Déjà très décrié par les défenseurs des libertés, le fichier TAJ vient d’être épinglé plusieurs manquements, que ce soit l’inexactitude des données conservées ou encore l’absence d’information des personnes concernées.
Institué par la loi LOPSSI 2 en 2011, le fichier Traitement d’antécédents judiciaires, TAJ pour les intimes, fait l’objet depuis sa création de nombreuses critiques, aussi bien de la part d’associations que des plus hautes juridictions françaises et européennes. Et voici que la Cnil vient (à nouveau) épinglé les ministères de l’Intérieur et de la Justice quant à leur gestion de ce fichier ô combien sensible. Car « à l’issue d’une procédure de contrôle », le gendarme des données personnelles a relevé plusieurs manquements à la loi Informatique et Libertés.
Des données inexactes
A commencer par la conservation, pour une durée comprise entre 5 et 40 ans, de données « inexactes, incomplètes ou qui ne sont plus à jour ». Car si la mise à jour d’une fiche est obligatoire en fonction des évolutions judiciaires d’un affaire, force est de constater que c’est loin d’être le cas. Ainsi, les données doivent être corrigées lors d’une requalification, effacées en en cas de décision de relaxe ou d’acquittement. Et les données des personnes mises en cause font l’objet d’une mention en cas de non-lieu ou de classement sans suite.
Or, « si plus d’un million de décisions devraient donner lieu à des mises à jour chaque année, il ne décompte qu’environ 300 000 décisions de mises à jour prises par an » note la formation restreinte dans sa décision. D’une part, la Cnil constate que, malgré les efforts des deux ministères, « les travaux d’interconnexion des fichiers CASSIOPEE et TAJ n’ont pas abouti et qu’ils se heurtent toujours à des difficultés techniques ».
Une transmission défaillante entre justice et police
D’autre part, les parquets ne transmettent pas automatiquement au gestionnaire du TAJ les décisions de relaxe, d’acquittement, de non-lieu et de classement sans suite. « Au jour du contrôle, certaines juridictions ne transmettaient aucune décision au TAJ et d’autres n’en transmettaient que certaines » constate le régulateur. Or, sans ces informations, les gestionnaires du fichier ne peuvent effacer des fiches de personnes acquittées ou mentionner un non-lieu.
Avec des « conséquences concrètes et graves » pour les concernés, puisque l’inexactitude des données du TAJ peut notamment « influer la conclusion d’enquêtes administratives préalables à l’exercice d’une profession ou à l’admission à se présenter à un concours de la fonction publique ».
Droit d’accès et défaut d’information
En outre, la CNIL a constaté que « les services gestionnaires du TAJ éprouvent des difficultés à obtenir des réponses de la part des parquets consultés dans le cadre des demandes de droit d’accès de particuliers ». Mais pour faire valoir ce droit, encore eût-il fallu qu’ils se sussent inscrits au fichier. C’est un autre manquement constaté : l’information des personnes lors de l’inscription au TAJ pouvait ne pas être « spécifique » au TAJ, voire « lacunaire » ou « inexistante ». « Ainsi, les intéressés étaient susceptibles d’ignorer jusqu’à l’existence même de ce fichier » déplore la Cnil.
Ministères de l’Intérieur et de la Justice se voient donc rappelés à l’ordre et enjoints d’une part de prendre les mesures destinées à assurer l’exactitude des données, de l’autre à garantir aussi bien l’information des personnes que l’effectivité du droit d’accès. Et ce d’ici au 31 octobre 2026.
24 millions de Français concernés
Cette décision a été rendue publique compte tenu de « l’ancienneté de la problématique », de « la sensibilité du traitement » (notons qu’en 2019 600 000 fiches concernaient des mineurs) et du « nombre important de personnes concernées ». Car on apprend de la délibération de la Cnil que le fichier contenait en 2022 « plus de 24 millions de fiches de personnes physiques mises en cause dont 8 millions étaient anonymisées », contre 18,9 millions de fiches quatre ans auparavant, 15,6 millions en 2016.
Quant à l’ancienneté, on rappellera que, dans une délibération datant de 2015, la Cnil avait déjà mis en demeure le ministère de l’Intérieur de respecter le droit en matière de demandes d’accès aux données. Pire encore, en 2009, la même Cnil avait dans un rapport étrillé le prédécesseur du TAJ, le STIC, quant aux inexactitudes des informations qu’il contenait du fait de « l’absence quasi systématique de transmission par les parquets des suites judiciaires nécessaires à la mise à jour » dudit fichier.