Accueil Business Les logisticiens, hommes de l’ombre de l’e-commerce

Les logisticiens, hommes de l’ombre de l’e-commerce

Alors que le confinement se prolonge jusqu’au 11 mai, l’e-commerce répond de façon pratique aux besoins des personnes qui doivent rester chez elles. La logistique est un point clef pour satisfaire les attentes des consommateurs, avec des exigences importantes en matière d’efficacité de livraison. En témoin pour l’enquête de Solutions Numériques : Yann de Feraudy, président de l’ASLOG, réseau de 3 000 professionnels de la Supply Chain, et directeur général adjoint du groupe Rocher.

Chaque quinzaine de confinement ampute le niveau du PIB annuel de près de 1,5 % selon la Banque de France. Dans ce contexte économique grave, seuls les commerces de première nécessité restent ouverts, et beaucoup d’autres se sont organisés pour poursuivre leur activité via l’e-commerce.
L’ASLOG, réseau de 3 000 professionnels de la Supply Chain (chargeurs, prestataires logistiques, associations et organismes de recherche et de formation) constate une croissance significative des volumes de l’e-commerce depuis fin mars en France. Les particuliers pendant le confinement privilégient les canaux distants pour compenser les magasins fermés et aussi car ils sortent moins faire leurs courses. Selon le baromètre de foxintelligence, l’e-commerce non alimentaire est en croissance de 14 % en 3ème semaine de confinement par rapport au niveau pré-confinement : la high tech remplace les articles de sport dans le top 5, devancée par les instruments de musique, le bricolage, les jouets et la papeterie. Les délais de livraison continuent d’augmenter significativement chez tous les acteurs (cf. graphique). L’e-commerce alimentaire continue la même semaine d’être 50 % supérieur à son niveau pré-confinement.

Les applications de livraison de plats, spécialistes du dernier kilomètre pour les restaurants s’adaptent et livrent désormais depuis quelques jours les produits des magasins alimentaires dans certaines villes : Deliveroo est partenaire de Monop’ et Franprix, Uber Eats de Géant, Casino avec des paniers préconçus, et de Carrefour. Mais il faut être patient et souvent retenter sa chance pour trouver un créneau.

Les capacités de la logistique aval ont globalement du mal à répondre à l’essor de la demande : plus de 40 % des articles commandés sont désormais livrés en plus de 10 jours dans le non-alimentaire, selon foxintelligence !

Un double choc pour la Supply Chain

Yann de Feraudy, président de l’ASLOG, analyse les impacts sur la Supply Chain : « La crise du Covid-19 est un double choc : elle a démarré par un choc amont, avec le tarissement de certaines sources d’approvisionnement en Asie, et surtout en Chine. Puis elle s’est poursuivie par un choc de demande très violent, quasiment du jour au lendemain. Le choc amont a eu, relativement parlant, le moins fort niveau d’impact. En effet, un certain nombre de chaînes d’approvisionnement étaient « prêtes », ayant déjà subi le stress du SRAS ou encore de Fukushima. Ainsi, les plus résilientes ont pu compenser via des sourcings alternatifs ou des stocks de sécurité permettant d’attendre la reprise (finalement assez rapide) de l’activité en Chine. Le second oblige à reporter massivement les ventes sur les canaux digitaux e-commerce ou social selling (vente directe via des ambassadeurs sur les réseaux sociaux). »

Yann de Feraudy
Yann de Feraudy, président de l’ASLOG @Fabrice Labit

“La crise du Covid-19 est un double choc : elle a démarré par un choc amont, avec le tarissement de certaines sources d’approvisionnement en Asie, et surtout en Chine. Puis elle s’est poursuivie par un choc de demande très violent”

C’est ce qu’a ainsi fait le groupe Rocher, dont Yann de Feraudy est directeur général adjoint, en charge des opérations et de l’IT. Tous les magasins des dix marques (Yves Rocher, Arbonne, Dr Pierre Ricaud, Daniel Jouvance, Petit Bateau…) ont été fermés à travers le monde, hormis dans le Nord de l’Europe. Conséquence, l’outil industriel a réduit puis fermé ses capacités pour ne pas faire trop de stocks. Les salariés sont en travail partiel, l’outil logistique et de production ne redémarre que quand il y a une demande suffisante. Les équipes logistiques se sont réorganisées, avec un pilotage. Seul conserve une activité quasi normale l’atelier d’expédition de la vente à distance, la livraison étant réalisée par La Poste en France.

Améliorer la qualité de la livraison à domicile

Yann de Feraudy poursuit son analyse : « Pour la période post-confinement, il faudra poursuivre l’effort d’amélioration de la qualité de la livraison à domicile, avec plus de précision dans l’heure de remise au client. Plus qu’une livraison ultra rapide, il n’est pas impossible que le créneau de 2h émerge comme un nouveau standard ,en particulier dans les grandes agglomérations, même s’il a un coût, à prendre en compte selon la proposition de valeur des e-commerçants. »

 

Protéger le SI Supply Chain 

Doit-on prendre des mesures spécifiques pour protéger les systèmes d’information Supply Chain pendant le confinement ? La réponse est oui, d’autant plus que le télétravail a été mis en place à la hâte selon l’ASLOG, qui réunit 3000 professionnels de la Supply Chain.

Elle nécessite notamment de sensibiliser ses équipes logistiques face au risque de cyberattaque. Plus de détails sur la fiche publiée sur le site de l’ASLOG. Celle-ci a en effet mis en place un collège de rédacteurs qui publie deux types de fiches conseil : des bonnes pratiques en matière d’hygiène et d’organisation du travail dans les ateliers logistiques, et, au fur et à mesure, des fiches de réponse à 100 questions concrètes que se posent les professionnels de la Supply Chain.

« Nous avons de petites entreprises parmi nos membres pour qui c’est très utile, précise Yann Féraudy, président de l’association. Plus largement, l’ASLOG va animer la réflexion des professionnels de la logistique autour de la résilience de la Supply Chain. Nous montons pour fin avril un webinar avec des directeurs Supply Chain de grands groupes de différents secteurs, comme Michelin, LVMH ou Schneider, durant lequel nous envisagerons des scénarios de sortie de crise. Notre second axe de travail porte sur ce que le monde de la Supply Chain devrait faire et changer pour être « meilleur » en cas de nouvelle crise similaire, en revisitant notamment les politiques qui prévalent depuis les 30 dernières années, de juste à temps, de zéro stock et la complexité, la profondeur et la fragilité des chaînes d’approvisionnement internationales. »

 

 

Auteur : Christine Calais