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Le Conseil national du numérique contre un statut spécifique aux travailleurs des plateformes, mais pour le dialogue social

Le Conseil national du numérique (CNNum) entend répondre concrètement à l’urgence de la situation des travailleurs des plateformes numériques tout en engageant une réflexion plus large. Il en a expliqué les enjeux lors d’une conférence de presse le 1er juillet.

Salwa Toko

« Les plateformes deviennent un nouveau canal de distribution du travail », affirme Salwa Toko, présidente du CNNum et copilote du groupe de travail « Travailleurs des plateformes », qui a produit un rapport sur le sujet remis le 1er juillet au secrétaire d’Etat chargé du numérique dans lequel il propose 15 mesures en faveur de ces travailleurs.
“C’est cette conviction qui nous a poussés à prendre position lors des débats parlementaires sur la loi d’orientation des mobilités. Nous avions alors manifesté notre opposition au système des chartes de responsabilité sociale (ndlr : d’ailleurs censurées par décision du Conseil constitutionnel), qui ne nous paraissaient pas répondre de façon adéquate à l’enjeu de la plateformisation du travail. Dans ce contexte, nous avons décidé de nous auto-saisir car il nous a paru essentiel d’émettre des propositions pour réguler cette nouvelle économie ».

Equilibrer les relations

Tout en constituant une formidable source d’emploi, les plateformes digitales sont aussi à l’origine de nouveaux travers. « La crise du Covid a agi comme un puissant révélateur de la vulnérabilité de certains des travailleurs, en particulier ceux qui étaient en première ligne pendant la crise, estime Salwa Toko. Celle-ci nous a renforcés dans notre conviction qu’il faut absolument agir, et vite, pour parvenir à un équilibre entre travailleurs et plateformes. Et c’est là qu’à notre sens, l’Etat a un rôle fondamental à jouer, qu’il a déjà commencé à remplir ». En témoigne la mission confiée en janvier dernier par le Premier ministre à Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de Cassation, afin de « définir les différents scénarios envisageables pour construire un cadre permettant la représentation des travailleurs des plateformes numériques ». Ses conclusions sont attendues pour octobre.

« Nos auditions ont montré de fortes attentes de la part des acteurs pour que l’Etat soit le garant de ce nouvel équilibre du travail, affirme Salwa Toko. Durant plus d’un an, nous avons appliqué notre méthode habituelle de travail : recherches, auditions, consultations des acteurs impliqués,  les plus variés possibles, afin de ne pas entendre un seul son de cloche ». Résultat, un rapport de plus de 200 pages, structuré en 15 recommandations.

Restaurer un équilibre entre travailleurs et plateformes

Henri Isaac

Les plateformes numériques constituent d’extraordinaires opportunités de croissance mais elles sont aussi à l’origine de souffrances inédites au travail. Face à ce constat, le rapport souligne la nécessité de les réguler de manière à restaurer un équilibre entre travailleurs et plateformes.
« Il nous a tout d’abord paru essentiel de nous attaquer à l’épineuse question du statut juridique des travailleurs. La Cour de Cassation ayant récemment décidé de requalifier un chauffeur Uber en salarié, nous ne pouvions pas ne pas l’adresser, déclare Henri Isaac, membre du groupe de travail. A cet égard, le rapport fait le constat d’une variété des plateformes, et plus important encore, d’une grande diversité des profils de travailleurs, qui a une incidence forte sur leur degré d’autonomie ».

Selon lui, les plateformes qui sont vertueuses doivent être soutenues et encouragées mais elles peuvent aussi faire mieux. « Des outils de design plus éthiques, plus responsables, peuvent permettre de réaliser ces activités en toute indépendance, explique-t-il. En outre, à travers le monde, des juges ont à plusieurs reprises fait le constat qu’il existe de nouvelles formes de subordination sur certaines plateformes. Lorsque les abus existent, il doivent être sanctionnés et nous recommandons à cette fin de mobiliser les outils numériques, notamment pour renforcer les contrôles et créer une base de données juridique sur les requalifications ».

Le CNNum contre le statut spécifique aux travailleurs des plateformes

Le CNNum est en revanche résolument opposé à l’adoption d’un statut spécifique aux travailleurs des plateformes, aussi appelé tiers statut. « Nous avons longuement examiné cette éventualité, confie Henri Isaac. L’idée n’est pas nouvelle en soi et revient assez régulièrement dans notre débat public. Elle a fait l’objet de nombreux rapports et surtout, elle est systématiquement écartée car tout le monde s’accorde pour dire qu’il existe un vrai risque de complexification de l’accès au droit et d’insécurité juridique pour les travailleurs comme pour les entreprises ». Il met également en avant le risque de création d’un droit du travail au rabais instituant une zone grise dans laquelle les travailleurs ont le pire des deux mondes entre le salariat et l’indépendance. Le CNNum a étayé ce constat en examinant trois pays où ce statut existe et où il s’avère un échec : l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni.

Création d’un Digiscore sur le modèle du Nutriscore

Maud Bailly

Pour répondre à ce besoin d’équilibre, le CNNum a également travaillé sur la responsabilisation de l’ensemble des acteurs, plateformes et consommateurs.
« Ces derniers ont leur rôle à jouer dans un contexte où l’on parle de plus en plus de responsabilité sociale des entreprises et de choix citoyen des consommateurs, estime Maud Bailly, membre du groupe de travail. L’une de nos recommandations est la création d’un Digiscore, un peu sur le modèle du Nutriscore qu’on retrouve sur les produits alimentaires. En effet, il existe aujourd’hui d’importantes asymétries d’informations, entre travailleurs, plateformes et consommateurs », souligne-t-elle.

Grâce à ce Digiscore, les consommateurs et les travailleurs auront accès à une information simple, loyale, claire et compréhensible sur les pratiques des plateformes. « L’idée n’est pas de stigmatiser les plateformes, qui sont des acteurs essentiels à l’ère du digital, mais de tirer vers le haut les meilleures d’entre elles. Et de les inciter à modifier et améliorer leurs comportements pour obtenir un score de plus en plus élevé et attirer non seulement plus de clients mais aussi plus de travailleurs », précise-t-elle.

Hind Elidrissi

Dans la lignée de la loi d’orientation des mobilités, le CNNum soutient également la voie du dialogue social comme une piste prometteuse de régulation.
« L’ensemble des acteurs, que ce soient les plateformes ou les travailleurs, réclament davantage de dialogue social, c’est même l’une de leurs revendications principales, affirme Hind Elidrissi, copilote du groupe de travail. Mais, nous avons aussi fait le constat qu’il est parfois compliqué ou impossible ».

Mettre en place un observatoire social des plateformes

Si la nécessité du dialogue social fait consensus, ses modalités font toutefois débat. « Les membres du CNNum ont estimé qu’elles devaient tout simplement être définies par les acteurs eux-mêmes, déclare Hind Elidrissi. Nous préconisons donc de mettre en place rapidement un observatoire social des plateformes, instance neutre d’échange entre l’ensemble des acteurs. Sa première mission serait la création du Digiscore et la deuxième une concertation nationale sous l’égide du Premier ministre, afin de négocier le protocole électoral et le fonctionnement du dialogue social ».

Le CNNum espère que certaines de ses préconisations, notamment le Digiscore et l’Observatoire, seront adoptées dans le cadre du plan de relance qui doit être présenté par le gouvernement à la rentrée.

 

 

Auteur : Patricia Dreidemy