La tendance à la forte hausse des salaires sur le marché de l’emploi IT et digital se calme selon Hymane Ben Aoun, directrice générale d’Humanskills, qui regroupe des entreprises de services RH, dont le cabinet de recrutement Aravati qu’elle a cofondé.
Solutions Numériques : Comment la tendance à la hausse des salaires sur le marché de l’emploi IT depuis 2020 s’est-elle concrétisée ?
Hymane Ben Aoun : Voici quelques exemples de ce que j’ai pu constater jusqu’à récemment. Certains de nos clients ne pouvaient pas recruter car les prétentions salariales des candidats étaient hors budget. Le besoin de données de qualité, notamment pour alimenter les algorithmes d’intelligence artificielle, a fait fortement augmenter les salaires des data ingénieurs et data scientists.
Sorare, startup de jeu sportif en ligne, a proposé des salaires au-dessus de ce que demande les développeurs car de toute façon il fallait pouvoir délivrer les projets sous peine de pertes importantes.
Dans l’infrastructure, la nécessité du travail en présentiel a aussi poussé à l’augmentation des salaires. L’industrie peine à attirer les jeunes, souffrant d’une mauvaise image auprès d’eux en termes de RSE : un de nos clients dans l’industrie phytosanitaire n’a pas eu d’autre choix que d’augmenter les salaires.
Selon la Relève, filiale d’Humanskills, spécialisée dans les profils pénuriques du futur jeune diplômé à 5 ans d’expérience, le salaire de départ d’un diplômé d’une des plus grandes écoles d’ingénieur est a minima de 40 KE bruts dans une grande entreprise en région parisienne.
Quelle analyse faites-vous aujourd’hui du marché de l’emploi IT ?
C’est la fin de la démesure et de la surenchère des salaires qui a été poussée à la fois par la pénurie de talents et les importantes levées de fonds des startups. Certes, la pénurie de profils reste structurelle, avec le quasi plein emploi des cadres. Mais après une hausse des salaires du digital de 10,6 % en 2021 puis de 14,2 % au 1er semestre 2022 selon l’étude Aravati réalisée avec Figures, un réel ralentissement est enregistré. Divers facteurs l’expliquent : crise économique, inflation, gel des embauches… et les entreprises repensent leur stratégie marque employeur pour valoriser la mobilité interne et capitaliser sur la formation de leurs collaborateurs. Cela va par conséquent stopper la flambée des salaires pour rééquilibrer la donne en 2023.
“Après une hausse des salaires du digital, un réel ralentissement est enregistré. »
De fait, nous constatons ce ralentissement de la compétition sur le marché de l’emploi tech depuis septembre 2022, qui se traduit par des prétentions salariales plus raisonnables. De plus, nos clients manifestaient en fin d’année 2022 une certaine inquiétude sur des projets agiles, des projets de transformation digitale à fort enjeu mais ne savaient pas si les budgets nécessaires allaient être validés. Notons toutefois que des grandes entreprises à fort capacité d’investissement poursuivent leurs projets en 2023.
Ce ralentissement est également dû à la diminution significative des levées de fonds. Les financeurs, après avoir souhaité de forts rendements qui les rendaient moins regardants en termes de risques préfèrent actuellement sécuriser leurs investissements, ce qui a provoqué la baisse des recrutements au sein des startups et des scaleups qui ne dynamisent plus le marché de l’emploi IT.
Quelles sont les solutions que vous préconisez dans ce contexte un peu moins tendu mais qui reste pénurique ?
Il est important d’identifier en interne les colaborateurs qui peuvent monter en compétences. Le reskilling, dispositif de reconversion, peut être une partie de la solution face à la hausse des salaires et la pénurie de talents. Ainsi, Seb recherche des media retail managers pour la gestion des relations avec les marketplaces : combler son besoin peut passer par la formation de cadres commerciaux traditionnels.
“Le reskilling, dispositif
de reconversion, peut être
une partie de la solution face
à la hausse des salaires
et la pénurie de talents. »
Il s’agit également de travailler sur la politique de rétention : pour retenir les personnes qui démissionnent, des employeurs augmentent le salaire, donnent des congés gratuits, les font évoluer vers de nouvelles missions.
Nous voyons également des managers qui remettent en cause le style de management directif, et qui améliorent leurs compétences en animation et fidélisation des équipes. Une femme manager m’a dit qu’elle était « G.O » pour la cohésion du groupe !
Quelles sont les attentes des candidats auxquelles les entreprises doivent répondre ?
Les candidats veulent du télétravail, sinon ils ne viennent pas ! Bouygues Telecom en banlieue parisienne loin du métro est passé de un jour de télétravail par semaine à deux, voire trois.
Un de nos clients du secteur de l’infrastructure, où la possibilité de travail à distance est plus limitée, propose 35h par semaine regroupées sur 4 jours, pour limiter les déplacements.
“Les candidats veulent
du télétravail, sinon ils
ne viennent pas ! »
Quelles solutions peuvent mettre en place les ESN, qui proposent des salaires moins élevés que leurs concurrents ?
Les ESN recrutent beaucoup de juniors, attirés par les missions courtes et leurs challenges. Mais ceux-ci ont tendance à rejoindre les cabinets de conseil plus rémunérateurs. Pour les retenir, les ESN doivent leur proposer de la formation, de l’accompagnement dans l’évolution de carrière et du choix dans leurs missions.