INTERVIEW – Prodware étudie des opportunités en France et en Europe afin de consolider ses activités historiques d’éditeur et d’intégrateur de progiciels (ERP, CRM) sur les plateformes de Microsoft, Sage et Autodesk. Alain Conrard, son directeur général, investit également davantage dans le conseil IT, mais aussi dans la cybersécurité, marché où l’ESN se présente désormais comme un « ensemblier » des cyber technologies.
Olivier Bellin, Solutions-Channel et Solutions Numériques : Quelles sont les priorités de Prodware en termes d’investissements dans le Numérique pour 2022 ?
Alain Conrard, directeur général depuis 2003 de Prodware, un important éditeur et intégrateur de progiciels créé en 1989 : Prodware va poursuivre le développement de ses activités dans le conseil, l’édition, l’intégration et les services IT managés. Nous renforçons également nos compétences en cybersécurité en France et en Europe. Les technologies de l’information évoluant très rapidement, il est important que les clients puissent disposer d’un large portfolio pour construire ou renforcer leur système d’information avec notre aide.
Pourquoi un intégrateur tel que Prodware estime-t-il nécessaire de conseiller davantage les Directions Générales dans leurs projets numériques ?
Les entreprises ont besoin de davantage d’accompagnement dans la durée face à la complexité grandissante des environnements IT hybrides. Trop de chantiers IT, entraînant des modifications trop importantes de la société sur un cycle court, peuvent freiner les ardeurs du dirigeant en matière de transformation numérique. Il n’est d’ailleurs pas un sachant du Numérique, contrairement au Directeur des Systèmes d’Information (DSI). L’intégrateur doit donc prendre le temps de lui expliquer l’impact et les conséquences de ses décisions. Le dirigeant sera ainsi capable de mieux comprendre les enjeux pour justifier ses choix ou arbitrer face au DSI et aux divisions métier qui, par principe, disposent d’une meilleure maîtrise des technologies IT.
Pourquoi Prodware désire-t-il accroître ses compétences dans la cybersécurité ?
Prodware se présente désormais comme un « ensemblier » des cyber technologies afin d’aider les entreprises à diagnostiquer, se prémunir et se protéger contre les cybermenaces. Le groupe dispose déjà depuis trois ans d’une offre cyber 360° avec un SOC et un Siem, ainsi que de nombreuses cyber compétences. Dans chaque pays où Prodware est présent, notre équipe cyber locale compte de 20 à 40 personnes, à laquelle s’ajoute une structure internationale de 15 personnes qui intervient notamment dans la constitution des offres. Ces équipes montent en charge en raison des besoins croissants des entreprises pour la cybersécurité.
Les investissements de Prodware en cybersécurité ne sont-ils pas freinés par la pénurie de compétences qui touche ce marché ?
Effectivement, toutes les sociétés de services IT et leurs clients sont victimes de la pénurie de cyber compétences, qui sont devenues des denrées rares. Difficile aussi de les acquérir par un rachat compte-tenu du prix de vente prohibitif des sociétés spécialisées en cybersécurité, dont les valorisations sont devenues excessives. Il est par ailleurs délicat de répercuter l’intégralité du coût grandissant des bons profils cyber sur le client. Cela met donc en péril la rentabilité de certains projets cyber. Pour contourner ce problème, Prodware utilise des technologies permettant d’automatiser davantage certaines tâches : détection des menaces, téléchargements de patchs, réduction des temps d’intervention des techniciens sur site, etc. Par ailleurs, le développement du télétravail nous aide à nous doter de nouvelles cyber compétences sur des centres de services « nearshore ».
Prodware prévoit-il de renouer avec les acquisitions, dans la cybersécurité notamment, avec le support de son nouvel investisseur ?
Oui, d’autant que la dernière remonte à deux ans. Prodware étudie des opportunités pour consolider ses actifs sur ses métiers historiques et sur le conseil, et notamment sur les plateformes de Microsoft, Sage et Autodesk. Nous mettrons un focus accru sur des pays comme la France, l’Allemagne et l’Espagne, voire sur les pays d’Europe de l’Est qui hébergent déjà nos centres de services « nearshore ».
Prodware a-t-il finalisé son rachat d’actions ?
Prodware a monté fin 2021 une Offre Publique de Rachat d’Actions (OPRA), qui a abouti au rachat de 52% des actions sur le marché, et nous détenons désormais près de 94 % des titres du groupe avec l’aide d’un investisseur.
Pourquoi le chiffre d’affaires de Prodware (165,5 M€, -4%) et son résultat net (-68,5 M€ vs 11,3 M€ en 2020) ont-ils reculé en 2021 ?
Prodware a enregistré des dépréciations exceptionnelles pour environ 65 millions d’euros et des coûts financiers exceptionnels d’environ 5 millions suite au financement de son OPRA. Ces dépréciations concernent nos logiciels historiques vendus sur site et hébergés dans nos propres data centres, car la demande pour des versions en SaaS hébergées dans le Cloud a fortement augmenté chez nos clients. Cette tendance a incité le groupe à opter pour un nouveau modèle économique privilégiant un mix-produit combinant offres sur site et dans le Cloud dès 2022. Après avoir consolidé ses fondamentaux, Prodware a également recruté ces derniers mois des profils à fort potentiel, dont Bertrand Launay et Serge Masliah, car le groupe prévoit une croissance à deux chiffres.
Quelles sont les principales tendances dans le secteur des progiciels ?
Les entreprises utilisatrices de progiciels ont des besoins de plus en plus décisifs en matière de conseil et de services managés, dans les environnements Cloud notamment, deux domaines où Prodware développe son expertise. Mon objectif est d’accompagner toujours mieux nos clients sur des projets de transformation à valeur ajoutée dans une logique de « one stop shopping ».
Le Cloud a-t-il beaucoup modifié les modèles économiques des éditeurs de logiciels avec lesquels Prodware travaille ?
La vente de logiciels comme des services (SaaS) a beaucoup disrupté le modèle économique des éditeurs de logiciels. Avant, l’éditeur et/ou son revendeur commercialisait aux clients une licence « one shot » en mode transactionnel, puis chacun vendait ses services. Aujourd’hui, le modèle SaaS inclut à la fois l’utilisation du logiciel et sa maintenance corrective et évolutive. Mais si l’éditeur gagne moins les trois premières années, le modèle s’avère économiquement plus rentable ensuite. Ce modèle de vente locatif rend en effet le client plus captif.
Que pensez-vous du virage pris par certains éditeurs comme Sage, qui se recentrent désormais sur l’édition de logiciels ?
C’est le bon modèle. Suite au décollage du Cloud, les éditeurs de logiciels ont intérêt à se concentrer sur leur mission initiale : concevoir les meilleures logiciels. A charge pour eux de faire confiance à leurs partenaires pour bien les intégrer dans les entreprises. Afin d’avoir un stack complet, les éditeurs de logiciels peuvent aussi trouver un intérêt à confier le développement de quelques fonctionnalités additionnelles à des partenaires capables de les mettre en œuvre et de les maintenir en conditions opérationnelles (MCO) . Cela dit, quand on voit ce que pèsent encore les services professionnels dans le chiffre d’affaires de certains éditeurs, je comprends qu’il puisse être difficile pour eux de prendre ce virage.
Les DSI sont-ils toujours les bons interlocuteurs sur des dossiers Cloud et de transformation numérique ?
Les interlocuteurs et les mentalités des utilisateurs ont changé dans les entreprises avec le décollage des services Cloud, surtout depuis l’arrivée de la Covid en 2020. Certes, le DSI reste au cœur des dossiers de transformation numérique de l’entreprise, mais il doit désormais composer avec les attentes des directions métier, d’autant qu’elles ont une connaissance toujours plus fine de ce que leur apportent les nouvelles technologies, et elles en font la demande. Un DSI ne peut plus dire qu’il est impossible de déployer ces solutions, comme il le faisait trop souvent auparavant ; il doit argumenter désormais. Le profil des DSI à recruter a également évolué face à la multiplication de ces « super utilisateurs » et au développement du télétravail. D’ailleurs, les jeunes DSI savent déployer des organisations plus souples et transversales pour répondre aux attentes des métiers. En outre, ils sont plus agnostiques sur la technologie que par le passé.
Le rôle des DSI a-t-il vraiment changé suite au développement rapide du télétravail ?
Oui. Un DSI est très attentif aux bénéfices générés par les projets de transformation numérique, et notamment depuis le développement rapide du télétravail pendant la pandémie. Celle-ci l’a obligé à réorganiser ses missions et à les aligner sur les nouvelles attentes de la Direction Générale. Même s’il demeure le garant technologique du Système d’Information de l’entreprise, le DSI joue désormais davantage un rôle de conseil auprès des métiers. Il les aide à capitaliser sur les gains de productivité réalisés, en veillant notamment à ce que leurs services ne soient pas immobilisés par des cyberattaques. Il joue aussi un rôle accru dans l’amélioration de l’attractivité de l’entreprise afin de l’aider à recruter et à retenir les meilleurs talents.