Trois sujets étaient aux cœur des discussions entre les nombreux visiteurs du salon IT Partners 2022 : à commencer par le plaisir de se revoir après 2 années d’absence dues aux confinements Covid. Ce thème devançait de peu celui des pénuries de matériels et de talents sur fond de probable contraction fin 2022 du marché IT, après deux années d’euphorie sur les ventes, et alors que la stagflation gagne du terrain dans les différentes économies.
Quelques soient les lignes de produits IT concernés (PC, stockage, réseaux, etc.), peu de fournisseurs ou de revendeurs interrogés lors du salon IT Partners 2022 anticipent un « retour à la normale », donc pré-Covid, des disponibilités sur leurs produits IT avant début 2023. Certains évoquent même le milieu d’année prochaine sur certain références concernant les routeurs, les serveurs, etc.
Surtout si la guerre que mène la Russie en Ukraine perdure, que la Covid incite encore la Chine à fermer des villes entières dans le sud du pays, que le prix des énergies et des matières premières continuent de flamber, de même que ceux du transport et des containers, des assurances, etc.
Nouveau recul des ventes pour le secteur de l’impression
Commençons par le secteur de l’impression, qui est l’un des plus touchés par la pénurie de produits suite aux confinements Covid-19 successifs enregistrés dans le monde et notamment en Chine, leur lieu de production. Selon la société d’études Context, les grossistes IT français ont enregistré au premier trimestre 2022 un recul de leur ventes et livraisons de copieurs et d’imprimantes de 15,2 % et 19,8 % respectivement. Et cela malgré le retour au bureau, dès le premier trimestre 2022 de nombreux collaborateurs jadis confinés totalement ou partiellement à leurs domiciles, souvent en télétravail. Cela va donc régler en partie le problème de la pénurie d’imprimantes, mais pas de manière positive sur un marché de l’impression déjà baissier depuis des années.
Le segment grand public, particulièrement saturé ces deux dernières années après les nombreux achats d’imprimantes jet d’encre de la part de particuliers et de TPE/PME désireuses de continuer à télétravailler lors des confinements, a même vu ses livraisons reculer de 36% sur la période. Le segment professionnel n’a enregistré lui qu’une baisse limitée à 13% en termes d’unités livrées. Les retards de livraison et les pénuries de composants et de matières premières ont aussi contribué à la contraction d’un marché de l’impression toujours en recul.
« Il existe encore des problèmes d’approvisionnement et de sourcing des composants sur les MPS A4 jet d’encre fabriqués en chine, mais le flux est correct sur les copieurs A3 fabriqués eux au Japon et en Indonésie », confirme Louis Bernard, directeur commercial de la division bureautique d’Epson.
Les ventes de PC et serveurs restent soutenues mais reculent
Les ventes de PC et de serveurs continuent, quand à elle, d’enregistrer des ventes élevées malgré une première alerte sur un ralentissement de leurs ventes dès fin 2021. Selon IDC, celles des PC et des tablettes devraient reculer respectivement 8,2% et 6,2% en 2022. Néanmoins, le nombre d’unités livrées devrait rester supérieur à celui enregistré avant la pandémie de Covid-19. L’atterrissage, plus ou moins brutal, de ces marchés devrait se produire dès 2023.
Côté pénurie, les PC et les serveurs ne sont pas gâtés. « Les forecasts sont à 6 mois, les livraisons à 3 actuellement » nous rappelle le responsable commercial d’un grand constructeur de PC. « Quand aux fournisseurs qui disent le contraire… ils ne disent pas la vérité ». Il y en a peu, heureusement, même si certains constructeurs continuent à expliquer qu’ils n’enregistrent quasiment aucune pénurie désormais, sur certaines références sans doute, mais pas sur tout leur portfolio.
L’absence aléatoire de certains composants aggrave la situation
Vincent Leroy, directeur marketing de Dynabook en France, a pris le temps sur IT Partners de nous expliquer la nature des pénuries successives qui frappent les PC et les serveurs. Pour résumer la situation actuelle, qui est très volatile, « il existe par exemple une tension importante actuellement sur la fourniture des chargeurs secteur, mais aussi d’un composant électrique se situant derrière le connecteur USB. Le mois d’avant, c’était sur les track pads, les docks et les modules Wi-Fi 6. Les constructeurs passent donc beaucoup de temps à changer de fournisseurs dès qu’une nouvelle rupture de stocks apparaît sur un composant. A chaque fois, ils doivent faire preuve d’une grande souplesse pour adapter les nouveaux composants à leurs processus de certification. Toutes ces contraintes allongent leurs cycles de production, dont il faut réajuster régulièrement les paramètres.».
Bernard Mamou, le directeur commercial du grossiste MCA Technology, estime que « les problèmes de disponibilité sur les serveurs sont toujours importants, à cause des alimentations notamment. Mais Dell est l’un des seuls fournisseurs à avoir livré correctement pendant la Covid, surtout sur les modèles moyen et haut de gamme de son catalogue ». Florence Ropion, la directrice du channel de Dell Technologies en France, nous a confirmé que « De février à avril 2022, Dell Technologies a battu un nouveau record trimestriel de ventes car nous avons des stocks et nous n’enregistrons que peu de problèmes d’approvisionnement. Je suis davantage préoccupée par les pénuries de talents dont sont victimes nos partenaires ».
Roselyne Ludena, la directrice du channel de HP en France, indique également que « HP est revenu ce printemps à un niveau de disponibilité acceptable sur les gammes HP 400, 600 et 800 en France, même s’il existe encore des tensions sur les stations de travail, comme chez beaucoup de fournisseurs ».
La situation est encore très tendue sur certains produits réseaux
Côté réseau, la situation est encore très tendue sur certains produits, et tout particulièrement sur les routeurs mais aussi les points d’accès utilisant la nouvelle norme Wi-Fi 6 par exemple. Selon Marilyne Michel, la directrice en France de D-Link, un constructeur de produits réseaux : « Le délais d’attente avoisine fréquemment jusqu’à 56 semaines sur les nouvelles commandes pour de nombreux produits réseaux très recherchés, tels que les points d’accès en Wi-Fi 6 par exemple ».
Une tendance que nous a confirmé Laurent Degré, le directeur général en France de Cisco, le leader mondial des équipements réseau, qui estime qu’une multiplicité de causes, tant politiques qu’économiques, explique la pénurie actuelle : « Les disponibilités sur les lignes de produits réseau s’améliorent même si tous les fournisseurs rencontrent encore des problèmes sur certaines gammes, en l’absence de disponibilités sur quelques composants critiques. Résultat, nous les surpayons tous, de même que les containers, afin de limiter les problèmes de disponibilité. En parallèle, nous nous organisons pour diversifier nos lignes et nos sources d’approvisionnement ». Avec succès semble-t-il, car Cisco déclare ne pas avoir enregistrer de ralentissement des commandes sur son deuxième trimestre fiscal.
Fayce Mouhaiddine, le directeur de l’activité Cybersécurité de Cisco en France, précise cependant que « Les usines chinoises ne tournent pas toutes à plein régime. Les fournisseurs de produits réseaux ont enregistré au printemps quelques problèmes de livraison sur les routeurs car ils sont bloquées en Chine, comme les bateaux. Cette situation encourage certaines entreprises qui n’arrivent pas à déployer leurs projets IT à s’intéresser davantage au cloud. Cisco n’a jamais enregistré autant de demandes des clients pour ce type de projet ».
Les livraisons par avion sont encore fréquentes…
Vues les faibles disponibilités sur certaines références très demandées, beaucoup de constructeurs d’imprimantes ou d’autres produits IT utilisent encore l’avion pour livrer leurs machines générant les meilleures marges ; ou uniquement leurs cartes-mères le plus souvent à cause du prix élevé du fret. Une fois arrivées à destination, celles-ci sont ensuite insérées par les grossistes IT et les bureauticiens dans le corps des machines livrées elles par bateau. Idem pour les cartes mères ou graphiques de certains serveurs, PC ou produits réseaux ou de stockage.
L’avion demeure donc encore beaucoup plus utilisé qu’avant la Covid-19 afin de permettre aux fournisseurs IT, et même à ceux qui mettent en avant leurs engagements RSE, de réaliser leurs chiffre d’affaires trimestriels. D’autant que plus aucun assureur n’accepte d’assurer les trains, voire les avions, qui passent de près ou de loin à proximité de la Russie. Et cela alors que beaucoup de cargos sont bloqués à quai en Chine. Ils ne peuvent charger des cargaisons complètes à des prix acceptables, à cause de l’envolée du prix des containers et des énergies, mais aussi faute de cargaisons. En effet, le Gouvernement chinois impose des confinements Covid à certaines villes du sud de la Chine, où se trouvent la majorité des usines fabriquant des produits IT.
… Et les prix flambent
Les prix de tous les produits IT ont donc fortement augmenté depuis 2021 chez tous les constructeurs IT. Sur l’année écoulée, les augmentations sur les PC, les serveurs et les produits réseaux avoisinent de 5 à 10 % en moyenne, voire plus sur des modèles haut de gamme. Elles sont souvent nettement plus élevées sur les imprimantes. Des acteurs comme Canon ont augmenté leur prix de 15 % à 20 % en moyenne sur certains modèles sous tension selon le distributeur Carol Bureau. En revanche, la hausse est beaucoup plus modérée sur les consommables, de l’ordre d’environ 3 à 5 %, dont les taux de disponibilité ont toujours été élevés. Ces hausses de prix devraient continuer sur le deuxième semestre 2022 si les pénuries (orchestrées?) de semi-conducteurs et de composants se poursuivent.
Photo IT Partners 2022 : Olivier Bellin