Accueil Cloud Pourquoi l’Etat et les entreprises françaises achètent-elles autant aux Gafam ?

Pourquoi l’Etat et les entreprises françaises achètent-elles autant aux Gafam ?

AVIS D’EXPERTS : Est-il choquant de voir autant de grands donneurs privés et publics acheter encore autant de Numérique et de Cloud aux Gafam en 2020, tant en France qu’en Europe ? Oui répondent en chœur les défenseurs de la « Souveraineté ». Toutefois, certains d’entre eux soulignent que nos produits et services numériques « made in France » ne sont toujours aussi bien industrialisés, compétitifs ou aussi… soutenus par les pouvoirs publics que ceux des Gafam.

Jean-Noël Galzain, président de Wallix et de Hexatrust, un groupement d’acteurs français spécialisés dans la cybersécurité, s’est étonné début septembre, durant l’Université d’Eté d’Hexatrust, que les technologies et les acteurs français n’aient pas été retenus en 2020 par les grands donneurs privés et publics dans tous les grands projets Cloud signés en France. Bizarre en effet.

 

Pourquoi BPI, Renault et le Health Data Hub français sont-ils clients des Gafam ?

« Après un avoir bénéficié cet été du PGE et d’un coup de pouce financier significatif de la part de l’Etat, Renault signe pourtant pour le Cloud de Google. Idem, le contrat pour l’hébergement des donnes de santé du Health Data Hub français avait été confié par l’Etat au Cloud Azure de Microsoft. Enfin, BPI pourrait héberger également ses données chez Microsoft Azure, etc. »

« Est-ce que le choix de Microsoft pour héberger la plus grande base des données des Français, celle relative à leurs données de santé, est normale ? », se demande ensuite Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique. Nombre de partenaires et de fournisseurs IT interrogés lors de l’Université d’Eté d’Hexatrust partagent son étonnement. Ils déplorent aussi la naïveté des grands donneurs d’ordre français ou européens à l’égard de l’impérialisme économique des Gafam et… des Batx chinois en matière de Numérique.

« Il faut sortir du déni », s’insurge à son tour Stéphane Volant, président du Club des Directeurs Sécurité en Entreprise, « Des « héros » de l’industrie français se félicitent de passer des accords avec des Gafam. Comme un agneau peut-il se féliciter à ce point de tomber dans la gueule du loup ? Dans le même temps, nos données sensibles fuitent massivement hors de l’Europe. »

« 75% du Cloud européen est dans les mains de 3 Gafam », se désole alors Thomas Courbe, le directeur de la Direction Général des Entreprises (DGE). « L’Europe doit se donner un cadre pour créer les bonnes conditions de concurrence ». Il précise que des dispositifs de loi sont en cours de création pour que des législations extra-territoriales, du type Patriot Act américain, ne permettent plus à des Gafam et à des autorités étrangères d’accéder aux données sensibles des entreprises et des citoyens européens.

La faute n’est toujours à chercher du côté des Gafam…

Invité à intervenir lors de l’Université d’Eté d’Hexatrust, Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique, partage en partie l’incompréhension des autres intervenants sur le choix par exemple de Microsoft pour le Health Data Hub, en français dans le texte… « Construire une indépendance française dans le Cloud prendra du temps. Pour être opérationnel rapidement, le Gouvernement a choisi Microsoft qui était le mieux disant. Est-ce que les données sont alors soumises au Cloud Act américain ? Non. Ce choix n’est d’ailleurs pas définitif. Je suis même favorable au lancement d’un appel d’offres à terme ».

S’il regrette les choix numériques de certains grands donneurs d’ordre en faveur des Gafam, Cédric O souligne toutefois que la faute n’est toujours à chercher du côté des acteurs étrangers du Numérique : « Parlons-nous franchement, les Français ont beaucoup de mal à collaborer, et notamment dans les domaines où nous avons des champions. En outre, les DSI de leurs entreprises ne sont pas toujours les meilleurs alliés des acteurs français, et notamment parce qu’ils sont formés sur des outils IT américains. Nous devons donc mieux former et sensibiliser les acheteurs des grands groupes et de l’Etat sur l’importance de leurs achats et leur impact sur la souveraineté. Les mentalités changent mais la transition prendra du temps ».

Et sur le plan juridique, Cédric O doute de la possibilité d’obliger les opérateurs d’importance vitale et les grands comptes à se doter de solutions numériques souveraines « Juridiquement, il est difficile de les y forcer sur les plans français ou européens. Toutefois, nous sommes conscients que la part des fournisseurs numériques, de Cloud notamment, doit progresser dans la commande en France. Et si besoin en utilisant le législatif pour l’encadrer ». Et de conclure, « Construire une indépendance française dans le Cloud prendra du temps car elle se heurte notamment à une règle européenne basique, celle selon laquelle des acteurs comme Microsoft ou Google ne sont pas forcément considérés comme des entreprises non européennes ».

Le choix des offres numériques des Gafam peut-il faire sens ?

Même s’il ne l’approuve pas non plus, Bernard Benhamou n’est pas le seul à penser qu’acheter des offres Cloud à un Gafam peut parfois répondre à une certaine logique économique : « Le choix des Gafam par les entreprises françaises s’explique notamment par le caractère hautement compétitif de leurs offres ». Tant sur les plans industriels que commerciaux.

« Il faut quand même consommer français même si nos offres numériques ne sont pas à la hauteur sur tous les fronts », estime cependant Servane Augier, directrice générale déléguée de 3DS Outscale, une filiale de Dassault 3DS. Entre-temps, elle invite les fournisseurs IT « à créer un catalogue de solutions et de services plus riche sur nos offres numériques et collaboratives, avec le projet Gaia X notamment ».

La qualité des produits IT « made in France » est-elle suffisante ?…

Stéphane Volant, président du Club des Directeurs Sécurité en Entreprise, a invité quant à lui les entreprises et l’Etat à « éviter de mettre des données dans des applications prétendument « souveraines » et à créer de vrais critères de souveraineté exigibles lors des appels d’offres ». Trop de fournisseurs hexagonaux ou étrangers jouent sur la fibre patriotique pour coller le label « made in X » sur des produits médiocres ou peu performants.

Une exigence de qualité qu’a également exprimé début septembre Guillaume Poupard, directeur général de l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (Anssi) : « En matière de souveraineté, nous devons avoir des produits et des services de qualité, qui répondent bien aux besoins des Français. Mais notre challenge que de devoir les convaincre que, pour les protéger, ils doivent payer un peu plus cher pour quelque chose qui est peut-être… un peu moins bien. Personne ne paiera beaucoup plus cher pour quelque chose qui marche beaucoup moins bien ». Une évidence même si acheter des produits « made in France » rime trop souvent avec un prix de vente plus élevé, et une qualité perfectible comme évoqué précédemment.

… Et leurs prix raisonnables ?

Un constat que dresse également Stéphane Volant qui souhaite « Abaisser le coût de la souveraineté. Combien coûte-telle ? Ses solutions doivent être gratuites pour les Français et modérément payantes pour les entreprises à l’heure où les applications des grands prédateurs du Numérique sont gratuites ». Le président du Club des Directeurs Sécurité en Entreprise demande aussi aux fournisseurs IT de simplifier les applications existantes, dont certaines nécessitent un bac +5 pour les faire fonctionner… »

 « Il faut arrêter d’acheter des offres « soi-disant souveraines » trop coûteuses et mener en permanence des combats contre X et Y », estime la députée Valéria Faure-Muntian, une vice-présidente de la Commission des Affaires Economiques. « Quand je suis dans ma circonscription, la souveraineté n’est pas le principal sujet d’intérêt de mes administrés, mais il l’est davantage depuis le confinement ».

Les produits et services IT des Gafam sont souvent bien marketés et industrialisés

Le prix n’est pas le seul facteur. Le rapport qualité/prix/« delivery » des produits ou services numériques est une spécialité dans laquelle excellent nombre d’entreprises américaines. Amazon Web Services (AWS) n’est pas devenu par hasard le leader mondial incontesté du Cloud public, loin devant ses rivaux américains ou chinois. Et pour cause, le site d’e-commerce Amazon investit massivement dans le Cloud depuis près de 15 ans… essentiellement pour consolider l’IT de son outil logistique dans le Cloud au début.

Mais si, à l’instar d’Amazon, ces fournisseurs IT nord-américains investissent beaucoup dans le Cloud et la cyber sécurité, c’est aussi qu’ils bénéficient souvent de la commande publique. Par exemple, l’appel d’offres Cloud du Pentagone – interdit aux fournisseurs non américains… à l’inverse de l’Europe – devrait allouer cette année 10 Md$ à Microsoft (ou AWS) pour gérer son Jedi Cloud !

Du rôle de la commande publique

Beau joueur, le président de Wallix félicite quand même ses concurrents : « Bravo aux Gafam, ils étaient des pionniers ». Tout en reconnaissant que « leur succès n’est pas une bonne nouvelle pour la France et l’Europe car nous sommes trop dépendants de leurs organisations. La puissance publique doit nous apporter des garanties afin que nous devenions indépendants ».

Jean-Noël Galzain et les autres dirigeants d’Hexatrust pointent du doigt l’importance de la commande publique dans la création de champions français et européens du Numérique souverain. Ils estiment qu’il est temps que « Le Gouvernement donne désormais un signal clair à l’écosystème français du Numérique. En capitalisant sur notre outil et notre tissus industriel, nous pouvons transformer le Numérique en une industrie leader, qui va créer de l’emploi. J’attends de voir les Politiques et les donneurs d’ordre passer de la parole aux actes, sinon il n’y aura ni d’industrie du Numérique, ni souveraineté en France ».

Cedric O, secrétaire d’Etat au Numérique, leur a présenté son plan de relance pour l’industrie numérique française, tout en leur précisant que « Ce n’est pas l’Etat seul qui investira tout l’argent qu’ont investi les Gafam dans le Cloud. Quand les Etats-Unis investissent 100 Md$ par an dans leurs start-ups, nous n’investissons que 5 Md€. Nous devons faire grossir le gâteau global du Numérique en France, pour attirer des financements importants notamment ». Le ministre a rappelé que le Gouvernement a déjà investi en 2020 près de 5 Md€ dans les entreprises françaises du Numérique, soit fois deux fois plus que les 2.7 Md€ dépensés en 2017. « Il faut être ambitieux mais réaliste. La souveraineté ne se construira pas du jour au lendemain. La Silicon Valley ne s’est pas créée en un jour ».

 

La France experte en stratégies « souverainistes » ambitieuses dans la technologie, pour le meilleur et pour le pire

Rappelons qu’en même que la France s’est déjà dotée par le passé de stratégies « souverainistes » ambitieuses, pour le meilleur et pour le pire, afin de faire échec aux ambitions commerciales nord-américaines dans le nucléaire ou l’informatique par exemple.

Avec le tristement célèbre Plan Calcul de 1966 notamment. Décidé au lendemain du rachat en 1964 de Bull, le seul constructeur français d’ordinateurs, par le groupe américain General Electric, ce plan piloté par de hauts fonctionnaires et la crème de l’industrie française de l’époque pour produire des ordinateurs « made in France » a été un échec industriel retentissant. Il a révélé notamment certaines incompétences des Politiques en matière de technologies et les éternelles rivalités industrielles « A la française ».

Bis repetita avec le plan national consacré au « Cloud Souverain » que le même type d’acteurs a initié au début des années 2010 en lançant Numergy et Cloudwatt. Ces soi-disant champions français du cloud financés par les deniers publics devaient déjà être des « Amazon killer »… même s’ils étaient incapables d’aligner des offres cloud aussi bien industrialisées. Et, bizarrement, ils n’ont jamais été soutenus par la commande publique ou privée à l’époque…

A l’instar de Cedric O, secrétaire d’Etat au Numérique, souhaitons plus de réussite à Gaia X, un nouveau projet franco-allemand de Cloud souverain : « La France a connu des expériences malheureuses par le passé dans le cloud souverain que doit effacer Gaia X ».

 

Photo créée par freepik