Le plafond de verre auquel se heurtent les femmes pour accéder à des postes à responsabilité, est présent également pour accéder au télétravail. Les hommes occupent plus souvent des emplois à distance ou hybrides, entre bureau et domicile, que les femmes, selon le baromètre de l’emploi LinkedIn. Et cette tendance ne s’explique pas que par des différences de poste et de niveau hiérarchique, mais aussi par les stéréotypes de genre ancrés dans les têtes des managers.
79 % des femmes sur LinkedIn indiquent occuper un poste en présentiel, contre 68 % des hommes, selon le baromètre de l’emploi LinkedIn. Le réseau social professionnel a regardé les 29 millions de profils sur sa plateforme en France, et analysé ceux qui avaient ajouté un poste en 2023 avec la mention sur site, hybride ou à distance. « Mon équipe a étudié les postes clairement étiquetés hybrides ou à distance, précise Rosie Hood, responsable data science chez LinkedIn. C’est-à-dire incluant du télétravail suffisamment régulièrement pour que le membre l’inscrive sur son profil, dans la section expérience. »
Pourtant, l’enquête de la sociologue Gabrielle Schütz, reprise par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, montre que les femmes sont « plus demandeuses » de télétravail.
Certes, les chiffres varient beaucoup, notamment d’un secteur d’activité à un autre. Dans l’hôtellerie-restauration ou la distribution par exemple, le télétravail est bien moins développé que dans la technologie ou la finance.
Plus de femmes à des postes de terrain moins qualifiés, plus d’hommes managers et dirigeants
De plus, les femmes ont ainsi des emplois moins qualifiés et plus souvent sur le terrain. Sur 10 emplois de « première ligne », 6 sont occupés par des femmes en 2021, selon une estimation menée en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Selon les données de LinkedIn, 66 % des professionnels occupant un poste à responsabilité (managers, directeurs, dirigeants…) en France sont des hommes. Or les professionnels en haut de l’organigramme sont aussi ceux qui ont plus facilement accès au télétravail.
Moins de télétravail féminin à poste équivalent
Mais ce qui frappe est l’écart en faveur des hommes dans tous les secteurs, toutes les classes d’âge et pour tous les niveaux de poste. Certes, dans les entreprises ayant un accord sur le télétravail (souvent des grands groupes), l’accès au télétravail est équivalent quel que soit le genre. Mais parfois, les préjugés vis-à-vis des équipes féminines en télétravail sont ancrés au plus profond de l’encadrement. « Certains managers s’imaginent qu’elles s’occupent des enfants en même temps », remarque Christine Courade, DRH à l’aéroport Toulouse-Blagnac.
Les préjugés sexistes subsistent dans la tête des managers
Une consultante RH de la région lyonnaise a « rencontré plusieurs PDG refusant le télétravail aux femmes, sous prétexte qu’elles allaient en profiter pour s’occuper des tâches ménagères et des enfants, voire se faire les ongles », explique-t-elle. Un de ses clients, une PME de l’industrie, a par exemple accordé plusieurs jours de télétravail par semaine aux commerciaux, principalement des hommes. Tandis que leurs collègues administratrices des ventes (ADV) étaient sommées de venir sur site tous les jours. « Quand j’ai demandé des explications, on m’a répondu qu’il fallait surveiller les ADV, comment elles parlaient aux clients, ce qu’elles faisaient pendant leurs pauses », déplore-t-elle.
Chez un industriel du Morbihan, employant une cinquantaine de salariés, le télétravail est interdit le mercredi. « Cela gêne notre dirigeant que les employées puissent gérer leurs enfants pendant leur travail, raconte la responsable RH. Mais ce qui est dérangeant, c’est qu’au moins deux hommes ont reçu une dérogation pour contourner cette règle. » Une injustice qui n’étonne pas vraiment un DRH indépendant à Paris : « C’est un grand classique des propos que vous pouvez entendre dans les comités de direction. Il faut éviter le télétravail le mercredi… pour les femmes. »
Ces biais cognitifs ancrés dans la tête des membres des dirigeants représentent une raison de plus pour appliquer rapidement la loi Rixain, qui impose en 2027 30 % de femmes dans les comités de direction des groupes de plus de 1.000 salariés, et 40 % en 2030. Et même, voire surtout, dans des entreprises moins grandes.
Asseoir sa légitimité, notamment dans la tech
Si le télétravail se négocie notamment à l’embauche, ni Michael Page ni Randstad n’ont constaté de différence significative entre hommes et femmes sur ce point. « Quand une femme prend des responsabilités ou manage une équipe, elle se sent obligée de venir sur site », témoigne Isabelle Bize. Selon cette responsable recrutement dans une entreprise de services numériques (ESN), le milieu de la technologie est particulièrement dur pour les femmes puisqu’elles sont en minorité : « Elles se sentent toujours illégitimes d’occuper un poste haut placé, et ressentent donc le besoin de prouver qu’elles ne sont pas là par hasard, en se privant de télétravailler par exemple »
Etre présente pour prouver son engagement
Selon les données LinkedIn, ce sont les postes juniors pour lesquels la différence entre hommes et femmes est la plus marquée : 72,5 % d’emplois en présentiel pour les premiers, 84,8 % pour les secondes. « On attend souvent des femmes qu’elles soient présentes physiquement au bureau pour démontrer leur engagement et leur sérieux », fait remarquer Emilie Chapelle responsable RH dans un cabinet de conseil.
Des femmes moins bien équipées pour le télétravail
Enfin, les femmes travaillent moins bien chez elles que les hommes. Selon l’Anact, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, 65 % d’entre elles disposent d’un environnement matériel adapté au distanciel, contre 71 % des hommes. L’écart est encore plus marqué quand il s’agit de gérer la maison ou la famille. Ainsi, plus de 37 % des femmes travaillant à distance – contre 21 % des hommes – consacrent au moins deux heures de leur journée aux tâches domestiques, notamment grâce au temps économisé dans les transports. C’est le cas pour seulement 21 % des hommes.
Vues ces inégalités dans les foyers, le télétravail n’est finalement plus un avantage pour les femmes, conclut l’étude. Ce n’est pas une raison pour ne pas l’accorder aux femmes néanmoins.