Alors qu'elle présente de réelles opportunités économiques et organisationnelles, la dématérialisation des documents RH n'est toujours pas une priorité dans l'agenda des entreprises. Entre enjeux, pratiques, et retour sur investissement, les projets sont pourtant à portée de toutes les organisations.
Le monde des ressources humaines et la dématérialisation, c'est un peu une vieille histoire. Les entreprises se sont en effet pliées très tôt au jeu des télé-déclarations pour fournir aux organismes administratifs des données concernant leurs salariés. Un terreau d'échanges propice à l'éclosion du bulletin de paie électronique et des solutions qui lui sont associées. Encore aujourd'hui, ce document est emblématique de la dématérialisation RH, mais bien d'autres ont eux aussi désormais leur double numérique : embauches, contrats de travail, avenants, déclarations sociales, accidents de travail, attestations employeur, reçus pour solde de tout compte, demandes de congés, accords d'entreprise, entretiens d'embauche, CV La liste est longue. Chaque année, une entreprise moyenne gérerait près de 35 000 documents liés à la gestion de ses salariés.
«Aujourd'hui, sans solution dédiée, ces documents sont souvent dispersés dans divers systèmes informatiques RH, dans des armoires et ne suivent pas un plan de classement unique», constate Philippe Christophe, directeur commercial chez Novapost. «De fait, il n'est pas évident de retrouver facilement un document justificatif, une information spécifique concernant un salarié et lorsque le document est retrouvé, il est souvent photocopié, scanné et envoyé via email». Ce spécialiste préconise de mettre en place un espace sécurisé en ligne et organisé par un plan de classement, une gestion du cycle de vie des documents tenant compte de leur durée de conservation et un accès sécurisé à la plateforme documentaire Nul besoin de convaincre les entreprises qui ont déjà dématérialisé des retombées qu'elles peuvent attendre de cette approche générale. «La dématérialisation de tous ces documents permet d'accélérer les processus et le traitement des données, de supprimer les risques d'erreur de saisie ou de classement et de perte, d'éviter les litiges, d'économiser du temps de recherche et de réduire les couts de stockage, d'impression et d'envoi», résume Florent Bavoux, directeur Europe du Sud de Perceptive Software.
Productivité administrative, sécurité et réactivité
«On peut attendre de la dématérialisation des documents RH des avantages concrets et quantifiables», confirme de son côté Ludovic Partyka, chief operating officer chez Primobox. «Outre les économies budgétaires pouvant varier en fonction du projet, c'est avant tout pour l'entreprise et son service RH la possibilité de dégager d'énormes gains de temps grâce à l'automatisation et à la fluidification de nombreux process, de gagner en efficacité, grâce à l'accès instantané à l'information, et de sécuriser durablement son patrimoine documentaire, grâce à des solutions d'archivage électronique “légal”. La dématérialisation des documents RH fournit également à un collaborateur le moyen de bénéficier de nouveaux services offerts par son employeur, par exemple un accès plus rapide et plus facile aux informations qui le concernent». Un atout réel lorsque le pôle RH est centralisé mais que l'organisation de l'entreprise est éclatée et repose sur des collaborateurs nomades. La dématérialisation leur permet alors d'accéder aux documents et aux archives selon des droits d'habilitation définis préalablement.
La réduction des coûts est l'autre grand moteur des projets. Ne plus, par exemple, avoir à imprimer ni distribuer les quelque 200 millions de bulletins de paie établis annuellement en France constitue une belle économie. «Le terme de “dématérialisation des documents RH” est employé sans distinction, pour parler de différents domaines», précise Nathalie Brousset Choyer, directrice des partenaires DIGIPOSTE. «Il faut distinguer deux grands axes : la dématérialisation de l'armoire du gestionnaire RH et la dématérialisation des documents à destination des salariés. Le premier axe va apporter aux experts RH souplesse et sécurisation des dossiers des salariés. Les atouts du second, une image moderne et innovante du service RH auprès des salariés, un nouveau canal de communication permettant de sécuriser le process de distribution des documents avec à la clé un gain de temps et des économies».
Si toutes les entreprises qui n'ont pas encore franchi le cap s'interrogent sur les bénéfices de cette dématérialisation, elles sont aussi sensibles à l'aspect organisationnel sur lequel s'appuie un projet. Où débuter et par quoi, voilà deux questions auxquelles il faut pouvoir répondre avant de se lancer. La plupart des spécialistes s'accordent sur la nécessité d'identifier les processus qui ont une contrainte règlementaire et ceux qui permettent de dégager un retour sur investissement le plus rapide possible. Comme pour tout autre document à dématérialiser, les priorités s'établissent selon les processus en jeu : ceux à appliquer d'une manière obligatoire, ceux complémentaires et facultatifs, et dont l'application relève d'un choix d'entreprise, et, enfin, les processus qui ne présentent aucune contrainte réglementaire mais dont le traitement est susceptible d'améliorer la productivité et de diminuer les coûts.
Un périmètre large
«Les documents manipulés par les services RH peuvent être classés en trois catégories», explique Hélène Descamps, responsable marketing & communication, chez CIMAIL. «Il y a les documents courants (notes de service interne), les documents importants (notes de frais) et les documents sensibles (contrat de travail, avenants). Dans le périmètre de la dématérialisation RH, on trouve d'abord la gestion de la paie, puis le dossier du salarié et ensuite les documents concernant l'ensemble du personnel de l'entreprise».
«Ce périmètre dépend de l'envergure du projet de dématérialisation», ajoute Nathalie Brousset Choyer. «La paie est une première étape. On va ensuite plus loin en permettant à chaque gestionnaire RH d'ajouter des pièces au dossier de chaque salarié. Enfin, on peut envisager de faire une reprise d'historique en numérisant tout le dossier du salarié». Il est alors pertinent de récupérer des fonds documentaires existants sur support papier, d'en extraire les informations et alimenter les différentes bases RH de l'entreprise. Ainsi des resaisies chronophages et souvent sources d'erreurs sont-elles évitées.
En outre, les spécialistes conseillent d'optimiser la reprise de l'historique en faisant d'abord le ménage dans les documents, tant pour réduire les coûts de la capture et du stockage que pour améliorer la recherche dans la GED. Une opération à mener dans le respect de la confidentialité des données, et qui peut conduire à assurer en interne une partie du traitement et confier l'autre à un prestataire externe. «La dématérialisation RH couvre en réalité un périmètre très large», complète Ludovic Partyka. «De la dématérialisation en amont des processus de recrutement (signatures électroniques des contrats de travail, collecte des documents justificatifs (carte d'identité, carte vitale, RIB, etc.) jusqu'à la dématérialisation des échanges avec le collaborateur au cours de sa vie dans l'entreprise (avenants RH, bulletins de paie, bilans individuels, entretiens annuels, intéressement/participation, etc.), tous les échanges entre l'entreprise et le salarié peuvent être dématérialisés». A ce potentiel s'ajoute celui de plus en plus conséquent de la dématérialisation native. Sont concernées les données issues du SIRH (le Système d'Information Ressources Humaines) et celles destinées à l'alimenter, par exemple, les formulaires en ligne soumis aux collaborateurs et qui gèrent certaines de leurs activités tout au long de leur présence dans l'entreprise.
Le volet légal en toile de fond
Les processus de dématérialisation RH favorisent la mise en place de mécanismes d'échanges d'informations qui sont encadrés par la réglementation mais qui fondamentalement ne sont pas obligatoires à créer numériquement. Le bulletin de paye, comme la facture, en est un exemple. Il permet aux employeurs de délivrer leurs bulletins sous forme électronique mais avec des contraintes identiques à celles du papier, en conformité notamment avec le Code du Travail. Cette dématérialisation ne remplace pas, par obligation, le processus non dématérialisé. «Seul le bulletin de paye doit présenter un dispositif légal particulier pour pouvoir être substitué au papier», souligne Pascale Boyaval, Directrice Marketing Activité Ressources Humaines chez Cegid. «Le salarié doit avoir expressément donné son accord et le bulletin doit passer, pour avoir une valeur probante, via un certificat électronique qui prouve qu'il n'a pas été modifié. Enfin, sa durée de conservation étant bien définie par la loi, il faut pouvoir garantir la pérennité de la solution d'archivage, dans le temps et quels que soient les changements d'employeur du salarié». Contrat et certificat de travail, avenant, reçu pour solde de tout compte, autant de documents auxquels peut être également associée une valeur légale et qui peuvent faire l'objet d'une recherche de preuve, en cas de litige ou de contrôle. «Le cadre juridique de la dématérialisation de certains documents est parfois clairement défini, mais pour la plupart des autres process, il n'est pas autant explicite, sans compter les normes et autres best practices promues ici où là», constate Ludovic Partyka. «L'idéal est de bien identifier les objectifs “organisationnels” visés par la dématérialisation d'un process RH. Un prestataire compétent en la matière (juriste, avocat, Tiers de Confiance, etc.) percevra ainsi les enjeux juridiques du projet».
Un de ces enjeux repose sur la fameuse norme NFZ-42013 qui fournit aux processus de dématérialisation et de conservation le respect de l'intégrité, de la traçabilité, de la pérennité, de la sécurité et de la confidentialité. «Le référentiel documentaire doit assurer la complétude du dossier et des documents légaux inhérents à la gestion du salarié, la gestion des durées de conservation des documents (DUA) et la conformité avec la CNIL», rappelle Hélène Descamps. Sur ce dernier point, les données déjà présentes dans le SIRH n'ont pas besoin d'être déclarées au garant français des libertés numériques, mais celles qui sont nouvellement numérisées doivent être déclarées. Les professionnels des RH soulignent aussi la nécessité de veiller à contrôler les accès aux données des collaborateurs, en établissant sur le plan numérique les restrictions en vigueur dans l'organisation habituelle de ces services. Par exemple, un salarié doit avoir un droit de regard sur les documents auxquels accèdent ses managers et pouvoir conserver secrètes certaines informations comme sa date de naissance, son adresse, etc.
Les points clés de réussite
Multidimensionnels par définition, les projets n'en sont pas moins jalonnés de points clés communs qui conditionnent leur succès. Les prestataires évoquent des fondamentaux comme la phase d'audit, la communication, la conduite du changement. «Il faut veiller à l'implication des équipes métiers en amont dans la définition des besoins, travailler sur des processus RH clairement identifiés et cartographiés pour une automatisation optimisée, et réaliser une parfaite intégration aux applications métiers SIRH», résume Florent Bavoux. «Il faut en faire un vrai projet de communication et expliquer aux salariés pourquoi telle solution leur est proposée», préconise Nathalie Brousset Choyer. «Cela passe par un plan de communication multicanal permettant aux salariés d'obtenir des réponses à leurs interrogations. Il est fréquent de débuter avec un pilote sur 10% de la population afin de valider le dispositif et identifier des ambassadeurs du projet, l'objectif étant de convaincre 50% des salariés». Si la typologie des entreprises impose un pilotage adapté, le cabinet Markess International identifie pour sa part quatre éléments récurrents favorisant le déploiement et l'utilisation des solutions de dématérialisation des documents RH : définir une politique d'entreprise, faire adhérer les parties prenantes, garantir la confiance et choisir les outils.
«La simplicité d'accès et d'utilisation sont les points les plus importants pour faire adopter la dématérialisation», estime Hélène Descamps. Selon elle, la réussite du projet repose sur la structuration (plan de classement RH), l'anticipation (devancer et prévoir le fond informationnel), la simplification des flux numériques et papier à traiter, la sécurisation (archivage légal et contrôle des accès) et, enfin, l'association de la solution aux processus métier et son intégration dans les outils en place (ERP, applications métier, postes clients, portail, etc.).
«La cartographie des solutions connectées avec la brique documentaire ainsi que les modes d'échange adéquats sont une étape importante», précise Philippe Christophe. «La brique documentaire a comme principe de s'appuyer sur les solutions existantes SIRH pour, par exemple, récupérer l'annuaire des salariés ou la structure des organisations et des habilitations de l'entreprise. Comparé aux projets traditionnels de SIRH, le projet de mise en place d'une solution de dématérialisation des documents RH est plus light du point de vue des ressources et de la charge mais nécessite néanmoins d'être piloté et gouverné comme un projet traditionnel». La mutualisation du projet avec d'autres directions métiers est d'ailleurs recommandée, si l'on veut tirer le meilleur parti des outils déployés et inscrire la dématérialisation dans une stratégie de performance.
Quel retour sur investissement ?
Gain de temps et de stockage, baisse des coûts de fournitures, amélioration de l'image de l'entreprise et de la fonction RH, le ROI est-il facilement mesurable ? Des indicateurs tels que le coût global du bulletin et le nombre de dossiers traités par le gestionnaire RH permettent-ils à eux seuls de mesurer les bénéfices obtenus ? «Le retour sur investissement se calcule différemment selon le process RH dématérialisé», répond Ludovic Partyka. «La dématérialisation des process de recrutement et de signature de contrat de travail électronique, souvent plus complexes et chronophages, génère un ROI quantitatif plus important.
A contrario, la dématérialisation des bulletins de paie, par exemple, génère un ROI relativement faible en valeur, mais offre de nouveaux services au salarié et permet d'alimenter des stratégies de développement durable et de préservation de l'environnement». Les bénéfices qui en découlent ont donc aussi une dimension qualitative, tant pour les entreprises et la fonction RH que pour les salariés. Ces derniers, fortement associés à la réussite du projet, sont logiquement concernés : «le taux d'adhésion des salariés dans ce domaine est la valeur d'ajustement qui concrétise le ROI, dont le calcul se fait en tenant compte d'un taux atteignable (50% la 1re année)», explique Philippe Christophe. «Concernant la dématérialisation des dossiers du personnel, le ROI est fortement dépendant de l'organisation (décentralisée ou non, pratiques courantes en matière de gestion documentaire). La mise sous contrôle du risque juridique est également à prendre en compte et la perte d'un document justificatif (environ 7% de la masse des documents) n'est pas dénuée d'impact».
Dans un marché où se mêlent professionnels de ressources humaines et experts de la dématérialisation et de l'archivage, les entreprises ne devraient pas avoir de mal à trouver le prestataire qui leur convient. D'autant que ces acteurs aux horizons différents s'impliquent généralement dans un accompagnement en matière d'intégration des solutions au SIRH et incluent souvent dans leurs prestations le conseil en amont et une offre d'externalisation. Une grande partie des solutions sont d'ailleurs proposées en mode SaaS, offrant une souplesse de déploiement et une maîtrise des coûts. Mais quelle que soit l'offre retenue, tous les acteurs s'accordent sur le fait que le projet doit être appuyé par une communication pertinente et une volonté forte de la direction.
Le bulletin de paye électronique et la loi
Par l'intermédiaire de son groupe de travail «e-paie», la Fédération Nationale des Tiers de Confiance préconise l'usage de pratiques conformes à la législation. Il faut que les bulletins de paie soient intègres, portent des données exploitables directement par leurs systèmes et, surtout, facilitent et simplifient les contrôles automatisés comme l'intégration automatique des données contenues dans le bulletin de paie électronique. La FNTC rappelle que la loi du 12 mai 2009 autorise la remise du bulletin de paie sous forme électronique. Toutefois, elle précise que l'accord du salarié est indispensable, et que cette remise doit être de nature à en garantir l'intégrité (au moyen d'un certificat de signature électronique). La loi protège le salarié en lui donnant le libre choix de l'acceptation ou non, et en imposant à l'entreprise de mettre en place des solutions répondant aux exigences légales. La norme Afnor NF Z42-025 définit les critères techniques et organisationnels nécessaires au respect de la loi.
Le Code du travail impose en outre la conservation par les employeurs du double des bulletins de paie pendant une durée de 5 ans, rappelle la FNTC. La législation fiscale prescrit, quant à elle, de les conserver pendant 6 ans et la législation commerciale pendant 10 ans en tant que pièce comptable. Mais en pratique, mieux vaut les garder plus longtemps, ne serait-ce que pour répondre aux demandes des caisses de retraite complémentaire, qui font généralement obligation aux employeurs de délivrer à leurs salariés ou anciens salariés les certificats ou attestations leur permettant de déterminer et de justifier leurs droits à la retraite.