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La régulation des plateformes numériques est-elle une nécessité ?

Des éléments de réponse avec Muriel Assuline, Avocate, experte en droit des nouvelles technologies de l’information et de la propriété intellectuelle, Cabinet Assuline & Partners.

En France, comme au niveau de l´Union européenne (UE), les organismes de régulation ont commencé à examiner avec la plus grande minutie le sujet de la régulation des plateformes numériques. En France, la loi « pour une République numérique » qui consacre le principe de loyauté des plateformes en ligne a été adoptée le 28 septembre 2016 par le Sénat, et finalement promulguée le 7 octobre 2016. Aussi, au niveau de l´UE, la Commission a présenté le 25 mai dernier son approche à l´égard des plateformes numériques. La régulation des plateformes est un prérequis indispensable à la confiance des consommateurs et même si ce n´est pas la position traditionnelle de l´autre côté de l´Atlantique, les débats actuels sur la puissance des plateformes pourraient aussi conduire à une régulation aux États-Unis.

Le sujet de la régulation des plateformes en ligne est d´une actualité brûlante en France. En ce sens, Axelle Lemaire, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, a affirmé récemment : «La France est très ouverte aux plateformes électronique, mais les consommateurs doivent être protégés ». Cette affirmation sera bientôt mise en action. En effet, le Parlement français vient d´adopter la loi « pour une République numérique » qui prévoit la création du principe de loyauté des plateformes en ligne. La loi a été adoptée le 28 septembre 2016 par le Sénat et promulguée le 7 octobre 2016.

Il faut rappeler que la loi impose aux plateformes une obligation de loyauté : elles doivent délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d’utilisation de leur service et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement utilisées (article 22). Si une relation contractuelle, des liens capitalistiques (entreprises appartenant à la même société mère par exemple) ou une rémunération existent entre la plateforme et les personnes référencées, la plateforme devra l’indiquer clairement.

Dans le même sens, afin de renforcer la lutte contre les abus de position dominante des moteurs de recherche à la lumière des communications de griefs adressées récemment par la Commission européenne à Google[1], le Sénat a rajouté une disposition prévoyant que le fait pour les moteurs de recherche qui se trouvent dans une situation de positions dominante « de favoriser leurs propres services ou ceux de toute autre entité ayant un lien juridique avec eux, dans leurs pages de résultats de recherche générale, en les positionnant et en les mettant en évidence indépendamment de leur niveau de performance est constitutif d’une pratique prohibée par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du même code » (article 22 bis A, al.2). Cette disposition a été néanmoins supprimée par la commission mixte paritaire.

L´adoption d´une approche européenne à l´égard des plateformes en ligne

A Bruxelles, aussi, la réglementation des plateformes électroniques est à l’ordre du jour. Le 25 mai dernier, la Commission européenne a annoncé la mise en place de son propre approche à l´égard des plateformes en ligne. Ses propositions couvrent l´obligation pour les plateformes en ligne d´avoir une attitude responsable par des actions visant à combattre les discours haineux en ligne, la mise en place d´un droit à la portabilité des données ou encore le renforcement de la confiance par une application effective de la règlementation concernant les droits des consommateurs.
« Nous y voilà à nouveau », beaucoup diront. Comme d´habitude l´Europe place la règlementation au-dessus de l´innovation, et puisque la plupart des plateformes sont d´origine américaine ou asiatique elle maintient une approche protectionniste. En effet, les entreprises européennes ont gagné seulement 5% environ des bénéfices des 50 plus grandes plateformes électroniques, qui ont atteint un revenu total de $ 1,6 trillions dans les 4 dernières années (évidemment plus de 80% de ces revenus ont fini aux États-Unis).

Les partisans des géants du Web ont critiqué l´approche de la Commission européenne qui poursuit depuis un certain temps les plateformes en ligne. En ce sens, Margrethe Vestager, Commissaire chargée de la politique de concurrence, a envoyé deux communications des griefs à Google dans une période de seulement un an, en l´accusant toujours d´avoir abusé de sa position dominante sur des différents marchés. D´un autre coté, en France, une enquête pour fraude fiscale a été ouverte le 16 juin 2015 à l´égard de Google.

Néanmoins, il ne faut pas oublier qu´en Europe, la réglementation est un moyen de veiller à ce que la concurrence soit effective et que les utilisateurs soient protégés. En effet, comme l´a souligné Axelle Lemaire « le mot régulation n’a pas la même signification en France qu´aux États-Unis ».

Or, parce que les utilisateurs sont au cœur du modèle d´affaires de ces grandes plateformes numériques, il faut que leur protection soit assurée. Selon Axelle Lemaire, la confiance des utilisateurs est essentielle au bon fonctionnement d´une économie numérique : « Quand nous disons que les données personnelles doivent être protégées, cela ne veut pas dire que nous avons la volonté de nuire aux entreprises. A contrario, ceci est la façon dont la révolution numérique doit continuer ».

Une préoccupation croissante de régulation au niveau mondial

Si l’Europe- de façon prévisible- réagit à la montée en puissance des plateformes par une régulation sévère, la réponse américaine correspond également à un stéréotype. Aux États-Unis, les régulateurs ont largement donné aux plateformes nationales un libre cours, ce qui est sans doute lié au fait que les géants du Web sont actuellement les lobbyistes les plus fervents. Par exemple, en 2013, la Federal Trade Commission (l´équivalent de l´Autorité de la concurrence française), qui monitorisait l´activité Google, a décidé de ne prendre aucune mesure.
Néanmoins, le débat sur la puissance des plateformes a augmenté ce mois aux États-Unis suite à des rapports selon lesquels des employés de Facebook ont gardé des sujets d’actualité qui concernaient le Parti Républicain loin de l’affichage de premier plan.
Maintenant, les vents réglementaires ont commencé à se déplacer. La Federal Trade Commission semble avoir des doutes: elle surveille non seulement les activités de recherche de Google, mais cherche aussi à savoir si l´entreprise abuse de sa position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation mobiles. De plus, il est peu probable que celui qui sera élu Président aux États-Unis en novembre ignorera la question de la régulation des plateformes numériques. “Si je deviens président, oh, ont-ils des problèmes !!”, a affirmé Donald Trump – qui a été désigné récemment candidat officiel du Parti Républicain – à propos d’Amazon, l’accusant d’évasion fiscale.

La collecte massive des données personnelles- source de puissance sur le marché ?

La question la plus problématique concerne la façon dont les plateformes électroniques collectent des données personnelles des utilisateurs à l´aide des objets connectés périphériques. En effet, à l´aide des méga données (Big Data), les entreprises ont la possibilité d´améliorer leurs services ainsi que d´envoyer des annonces ciblées. Or, ces données peuvent aussi être une source de puissance sur le marché…Ce phénomène a commencé d´ être examiné avec attention par les experts de l´antitrust. En ce sens, un rapport d´un comité influent à la Chambre des Lords au Royaume-Uni a souligné qu’un « accès exclusif à de multiples sources de données des utilisateurs peut conférer un avantage incomparable aux plateformes en ligne». De même, l´autorité de la concurrence allemande (le Bundeskartellamt) est en train d´enquêter une affaire qui concerne Facebook afin de savoir si celui-ci n´a pas abusé de sa position dominante en imposant des règles de confidentialité faibles aux utilisateurs.

Puisque les connaissances actuelles sur le mécanisme de fonctionnement du marché des données sont assez réduites, la Commission européenne n´a pris en ce sens que des mesures limitées. Par exemple, une proposition a été faite par la Commission de faciliter, pour les consommateurs et les entreprises, le transfert des données dans le cas de changement de plateforme électronique. Cela pourrait limiter la capacité des plateformes en ligne de collecter les données personnelles sur leurs utilisateurs.

On pourrait conclure que certes les organismes de régulation ont encore beaucoup à apprendre sur la façon dont il faut règlementer les plateformes numériques. Néanmoins, ces organismes n´auront d´autre choix que d´accumuler plus d´expérience. En ce sens, Martin Bailey qui dirige les efforts de la Commission européenne de créer un marché unique numérique a indiqué à la Chambre des Lords: “il n’y a guère de zone de développement économique et, sans doute, d´interaction sociale ces jours-ci qui est laissée intacte par les plateformes numériques”. Ainsi, la régulation des plateformes est sans doute devenue une nécessité.

 

[1] COMMISSION EUROPEENNE, Abus de position dominante : la Commission adresse une communication des griefs à Google au sujet du service de comparaison de prix et ouvre une procédure formelle d’examen distincte concernant Android, Bruxelles, 15 avril 2015 ;

COMMISSION EUROPEENNE, Abus de position dominante: la Commission adresse à Google une communication des griefs concernant le système d’exploitation et les applications Android, Bruxelles, le 20 avril 2016.