Philippe Boissat, directeur général EMEA de iBASEt, spécialiste de la modernisation et l’optimisation des processus de production complexes, présente aux lecteurs de Solutions Numériques les bénéfices du numérique dans le secteur des industries complexes, et le rôle essentiel joué par le « fil numérique », élément central de la chaîne de fabrication numérique.
Le numérique est la 4ème révolution industrielle. Ne pas franchir le cap pour une entreprise c’est s’exposer à une perte d’attractivité et à un retard difficile à combler par rapport à des concurrents ayant embrassé pleinement le numérique dans leur chaine de production, dans la conception, la gestion, le suivi du cycle de vie de leurs produits, etc.
Mais dans certaines industries, complexes et discrètes, telles que l’aéronautique, l’aérospatial, la défense ou encore le nucléaire, rester à l’avant-garde des initiatives numériques, peut se révéler une tâche très difficile.
La fabrication numérique et l’établissement d’un « fil numérique » (Digital Thread en anglais) entre ses équipements numériques, ses données, sont pourtant des conditions essentielles à une réussite pérenne. Comment cela fonctionne-t-il ? Comment mettre en place ce fil pour tirer parti de la transformation numérique ?
La fabrication numérique est impossible sans un « fil numérique »
La fabrication numérique est l’application des technologies numériques à la chaîne de valeur manufacturière. Il n’est pas question ici de la simple utilisation de systèmes électroniques. Les fabricants y ont déjà recours depuis des décennies. Les systèmes électroniques produisent des données statiques stockées dans des silos cloisonnés. Ces données sont conservées dans des bases de données ou des banques d’informations isolées les unes des autres, sous forme de fichiers PDF, de feuilles Excel ou de bases de données propriétaires.
La donnée est la force de l’entreprise numérique
Le principe de la fabrication numérique est bien différent. Les données sont manipulables. Il est possible de leur appliquer une logique, de s’en servir pour définir des tendances, d’interagir avec elles, de les transformer et de les transmettre en toute transparence à d’autres systèmes. L’idée fondamentale à retenir est celle d’interconnexion. Les systèmes numérisés sur lesquels repose la fabrication numérique sont reliés entre eux par un « fil numérique » qui unifie tous les systèmes et processus. De la conception au sourçage, de la production à la maintenance, et de l’élaboration des produits à la fin de leur cycle de vie, le fil numérique offre un plus haut niveau de visibilité, d’efficacité, de qualité et de service client.
En fait, la fabrication numérique est impossible à réaliser sans un fil numérique. Les données ne sont saisies qu’une seule fois. Elles sont ensuite transmises à d’autres fonctions de l’entreprise via des échanges de type publication/abonnement. Chaque transfert numérique est structuré et analysable. Une fois les données saisies, elles n’ont plus besoin d’être traduites, ressaisies, ni transformées manuellement au niveau des processus en aval. Elles conservent leur associativité numérique, ce qui garantit un contrôle efficace des révisions des objets dérivés. Les données numériques d’un produit reflètent en temps réel le produit physique tout au long de son cycle de vie.
Les entreprises ayant mis en œuvre un fil numérique bénéficient d’une valeur ajoutée claire :
- Lancement d’un nouveau produit 20 fois plus rapidement
- 30 % de temps en moins consacré à l’ingénierie
- Baisse de 74 % du temps consacré à la conception, à la fabrication et au cycle d’inspection
- Réduction de 77 % du temps de réponse des fournisseurs
- 20 % de remaniements en moins au niveau de la fabrication et des fournisseurs
La philosophie du numérique
La fabrication numérique est bien plus qu’une technologie. C’est une philosophie de gestion qui s’appuie sur la technologie. Prenons un exemple concret. Une petite entreprise qui utilise le logiciel de gestion et de facturation en ligne QuickBooks remplit et imprime des chèques via le système. Les données des chèques sont enregistrées dans le système, sont automatiquement répercutées dans les soldes de comptes, et apparaissent dans les états financiers ou les déclarations fiscales.
Il est inutile de ressaisir les données pour chacune de ces activités connexes. Mais une opération manuelle, comme remplir un chèque à la main, rompt le fil numérique de l’entreprise. Et chaque fois que le fil est rompu, l’entreprise s’expose à des risques : mauvaise tenue des registres, retards, factures impayées, arriérés et confusion.
De la même manière, dans l’entreprise moderne – de l’industrie manufacturière – toutes les données PLM (Product Lifecycle Management), ERP (Entreprise Resource Planning) et MES (Manufacturing Execution System) doivent être partagées le long d’un fil numérique. Chaque activité (conception, fabrication, assemblage, qualité, ventes, livraison, service après-vente, fin de vie, réutilisation et recyclage) fait partie de ce fil. Lorsqu’un numéro de pièce est généré dans un système PLM, par exemple, cette information est propagée sans effort aux autres systèmes.
La technologie permet aujourd’hui aux logiciels d’interagir entre eux et de relier toutes les opérations de la conception, à la livraison en passant par la production, créant ainsi ce « fil numérique » qui permet en outre d’obtenir plus de :
-Visibilité
Plus l’on dispose de données validées, plus il est facile de prendre des décisions avisées et plus l’on peut retirer de précieux renseignements des systèmes d’entreprise. Le fil numérique offre une visibilité en temps réel sur les lignes de production, les types d’actifs, les usines et la chaîne de valeur intégrée. Il soutient les initiatives Six Sigma et de production lean. D’où la possibilité de déterminer la cause première des problèmes, d’améliorer la conception, de rationaliser les processus, et d’optimiser le fonctionnement et la longévité des équipements.
-Contrôle
Le fil numérique ajoute une couche de contrôle dans toute l’entreprise. Il est possible de mettre en œuvre des pratiques normalisées et d’éliminer les erreurs coûteuses dues à l’omission de modifications ou à des échanges de données mal interprétés. Le personnel gagne en flexibilité grâce à des consignes de travail visuelles et à un état détaillé des besoins en ressources permettant d’obtenir des performances optimales du premier coup. La résolution des problèmes est plus rapide et les délais d’action plus courts à tous les niveaux de la chaîne de valeur. La conformité et la gestion du risque sont assurées.
-Vitesse
Le fil numérique est avant tout une question de vitesse : accélération de l’innovation produit ; intégration de modifications pendant tout le cycle de vie des produits en fonction du feedback du marché et de l’émergence de nouvelles opportunités ; collecte, diffusion et analyse plus rapides et cohérentes des données ; transmission efficace des données des jumeaux numériques (digital twins) tout au long de la chaîne de valeur ; vue connectée de la documentation « as-designed » (tel que conçu), « as-built » (tel que fabriqué) et « as-maintained » (tel que maintenu en conditions opérationnelles). Cela permet aux sites de production d’avancer au rythme de l’entreprise moderne.
La transformation numérique est un enjeu particulièrement important pour l’industrie française. Notre industrie subit une concurrence importante et a pris du retard dans de nombreux domaines. Beaucoup d’entreprises françaises disposent de supply chain très complexes, dans lesquelles intégrer le numérique est difficile. Moderniser notre industrie et ses processus de production est l’enjeu du plan « Nouvelle France Industrielle ». Les technologies existent, la transformation numérique n’est plus option, elle doit devenir LA priorité de nos entreprises industrielles