Encore minoritaire dans les échanges, la facture électronique n'en reste pas moins le premier objectif visé par les projets de dématérialisation. Entre clients et fournisseurs les solutions s'affinent mais ne gagnent pas forcément en simplicité.
«La dématérialisation fiscale est un catalyseur du marché numérique en général et de la GED en particulier, pour deux raisons principales : la démarche génère un ROI prouvé immédiatement et l'Etat accepte désormais la facture dématérialisée», explique Olivier Rajzman, directeur de DocuWare France. Comme bien des projets, l'intérêt de la facture électronique réside d'abord dans le potentiel des économies qu'elle peut permettre de réaliser. S'y ajoute un volet législatif très présent pour ne pas dire contraignant. Depuis près de deux ans l'Etat est en effet tenu d'accepter les factures que ses fournisseurs lui soumettent sous forme dématérialisée. Le signal envoyé au marché est fort, même s'il reste pour le moment brouillé quant au mode opératoire que le gouvernement choisira. Entre l'obligation de dématérialiser la facture, comme cela est déjà en vigueur dans certains pays nordiques, et le maintien d'un choix entre différentes procédures, la France n'a pas encore tranché. Le ROI et la pression législative ne sont pas les seules locomotives du secteur. La chaîne logistique frontale se rationalise, éliminant le recours à plusieurs interlocuteurs : signature, envoi, portail d'échanges, traçabilité, tout le cheminement des factures qui partent d'un fournisseur pour aller chez un client est de plus en plus assuré par un seul prestataire, même si celui-ci collabore avec d'autres spécialistes sur des parties qu'il ne maîtrise pas. Enfin, les mastodontes de la comptabilité se sont aussi convertis au numérique pour en faire un axe stratégique, à l'instar de Sage qui propose depuis peu son service Sage eFacture. Concernant les chiffres de la dématérialisation des factures, peu de données récentes illustrent l'état du marché français. Mais tous les spécialistes soulignent le dynamisme du secteur et une croissance progressant au rythme moyen annuel de 30 %. Selon le Baromètre «Dématérialisation – Finances 2013», la dématérialisation des documents est une pratique installée et en croissance : 78,5% des entreprises interrogées dans le cadre de cette étude ont mis en place une ou plusieurs solutions de dématérialisation du processus comptabilité-fournisseurs, soit 15% de plus qu'en 2012.
Émetteur ou récepteur, des échanges à cadrer
Dans tous les projets, il y a un émetteur et un récepteur, qualifiés par les professionnels de fournisseur ou de client. Côté émetteur, on cherche à passer au 100 % numérique pour une logique de coûts mais aussi d'image de marque, quitte à continuer de produire des factures au format papier à destination de clients encore réticents et forts d'une loi qui ne les oblige en rien à accepter les factures dématérialisées. Il arrive toutefois que certains clients, en général de grandes entreprises, imposent la dématérialisation à leurs fournisseurs. Côté récepteur, lorsqu'on est convaincu des atouts du numérique, on souhaite avant tout alimenter l'ERP de son entreprise avec un document déjà numérisé et optimiser ainsi des workflows. Emetteur ou récepteur, toute entreprise est susceptible d'endosser les deux rôles à la fois. Pour autant, l'émetteur de factures, autrement dit l'entreprise qui se met en position de fournisseur vis-à-vis de ses clients, est généralement confrontée à une opération plus simple qu'elle ne l'est lorsque l'entreprise est en position de donneur d'ordres vis-à-vis de ses fournisseurs. «Quand on est en mode émetteur de factures, on répond certes à des clients qui ont quelquefois des exigences spécifiques, mais l'approche est plus simple et on peut mettre en place facilement des solutions d'archivage à valeur probatoire», explique Gaston Rechenmann, directeur général délégué de Tessi Sakarah. «Mais un récepteur de factures doit s'entendre avec ses fournisseurs s'il souhaite mettre en place une dématérialisation fiscale de bout en bout. Et là, il fait face à une grande hétérogénéité de formats». Dans ce cas, le donneur d'ordre a tout intérêt à classifier son référentiel de fournisseurs par importance en termes de volumétrie ou de valeur comme par habitude de facturation. Il s'assurera aussi de l'existence d'une relation contractuelle permettant de faciliter la mise en œuvre de la solution de dématérialisation avec tel ou tel fournisseur, et constituera ainsi un premier panel de partenaires sensibles sinon engagés dans l'échange dématérialisé.
Distinguer documents entrants et sortants
«Tout comme la dématérialisation fiscale des factures fournisseurs, la dématérialisation fiscale des factures clients permet aux entreprises de gagner en professionnalisme tout en optimisant leurs coûts de fonctionnement», explique de son côté Eric Wanscoor, CEO de Qweeby. «En revanche, contrairement à la dématérialisation des factures fournisseurs, qui concerne uniquement les gros récepteurs de factures, la dématérialisation fiscale des factures clients s'adresse à toutes les entreprises. Elle leur permet des économies rapides car un document papier envoyé traditionnellement coûte entre 1,15 et 1,40 ? (papier, enveloppe, impression, manipulations, timbre, etc.). Surtout, elle est plus simple à mettre en œuvre car son impact organisationnel et technique est plus limité. En revanche, des règles doivent être respectées puisque l'émission d'une facture client dématérialisée doit respecter un cadre fiscal strict auquel ne se conforme pas un simple PDF transmis par email «.
«La gestion des flux sortants est facile et rapide à mettre en place, alors que celle des flux entrants nécessite de considérer l'aspect organisationnel de l'entreprise, de déterminer qui fait quoi et d'identifier circuits et workflows de validation», confirme Jean-Christophe Bernard, Account Manager chez Primobox. «La transposition et l'optimisation de ce process d'un point de vue électronique demande en moyenne quatre à cinq mois, alors que pour la facture sortante, l'entreprise se contente de fournir des flux à son prestataire. C'est pourquoi les entreprises tendent à privilégier d'abord les factures sortantes. Les deux projets ne sont jamais menés de front et peuvent être démarrés indépendamment l'un de l'autre. En revanche le ROI attendu est beaucoup plus important sur du flux entrant que du flux sortant». Le coût global d'une facture papier émise est estimé à 8 euros, et celui de sa version électronique à 5 euros. Il est encore plus élevé pour celui qui la reçoit : près de 14 euros en version papier et environ 7,5 euros en version électronique.
EDI, XML et PDF
Deux grandes approches caractérisent la dématérialisation des factures. La première repose sur l'usage de l'EDI, qui consiste à dialoguer d'ordinateur à ordinateur en échangeant des ensembles structurés d'informations, conformément à une norme convenue entre les deux parties, fournisseur et client. «De nombreuses entreprises adoptent la technologie EDI pour la première fois suite à la requête d´un grand client», explique-t-on chez GSX, un spécialiste des services d´échange de documents électroniques. «La plupart des entreprises commencent simplement par échanger les données de commandes et de factures avant d´examiner de quelle manière une automatisation de ces processus peut être renforcée en les intégrant dans les systèmes administratifs». Un support transactionnel restant nécessaire pour le transport et pour la modélisation des processus d'échange, les solutions EDI s'appuient soit sur un réseau privé à valeur ajoutée, soit sur Internet (WebEDI) ou bien sont externalisées. Une facture reçue au format EDI a l'avantage de pouvoir alimenter directement l'ERP de l'entreprise. Mais comme l'EDI impose un équipement informatique en amont et en aval et des normes pour que les factures échangées répondent aux exigences fiscales, sa mise en œuvre peut s'avérer complexe à gérer.
Bien des entreprises lui préfèrent le PDF signé, fichier de données non structurées embarquant une signature électronique, ou encore le fichier structuré et normé XML, accompagné d'une signature externe, et dont le but est de décrire informatiquement le contenu de tout document. Ces deux approches sont fiscalement opposables mais le PDF est encore aujourd'hui plus utilisé que XML, une réalité qui s'explique par le fait que le PDF reproduit une image de la facture bien visible à l'écran alors qu'un fichier XML est une suite de codes et balises hérités du langage SGML. Le passage de la facture papier à son double numérisé est une étape, celui de l'image numérisée au XML en est une autre. En outre, il existe de nombreux formats XLM différents et autant de connecteurs commercialisés pour lire le format XML attendu par le client, bien que certaines solutions arrivent à contourner cette hétérogénéité.
EDI, PDF signé ou XML mènent tous à la dématérialisation fiscale, par opposition à une opération de dématérialisation simple qui se contente de numériser les factures papier et de les conserver sur un support. Avec la dématérialisation fiscale sous forme de flux EDI, la facture papier n'existe plus. Les informations contenues dans la facture sont structurées sous forme de données et échangées via l'EDI. La dématérialisation fiscale sous forme de fichier XML ou PDF est quant à elle cadrée par l'article 289-V du code général des impôts.
Le SaaS plébiscité
À réception des documents comptables, un même traitement s'impose à toutes les entreprises. Ainsi, lorsqu'elles sont au format papier, les factures font-elles l'objet d'un tri manuel ou automatique avant d'être numérisées. Elles alimentent ensuite le flux d'autres factures transmises via un système EDI ou aux formats XML ou PDF. Après traitement et identification, les solutions distinguent les factures avec commande des factures sans commande. Ces dernières devront rejoindre un workflow d'imputation avant de parcourir un circuit de validation et d'être enfin comptabilisées. Lorsque les commandes des factures ont été saisies dans l'ERP de l'entreprise, il faut rapprocher les éléments et vérifier qu'à chaque ligne de commande correspond bien une facture et une réception. En cas d'écart, un workflow de validation est à déclencher. «Nous allons plus loin en automatisant la validation des campagnes de paiement», souligne Christophe Rebecchi, directeur général de ReadSoft. «Paradoxalement, les entreprises qui dématérialisent les circuits des factures fournisseurs réimpriment souvent ces factures ou leurs relevés lorsqu'il s'agit de faire valider les campagnes de paiement par le directeur financier».
Les solutions fournies par les prestataires sont accessibles sous forme de licence classique ou en mode SaaS. Le Cloud est logiquement plébiscité : il ne demande pas d'investissement de départ, hormis les services, et génère un ROI immédiat, bien que sur le long terme, cinq ans au moins, la licence perpétuelle puisse se montrer plus rentable. Le SaaS ne nécessite pas d'infrastructure dans l'entreprise ni de mise à jour des applications et répond aux besoins des petites structures. «Le mode éditeur n'est pas adapté car cela suppose que le client soit en mesure de gérer tous les aspects liés aux différents connecteurs de flux à mettre en œuvre en fonction des contreparties, et de pouvoir intégrer de façon spécifique tous les formats attendus par les contreparties, alors que la mutualisation de ce type de solution sur une plateforme en mode SaaS fournit un savoir-faire commun plus important et met à disposition des formats identiques entre les différents acteurs», souligne Gaston Rechenmann. Le choix entre l'internalisation et l'externalisation du traitement des factures repose toujours sur les facteurs coûts, risques et ressources. L'analyse du volume de documents à traiter et l'optimisation de ces trois facteurs facilitent l'identification de la solution la plus adaptée. Dans la phase transitoire entre l'ère du tout papier et celle du tout numérique, une approche multi technologie permet aussi de s'affranchir des limites de chaque offre prise individuellement et d'optimiser l'efficacité des projets.
Combinaison plus qu'adoption
«Les entreprises combinent désormais les principaux modes de dématérialisation des factures, proposent à leurs fournisseurs l'ensemble des technologies et, en fonction des négociations, des influences, des poids et des tailles des fournisseurs, s'orientent vers la dématérialisation fiscale, l'EDI, les factures e-mail avec PDF signé ou de la facture papier à numériser», constate François Lacas, Directeur Opérations Marketing et Communication chez Itesoft. «Cette approche ne remet pas en question quatre points de passage obligés dans ce type de projet. Le premier est de bien définir l'objectif : vise-t-on la productivité ou cherche-t-on à améliorer la relation fournisseur et à réduire les litiges, souhaite-t-on valoriser la fonction comptable ou veut-on sécuriser les processus et permettre la traçabilité ? En fonction de ces choix, les modules et les technologies seront différents. Le deuxième point concerne l'audit de l'existant et l'impact du projet sur l'organisation. Le troisième point porte sur les choix d'exécution du projet. Enfin, la quatrième règle est de favoriser l'adoption via une vraie conduite du changement». Dans un projet de dématérialisation globale des documents, le volet facturation reste un périmètre parmi d'autres. Il est cependant rarement confié aux seuls DSI mais porté par les directions générales et financières. «Une solution de dématérialisation n'est qu'un outil et sans l'impulsion du management, les projets rencontrent difficilement le succès», souligne Christophe Rebecchi. «De la même façon, la présence d'un sponsor fort est important. Il ne faut pas non plus sous-estimer la conduite du changement et savoir écouter ce que les métiers ont à dire, notamment la comptabilité, et, enfin, impliquer l'informatique en termes de pertinence de la solution, de TCO, d'évolutivité». Pour bien des prestataires, cette phase présente l'opportunité de revoir les processus en jeu et quelquefois de les simplifier, sans chercher à automatiser la totalité des flux, mais plutôt en observant et en analysant la productivité d'un point de vue global.
Traçabilité et piste d'audit
«Déterminer d'où vient la facture, où elle doit parvenir et comment, constitue la grande étape d'un projet de dématérialisation», résume pour sa part Pierre Patuel, co-fondateur de DPii Telecom & Services. «Après cette phase technique, il faut se pencher sur la signature électronique. Si elle existe déjà dans l'entreprise, nous l'intégrons dans le processus mais il est important de fournir aux clients une démonstration de l'industrialisation du dispositif. Enfin, reste à savoir où sont conservées les factures une fois qu'elles ont été signées et horodatées : sur sa plateforme, sur celle du prestataire ou dans un coffre-fort électronique chez un tiers archiveur». La chaîne d'intervenants est en effet longue : facturiers qui se chargent de l'émission des factures en quantité et de leur acheminement, plateformes d'intermédiation où sont concentrés puis dispatchés les documents numériques, tiers de confiance chargés de fournir les éléments d'authentification des documents électroniques et tiers archiveurs spécialistes des coffres-forts électroniques. A moins d'avoir les ressources internes capables de dialoguer avec tous ces opérateurs professionnels, l'interlocuteur unique est préférable. «Toutes les prestations ne sont cependant pas nécessaires», estime Eric Wanscoor. «Mieux vaut éviter de céder aux sirènes du premier prestataire venu et bien réfléchir au processus qui sera mis en place pour ne déployer que les solutions utiles».
Il faut également accorder une attention particulière au volet réglementaire de la dématérialisation fiscale des factures fixé par le code général des impôts, et se référer aux procédures en vigueur dans l'archivage à vocation probatoire. La notion de traçabilité est certainement la plus débattue actuellement, en regard du nouveau décret d'application adopté en France et qui porte sur la fameuse piste d'audit, autre possibilité de diffusion de la facture électronique au-delà des échanges de fichiers structurés ou de fichiers signés. Si elle opte pour la piste d'audit, une entreprise devra faire informatiquement le lien entre une facture et son fait générateur (bon de commande, contrats associés, bons de livraison, prestations réalisées, etc.). Si certains professionnels saluent une telle possibilité, ils sont une majorité à estimer que la directive européenne qui avait un objectif de simplification, pour faire diminuer les coûts et rendre la facture électronique accessible au plus grand nombre et notamment aux PME, se heurte au contraire en France à une complexité à travers ce récent décret.
La charte d'interopérabilité GS1 sur la facture électronique fait des émules
Vingt-cinq entreprises ont signé la charte d'interopérabilité des solutions de facturation initiée par GS1 France. Cette charte, dont l'objectif est de préserver la gratuité des échanges, notamment lorsque la facture électronique transite entre deux opérateurs différents, a été élaborée il y a près d'un an. Elle résulte de la volonté des entreprises adhérentes de GS1 de créer les meilleures conditions possible du déploiement de la facture électronique. L'objectif est de donner aux utilisateurs, émetteurs et récepteurs de factures, le libre choix de leurs prestataires de solutions, mais aussi de créer les conditions d'un accès à la facture électronique à moindre coût. «Nous sommes convaincus que l'interopérabilité entre les systèmes des entreprises est la condition nécessaire pour créer une chaîne d'approvisionnement efficace, économe, de qualité et sûre», souligne Pierre Georget, CEO de GS1 France. Les engagements des signataires portent sur le format de la facture, les moyens techniques de transmission et de traçabilité, le respect de la réglementation et la gratuité. «Dans une période où toutes les grandes entreprises mondiales cherchent à faciliter la fluidité des échanges, cet engagement pour la France est un premier pas remarquable, mais à quand une charte européenne ?», s'interroge Jean-Charles Deconninck, Président de Generix Group, l'une des dernières sociétés à avoir adopté l'initiative de GS1.
Facture électronique pour les PME
«Nous sommes, à ce jour, le seul éditeur à proposer un tel service sur le marché des PME», avance Antoine Henry, directeur général de Sage France en parlant de son offre Sage eFacture. «Il répond à trois enjeux majeurs de ces entreprises : optimiser les relations commerciales, gagner en productivité et favoriser le respect des délais de paiement». Avec cette solution, l'entreprise émettrice dématérialise 100% de ses factures clients, depuis la création du document jusqu'à sa mise à disposition auprès du client en passant par son envoi, sa traçabilité et son suivi grâce à un tableau de bord adapté. La facture est archivée dans un coffre-fort électronique à valeur probatoire et peut être consultée en ligne pendant 10 ans. Du côté de l'entreprise destinataire, la réception des factures fournisseur et leur saisie sont automatisées. Les gains de productivité se font également à travers le rapprochement entre facture et bon de livraison, la validation de la facture via un workflow, l'archivage à valeur probatoire et la consultation en ligne des factures pendant 10 ans. En outre, un client est en mesure de notifier à son fournisseur l'acceptation ou le refus de la facture, mais aussi sa mise en paiement.