AVIS D’EXPERT – En matière d’intelligence artificielle, passer d’un projet pilote à une logique industrielle est un véritable défi. Adrien Basso-Blandin, directeur IA/MLOps chez Niji, fait le point pour les lecteurs de Solutions Numériques sur les enjeux et bonnes pratiques d’un passage à l’échelle réussi.
L’usage de l’Intelligence Artificielle en entreprise est aujourd’hui inévitable. Qu’elle émane d’une volonté du département marketing souhaitant suivre un effet de mode, d’un projet initié par la DSI pour répondre à un besoin caractérisé des équipes, ou directement des collaborateurs sans aucune supervision (on parle alors de Shadow IA), l’utilisation des outils IA est au cœur de la transformation de nos entreprises. Plus encore, l’IA est devenue un incontournable pour permettre à ces dernières de rester compétitives et d’anticiper les évolutions de leur marché. Mais si les récentes avancées de l’IA Generative accélèrent et bousculent certaines applications métiers, passer d’un projet pilote à une logique industrielle est un véritable défi. Quel alignement stratégique ? Quelle organisation agile et multidisciplinaire ? Avec quels outils et processus ? Comment s’assurer de l’adhésion au projet des équipes métiers ? Comment mesurer le ROI ? Retour sur les enjeux et bonnes pratiques d’un passage à l’échelle réussi.
L’IA, gage de performance pour les entreprises
Portée par des évolutions technologiques notables et rendue accessible à tous par son intégration au sein des outils métier, l’IA a connu ces dernières années une accélération sans précédent. De quoi pousser de nombreuses entreprises à lancer des projets pilotes… qu’il leur faut désormais faire passer à l’échelle industrielle pour gagner en performance. Automatisation des tâches, permettant de recentrer l’ensemble des métiers sur des missions à forte valeur ajoutée ; aide à la décision, ce de manière éclairée et avec une prise en compte systématique de l’ensemble des paramètres ; amélioration de l’expérience client via des modèles actifs 24h/24 et 7j/7 ou via la génération d’un medium d’échange basé sur la description de l’incident ; optimisation des processus, en minimisant les étapes d’intervention humaine ; apprentissage automatique, notamment de l’expertise métier pour capitaliser sur la connaissance des profils les plus seniors ; analyse prédictive en vue de prévisions de tendances ou de scoring clients ; modélisation des systèmes ; réduction des coûts et des erreurs… En faisant ainsi la liste à la Prévert des gains considérables liés à l’industrialisation de l’IA, cela à tous les niveaux de la chaine de valeur, il semble presque impensable d’imaginer que les entreprises n’aient pas déjà engagé un tel processus. Or près de 85 % des projets IA échouent à passer en production, selon une étude de Gartner en 2022.
Projets IA : un passage à l’échelle industrielle encore difficile
Pour comprendre ce chiffre déconcertant, il est nécessaire de s’intéresser aux freins intrinsèques au passage à l’échelle de l’IA. Outre les questions éthiques et réglementaires ou les problématiques liées aux sources de données multiples, l’IA peut faire peur. Le fait qu’il s’agisse d’un outil en boite noire sur lequel la plupart des utilisateurs n’ont ni connaissance ni maitrise peut en effet entrainer des problématiques d’adoption, côté collaborateurs comme clients. La capacité de l’entreprise à s’aligner stratégiquement est également un des principaux enjeux. Il convient en effet de s’assurer du fait que l’ensemble des départements sont en phase avec le projet IA développé mais aussi que ce dernier répond à des problématiques métiers et/ou clients et n’est pas juste un gadget de plus qui, une fois l’effet waouh estompé, n’aura pas d’effet long terme sur l’entreprise. Avec de nouveaux frameworks et outils qui apparaissent chaque jour, les choix technologiques peuvent aussi être rendus complexes. Par ailleurs, l’IA est à l’intersection des mathématiques, de la connaissance métier et de l’informatique. Trois pôles qui ont par nature peu de sémantique commune et qu’il faut réussir à coordonner. Son industrialisation demande donc une approche R&D, presque exploratoire, et implique des profils peu habitués aux méthodes agiles. Pourtant, le temps de développement étant long, la co-construction est en effet centrale. Elle seule est en mesure de faire en sorte que le projet s’adapte aux évolutions du besoin initial comme aux changements réglementaires, au fur et à mesure de son développement. Enfin, les coûts de déploiement de ce type de modèles peuvent être élevés et le ROI à court terme est difficilement mesurable. Il convient donc de réfléchir en amont aux KPI à suivre. Des metrics qui seront spécifiques à chaque modèle.
Industrialisation IA : des solutions pour surmonter les freins au déploiement
S’il convient avant toute chose de garder en tête que le recours à l’IA n’est pas systématique (selon le cas d’usage, certains algorithmes simples peuvent parfois suffire), dès lors que son utilisation est justifiée, une introduction aux méthodes agiles au sein des différents départements impliqués dans le projet (CTO, DSI, Data Officer, Responsable d’une ligne de service ou produits métier, etc.) est essentiel. Un fonctionnement data-driven en sprints successifs d’une durée de deux à trois semaines selon la complexité des données à traiter est le plus pertinent pour une supervision en quasi temps réel de l’avancée du niveau de réponse au besoin initial. Là où un Data Scientist aura tendance à rechercher la plus grande exactitude, les équipes métiers obtiennent parfois une réponse suffisante à leur demande avec un niveau de précision moyen. De quoi raccourcir le temps de développement. L’IA a par ailleurs cet avantage, dont il faut tirer parti lors de cette phase d’industrialisation : il est facile de standardiser le déploiement des modèles. Il existe en effet aujourd’hui de nombreuses briques qu’il est possible d’assembler. Ensuite, dès lors qu’un modèle est mis en place, il convient d’instaurer un monitoring des données. Il ne s’agit pas juste de s’assurer qu’il n’y ait pas de bug, mais bien que les données entrées dans le modèle ne varient pas par rapport à celles qui ont servi à l’entrainer. Une façon de contrôler qu’il n’adopte pas un comportement déviant, et perde de fait en précision. Une fois déployé, l’outil IA doit enfin être parfaitement intégré au process de l’entreprise, sans que cela ne demande le moindre effort d’accès aux collaborateurs, de sorte à faciliter son adoption.
Autant de bonnes pratiques qui permettront de surmonter les barrières inhérentes au passage à l’échelle des projets IA, et assureront ainsi le dynamisme de notre tissu économique !
Adrien Basso-Blandin, Niji