AVIS D’EXPERT JURIDIQUE – A compter du 1er juin 2023, pour les contrats B2C conclus en ligne, et sous certaines conditions détaillées dans cet article, le professionnel devra permettre à ses clients consommateurs de résilier son contrat « en ligne » et « simplement ». Mais cette nouvelle obligation inverse-t-elle vraiment le rapport de force que l’on constate ces dernières années entre fournisseurs de service et consommateurs ?
Par Maître Alexandra Iteanu, Avocat à la Cour (Numérique, Cybersécurité et Data).
Qui n’a jamais consenti à des conditions générales signées électroniquement sans lire les petits caractères du contrat ? Ces mêmes petits caractères qui obligent souvent le consommateur, lorsqu’il souhaite mettre fin au contrat, à suivre un vrai parcours du combattant jusqu’à sa résiliation : envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception par la voie postale, appel sans fin au service client, ou encore demande de motivation de la résiliation, toute une série de conditions de délais, de forme et de fond qui sont souvent des freins à la résiliation.
La loi du 16 août 2022[1] vient mettre fin à ces pratiques, du moins, pour certains contrats, comme par exemple les de téléphonie, les abonnements presse, ou encore les contrats de fourniture d’énergie, en modifiant plusieurs dispositions de nos codes.
A compter du 1er juin 2023, pour les contrats B2C conclus en ligne, et sous certaines conditions que nous détaillerons dans cet article, le professionnel devra permettre à ses clients consommateurs de résilier son contrat « en ligne » et « simplement ». Mais cette nouvelle obligation inverse-t-elle vraiment le rapport de force que l’on constate ces dernières années entre fournisseurs de service et consommateurs ?
- La résiliation « en trois clics » des contrats conclus électroniquement : les conditions posées par la loi que devront mettre en place les professionnels
La loi du 16 août 2022 prévoit la possibilité pour certains contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, de résilier ce contrat en ligne de la manière suivante : « le professionnel met à la disposition du consommateur une fonctionnalité gratuite permettant d’accomplir, par voie électronique, la notification et les démarches nécessaires à la résiliation du contrat. »
Les contrats concernés sont (1) les contrats conclus par voie électronique, (2) mais également ceux qui ont été conclus par un autre moyen mais dont les professionnels concernés, au jour de la résiliation, proposent désormais la conclusion par voie électronique.
Désormais et en pratique, dès lors qu’un professionnel fait souscrire à ses clients consommateurs un contrat par voie électronique (y compris via une application), il doit également mettre à disposition une fonctionnalité gratuite et facile d’accès pour permettre la résiliation en ligne de ce contrat.
Lorsque cette résiliation est notifiée au professionnel, ce dernier a également l’obligation de (1) confirmer la réception de cette notification et (2) d’informer le consommateur de la date de fin du contrat et des effets de la résiliation, sur un support durable et dans un délai raisonnable.
La CNIL, saisie par le ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a rendu un avis[2] concernant ces modalités de résiliation en considérant notamment qu’il ne devait pas être imposé au consommateur de créer un espace en ligne personnalisé pour la résiliation du contrat. La transmission en ligne du motif de résiliation devait le cas échéant s’opérer via un formulaire sécurisé en ayant recours au protocole HTTPS.
“La transmission en ligne du motif de résiliation devait le cas échéant s’opérer via un formulaire sécurisé en ayant recours au protocole HTTPS.”
Ces nouvelles dispositions entrent en vigueur à compter du 1er juin 2023. Les professionnels ont dès lors jusqu’au 1er septembre 2023 pour se mettre en conformité comme le précise le ministère de l’Économie dans un communiqué.
- Des relations B2C toujours plus dématérialisées et des lois toujours plus spécialisées
On peut dans un premier temps regretter que ces obligations ne figurent que dans des textes spécialisés, et non dans le Code civil, qui prévoit une sous-section dédiée aux contrats « conclus par voie électronique » (Livre III, Titre III, Sous-titre Ier) .
Ce choix illustre la tendance actuelle qu’ont les législateurs français et européens à créer des dispositions spécifiques à certaines activités ou branches du droit, au lieu de les rendre par principe applicables à tous… au risque de créer des incohérences, ou des déséquilibres. On le remarque en ce moment avec les nombreux règlements qui fleurissent (Data Act, IA Act, DMA, DSA…), et qui doivent de plus s’accorder avec les législations préexistantes.
“Ce choix illustre la tendance actuelle qu’ont les législateurs français et européens à créer des dispositions spécifiques à certaines activités ou branches du droit, au lieu de les rendre par principe applicables à tous… au risque de créer des incohérences, ou des déséquilibres.”
Il convient tout de même de saluer cette initiative de « résiliation en 3 clics », qui, dans un monde de plus en plus dématérialisé, vient rabattre les rapports entre fournisseurs de service et consommateurs.
Dans le monde du Cloud en particulier, la plupart des services dématérialisés aujourd’hui sont conclus via des contrats d’adhésion, c’est-à-dire non négociables côté consommateurs, et souvent bien évidemment à l’avantage du fournisseur de service qui en est le seul rédacteur. Permettre aux consommateurs de sortir de ce genre de relation contractuelle plus facilement participe à une volonté de rééquilibrer un peu ce rapport de force entre les parties.
Côté professionnels, cette résiliation « en ligne » et « facile » incitera surement davantage les potentiels prospects à adhérer à certaines offres sans se sentir prisonniers. Ces nouvelles obligations permettront également aux professionnels d’uniformiser leurs process mis en place et d’adopter une certaine cohérence vis-à-vis de tous leurs services et de leurs Conditions générales de vente (CGV).
Maître Alexandra Iteanu
[1] LOI n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat
[2] Délibération CNIL 2023-049 du 25 mai 2023