la réalité du poste. 22 % des cadres déclarent avoir déjà démissionné d’un CDI dans les deux ans après leur embauche entre 2012 et 2022, 42 % chez les moins de 35 ans, selon le baromètre Apec du 4e trimestre 2022. 28 % des cadres qui l’ont fait jugent qu’elle est principalement due à un écart entre la réalité du poste et ce qui a été dit lors du recrutement.
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Indiquer le salaire dans l’offre d’emploi
Toutes les offres d’emploi informatiques ne mentionnent malheureusement pas de fourchette de salaire. Or le salaire, c’est un peu comme des photos dans une annonce immobilière, ça attire l’attention. L’APEC conseille ainsi de mentionner le niveau de salaire sur l’offre, « quitte à être flexible par la suite vu la pénurie », pointe Mme Niaudeau. Dans un contexte d’inflation où la majorité des cadres s’inquiète de l’évolution de leur pouvoir d’achat (65 %), une offre d’emploi affichant un salaire à l’embauche attractif pourrait les inciter à candidater. Certes, seuls 13 % déclarent envisager de changer d’entreprise dans les trois mois. Mais 46 % des cadres se disent en veille sur le marché de l’emploi (+4 points en 3 mois), 59 % prévoient de consulter des offres d’emploi (+4 points), et même 72 % chez les moins de 35 ans (+8 points). Il faut dire que 33 % des cadres ont été approchés par un cabinet de recrutement au cours des trois derniers mois (50 % chez les moins de 35 ans), ce qui éveille la curiosité vis-à-vis du marché.
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Utiliser des dispositifs de mise en relation
Trois dispositifs de rencontre sont peu connus tant des entreprises du numérique (y compris les autres), que des candidats :
- Recrutement sans CV : une mise en relation basée sur les compétences et pas sur CV et hors d’un bureau.
- Les périodes de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP) s’adressent à toute personne faisant l’objet d’un accompagnement social ou professionnel personnalisé, comme des personnes sans activité en parcours d’insertion, tels les demandeurs d’emploi, ou des personnes en activité engagées dans une démarche d’insertion ou de réorientation professionnelle. Selon l’Apec, c’est gagnant-gagnant : d’une part, cela permet à la personne d’acquérir une ou plusieurs compétences et facilite sa transition professionnelle, d’autre part, cela permet à l’entreprise de faire découvrir ses métiers, et d’évaluer un candidat au profil plus atypique.
- Talents Seniors : ce dispositif de mentorat met en relation un chef d’entreprise, cadre dirigeants, décideur institutionnel, élu et un cadre senior demandeur d’emploi accompagné par l’Apec. Le binôme va pendant un an se rencontrer, échanger et travailler conjointement, à raison au minimum d’un rendez-vous par mois. Le dispositif a été testé en 2019 par l’Apec et déployé en 2021.