Jean-Loup Comeliau, product manager chez W4, éditeur dans le domaine de l’automatisation des processus, fait le point sur les outils de BPM.
Aujourd’hui, des tendances lourdes se conjuguent dans l’entreprise pour renforcer le pouvoir d’influence de chaque individu sur l’organisation du travail : interactions sociales, Cloud computing, mobilité et Big Data sont les plus importants de ces vecteurs. Les éditeurs de logiciels qui ambitionnent de jouer un rôle dans la transformation numérique de l’entreprise doivent mettre à profit ces forces pour démocratiser leurs solutions. Cela est particulièrement vrai dans le domaine de la gestion des processus métier, où les outils ne restent trop souvent accessibles qu’aux technophiles avertis.
Une étude du CXP de 2013 (« La gestion des processus métier en France ») confirmait l’amorce de la popularisation du BPM (Business Process Management), jadis réservé aux grands groupes internationaux, et dorénavant utilisé par les ETI. Mais cette enquête montrait aussi que les outils de gestion des processus métier restaient sous-utilisés, notamment pour l’automatisation : 23 % des entreprises en France les utilisaient pour modéliser leurs processus et seulement 17 % pour en orchestrer le déroulement.
2014 a vu l’apparition d’outils innovants destinés à rendre le BPA (Business Process Analysis) plus accessible, ce qui marque une accentuation de cette volonté de répondre aux besoins de nouveaux utilisateurs des solutions de workflow. Alors, de quoi s’agit-il ?
L’arrivée à maturation des technologies complexes permet souvent leur simplification et par suite, leur popularisation. En matière de BPM, l’approche pilotée par les modèles et la parution du standard BPMN2.0 pour décrire les processus ont beaucoup participé à cette simplification, en offrant un langage commun au métier et à l’informatique. En matière d’orchestration, la mobilité et l’accessibilité des applications depuis tous types de terminaux ont aussi joué un rôle important dans la simplification des flux de travail et des écrans. Mais pour élargir encore le débat et pouvoir fournir les services de type IBO (Intelligent Business Operations) visés par les suites de BPM de nouvelle génération, il faut pouvoir inciter tous les participants, en particulier les acteurs des équipes opérationnelles, à améliorer au fil de l’eau l’organisation du travail.
C’est ce que visent ces nouveaux outils, qui s’adressent aux architectes fonctionnels, aux responsables des processus et aux analystes, mais aussi aux opérationnels. Ils leur fournissent les fonctionnalités de modélisation, d’analyse et de diagnostic leur permettant de collaborer à l’amélioration de la performance de l’entreprise.
Pourquoi « démocratisation » ? Parce que le succès des entreprises repose souvent sur un savoir-faire unique, quelques fois disponible chez quelques employés clé (les rank-and-file employees, terme anglo-saxon désignant les soldats du rang dont le dossier était maintenu par des officiers). De tels individus n’occupent pas forcément des postes hiérarchiquement importants et ne sont pas consultés au moment de la conception initiale. Or, leur participation au cycle de vie et à l’optimisation du processus peut s’avérer essentielle : elle doit donc être incitée en leur rendant disponibles les outils adéquats qui s’inscrivent dans un effort plus global pour abaisser les barrières à l’entrée.
L’EBPA, un marché en devenir
Ce secteur de marché naissant porte un nom chez les analystes : l’EBPA (Enterprise Business Process Analysis). Il succède au Business Process Analysis (BPA), marché déjà mûr, mais s’adresse spécifiquement au métier, de plus en plus ciblé il est vrai par les initiatives de dématérialisation des processus. La modélisation y tient une place centrale, ainsi que la réutilisation et la découverte de graphes et de descriptions de processus (mécanismes d’import/export).
Mais les processus y sont mis en perspective dans un contexte plus global, depuis la définition itérative des besoins, jusqu’à la prise en compte d’événements complexes, en passant par les données connexes, l’organisation de l’entreprise (structure des services, liens hiérarchiques, privilèges, politiques de délégation, prise en compte du calendrier…), la prise en compte de nouvelles règles, la documentation des procédures, la définition des indicateurs clé de performance (KPI), la GRC (Gestion des Risques et de la Conformité), de la gouvernance, etc.
Ce contexte globalisé doit être rendu accessible et compréhensible via des services en ligne, comme l’hébergement cloud des modèles de processus, des mécanismes collaboratifs, des outils d’analyse itérative, des tableaux de bord visualisant les KPI en temps réel ou l’affichage des SLA. Des capacités fortes de personnalisation doivent permettre de considérer les opérations sous différents angles pour ne négliger aucune source d’amélioration. C’est à ce prix que les opérations métier deviendront « intelligentes ».
Le produit Visio de Microsoft par exemple, est une offre d’entrée de gamme sur ce marché, souvent utilisée par les analystes pour modéliser les processus, ce qui a conduit à un patrimoine important dans les entreprises sur la base de ce format. Visio 2013 met d’ailleurs l’accent sur le collaboratif, avec la co-rédaction en temps réel, des indicateurs de présence, ou encore la messagerie instantanée intégrée. Avec Office 365 Visio permet d’intégrer aisément les modèles dans la documentation projet.
IBM Rational SA est aussi une solution répandue offrant des fonctionnalités d’EBPA, mais plus en relation avec l’architecture d’entreprise. Les offres les plus sophistiquées à ce jour sont sans doute celles de Mega (une suite de solutions) et de Software AG (ARIS), qui offrent un éventail de capacités, mais qui sont aussi complexes et coûteuses à mettre en œuvre. D’autres offres innovantes voient aussi le jour, destinées à élargir le contexte du processus en mettant l’accent sur les points charnières (où métier, opérationnels et informatique interviennent) qui mènent aux prises de décisions stratégiques.
Améliorer l’existant
Dans le cadre d’une démarche d’amélioration des processus, cette chaîne d’outils prend tout son sens. Elle permet aux différentes parties prenantes de mieux collaborer au cours de cycles itératifs courts, incluant la validation et l’intégration fréquentes des modèles, permettant ainsi au métier et à l’informatique de s’épauler de manière plus efficace.
Chaque participant au processus ou utilisateur ad-hoc, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise, peut ainsi mieux comprendre son contexte d’intervention et celui des autres d’un point de vue global. Non seulement il peut jouer son rôle opérationnel lors de l’orchestration du processus par le moteur de workflow, mais il est en plus encouragé à partager son savoir-faire propre et son expérience de terrain en documentant les activités, en suggérant des améliorations dans les modèles, en identifiant des facteurs à risque, en décrivant des exceptions ou des flous opérationnels : il peut par exemple demander la transformation d’une activité en sous-processus, modélisant lui-même le changement suggéré grâce à des outils faciles d’accès, disponibles en mode SaaS, optimisant ainsi à terme la qualité de service rendu par l’entreprise et sa productivité.
Mieux gérer le changement
Ces outils intéressent aussi les entreprises qui ont besoin de s’adapter continuellement aux changements de leur métier. Quand un changement intervient dans un processus, qu’il soit volatile ou dû à des nouveautés influençant la nature opérationnelle, il est important de pouvoir identifier précisément ce qui a changé dans l’environnement et en quoi il s’agit d’une exception dans la gestion quotidienne.
L’approche analytique des processus peut alors aider à identifier ces variations imprévues et à modéliser les changements à apporter pour un réajustement rapide. Les fonctions de simulation à elles seules ne suffisent pas à anticiper l’imprévu, car par nature, elles ne permettent de prévoir que des scénarios prévisibles. Avoir en complément, une visibilité en temps réel des données opérationnelles et de la performance peut, par exemple, constituer une aide précieuse pour identifier rapidement les exceptions et quantifier l’impact des changements sur les résultats.
Complémentarité avec les suites de BPM
On le voit, l’EBPA s’adresse à un public en amont de celui utilisant les suites de BPM, qui elles, permettent l’automatisation des processus. A ce stade, les offres des éditeurs sont souvent partielles et considérées comme des extensions de produits existants. Le potentiel d’amélioration est énorme et les entreprises mettant en œuvre des solutions de BPM ont tout à y gagner.
La simulation pour les aspects prédictifs, l’analyse d’impact de type « what if », le reporting des indicateurs clé dans des tableaux de bords, l’exploitation du Big Data, l’indication en temps réel des performances des processus (nombre de dossiers en cours, temps moyen de traitement, charge quotidienne, goulots d’étranglements…) sont autant d’éléments dont la restitution contextualisée peut aider à clarifier les objectifs opérationnels en permettant de savoir à tout moment où on en est.