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Le numérique entame sa transition écoresponsable

En forte croissance, l’industrie du numérique impacte toujours davantage notre environnement. Ses acteurs ont donc décidé, sous la pression des pouvoirs publics et de leurs clients, de revoir progressivement leur copie à toutes les étapes du cycle de vie d’un produit électronique, de sa fabrication à son emballage, en passant par son transport, jusqu’à son trop rare recyclage.

 

On visualise mieux les enjeux écologiques et les dégâts du numérique quand on sait qu’au moins 9 milliards de terminaux numériques, dont environ 2 milliards de PC, seraient en circulation dans le monde. Et quasiment autant de smartphones : l’Union internationale des télécoms (UIT) chiffre à 8,6 milliards le nombre d’abonnements aux mobiles en 2020, soit plus que d’êtres humains (8 milliards).

Et ce n’est pas près de s’arrêter. En effet, la pandémie et ses confinements successifs ont fortement favorisé l’utilisation d’Internet, du Cloud et des réseaux sociaux, dans le cadre du télétravail notamment. L’augmentation du nombre de grands datacenters, qui répond à la très forte croissance du Cloud depuis des années, a également fait bondir le nombre de serveurs en activité. Il s’en vend au moins une dizaine de millions par an. Et chaque année, les fournisseurs livrent au moins 300 millions de nouveaux PC.

Les biens et services numériques comptent pour 10 % de la consommation électrique

Un rapport de l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et de l’Arcep, remis début 2022 au gouvernement, indique que l’empreinte carbone du numérique dans l’Hexagone est majoritairement générée par les terminaux (79 %), suivis par les centres de données (16 %), puis par les réseaux (5 %). Ce n’est pas étonnant car la fabrication d’un PC consomme encore beaucoup de ressources. Selon l’Ademe, 800 kilos de matières premières sont utilisées et 124 kilos de Co² sont émis pour la fabrication d’un seul PC de 2 kilos. L’agence précise également que la fabrication des équipements (terminaux, serveurs, box, etc.) génère à elle seule 78 % de la consommation électrique annuelle totale en France, alors que leur utilisation n’en représente que 21 %. La consommation électrique annuelle des biens et services numériques en France est de 48,7 TWh, soit environ 10 % de la consommation électrique annuelle française.

La demande en produits d’occasion n’a jamais été aussi forte en 2022.

Aujourd’hui, la plupart des nouveaux terminaux IT consomment un peu moins. « Conscients du fait que ces impacts environnementaux négatifs sont de moins en moins tolérés par les clients, les fournisseurs IT développent désormais des produits moins énergivores et ressourcophages dès leur conception (“by design”) » explique Véronique Torner, cofondatrice et directrice générale d’Alter Way, en charge du programme Planet Tech’Care initié par Numeum et le CNN.

Véronique Torner, Alter Way

Tous les terminaux, dont les ordinateurs, ne sont pas égaux en termes de consommation d’énergie. Un PC portable, dont les composants et l’architecture sont optimisés pour allonger son autonomie, consomme déjà 50 % à 80 % de moins qu’un PC fixe qu’il remplace de plus en plus souvent dans les entreprises. Surtout si vous l’éteignez après utilisation au lieu de le laisser en veille… A l’instar des nouveaux serveurs, le PC portable utilise par exemple des résistances, des processeurs et des mémoires à plus basse consommation, ainsi que des logiciels qui pilotent plus finement sa consommation en fonction de vos usages. Intel promet – à nouveau – des consommations beaucoup plus basses en 2023 pour certains de ses futurs processeurs Core de 14e génération, dont les “Meteor Lake”, car leur gravure serait enfin en 7 nm, comme celle de son rival AMD, et non plus en 10 nm. Elle permettrait d’espérer jusqu’à 30 % de réduction de consommation d’énergie à fréquence égale.

C’est une bonne nouvelle pour Véronique Torner car « La notion d’économie d’énergie est un sujet qui monte dans les entreprises. Celles qui allaient dans le Cloud essentiellement pour des considérations financières au départ, le font également désormais pour réduire leur consommation énergétique, même si elles déplorent l’absence de standards pour la mesurer efficacement ». Et elle ajoute : « Si beaucoup de DSI ont commencé à se mobiliser pour réduire la consommation énergétique de leurs terminaux IT, ils se focalisent également sur tous les moyens permettant de prolonger leur durée de vie, dont le recyclage, dans le cadre d’une économie circulaire plus vertueuse ».

Gagner la bataille du recyclage, une priorité

Les initiatives se multiplient dans l’Industrie et chez ses clients afin d’allonger la durée de vie des équipements IT et mieux prendre en compte leur cycle de vie. Leur durée de vie en entreprise excède rarement 3-4 ans, soit la durée d’amortissement du leasing/crédit en général. D’ailleurs, les loueurs ne sont pas encore très nombreux à proposer des offres financières matures incluant des produits IT d’occasion. Pire, très peu « d’anciens modèles » remplacés sont recyclés dans les formes. Selon Capgemini Research Institute, 89 % de 1 000 entreprises de plus de 1 Md$ de CA dans le monde recyclaient moins de 10 % de leur matériel informatique en 2020. La SNCF fait partie de cette minorité de grandes sociétés qui les recycle (lire encadré).

Le recyclage des terminaux IT est donc plus que jamais au cœur de la transition écologique qu’effectue l’industrie du numérique. La demande en produits d’occasion n’a jamais été aussi forte en 2022. Certains clients s’intéressent à ces offres en raison des nouvelles obligations légales, mais aussi à cause des hausses de prix sur les produits neufs, d’autant que beaucoup d’entre eux connaissent encore des problèmes de disponibilité.

Toutefois, les experts constatent qu’il existe également une pénurie en matière de produits IT à reconditionner et à vendre dans certains domaines (PC, serveurs, imprimantes, etc.).

En effet, la filière numérique n’a pas assez anticipé l’effet de la loi Agec de 2020, qui oblige les acheteurs de l’État et des collectivités territoriales à acquérir au moins 20 % de biens recyclés. « La demande des entreprises pour des produits IT recyclés à beaucoup augmenté depuis la sortie de la loi Agec en 2020 », confirme Roselyne Ludena, directrice des ventes retail et channel de HP en France. « HP monte des filières importantes avec des partenaires afin de répondre à cette demande croissante. Pour les PC, le groupe teste cet été une grande action de reconditionnement avec Ie grossiste Ingram Micro ».

Roselyne Ludena, HP

Outre ces problèmes de recyclage, comment les entreprises et leurs DSI peuvent-elles naviguer dans la multitude d’offres de cette “green IT jungle” et son mille-feuille d’intervenants ?

Comment naviguer sans normes dans cette “green jungle” ?

On y trouve de tout, et surtout beaucoup d’opportunistes attirés par les effets d’aubaine. Quant aux multiples normes “écoresponsables”, exceptées les Energy Star et Ecolabel datant déjà de 1992 par exemple, aucune n’est vraiment reconnue à grande échelle dans le numérique, au moins en Europe.

Pire, les experts estiment que si 2022 rime avec l’arrivée de nouveaux outils de mesure, beaucoup seront plus ou moins élaborés, fiables et normalisés au niveau international. Et en l’absence de mesures probantes, les efforts écoresponsables de l’industrie du numérique parviendront-ils à être reconnus à leur juste valeur ? « Il faut donner les bonnes métriques aux entreprises pour les aider à prendre les bonnes décisions écoresponsables, à lancer des projets IT soutenables et à y embarquer leurs équipes » estime en conclusion Carole Davies-Filleur, une associée du cabinet Accenture en charge du département Durabilité & Technologie.