Nos rendez-vous réguliers avec les datacenters se suivent mais ne se ressemblent pas. Mieux encore, ils nous réservent à chaque fois leur lot d’inattendu, de nouvelles réglementations et d’innovations technologiques. L’année 2023 n’y échappe pas.
Commençons par un rapide retour en arrière riche de crises et d’enseignements. A commencer par la Covid. A l’époque, l’Internet et le Cloud, qui a apporté le support au télétravail imposé, étaient portés aux nues. C’est oublier trop vite que ce qui a tenu, c’est l’infrastructure sur laquelle ils reposent : les datacenters. Comme le volume des données ne cesse d’exploser, le nombre de nouveaux datacenters progresse au même rythme afin de les héberger. D’ailleurs, le rythme de construction a à peine fléchi, malgré les retards de mises en production liés au Covid, et il s’est même accéléré dès 2022, année qui devait être dédiée au post-Covid. Mais comme souvent dans la période trouble que nous franchissons, l’actualité géopolitique est venue bousculer le programme…
Crise énergétique
La guerre en Ukraine a entraîné, ou plutôt accéléré, une crise énergétique larvaire et attendue. Durant deux décennies, le prix de l’énergie (nucléaire) en France est resté bas et n’a quasiment pas subi de variation. Mais en quelques jours, les tarifs de l’électricité ont explosé, et les entreprises qui n’étaient pas préparées – avec des contrats aux tarifs et révisions garantis par exemple – ont dû assumer la crise dans leur trésorerie. Pour autant, les prédictions de certains observateurs qui annonçaient des chutes en cascades chez les petits datacenters – les moins armés pour lutter contre la hausse soudaine des tarifs de l’électricité et leur maintien à un niveau élevé – ne se sont pas réalisées. Pour passer la crise, les opérateurs de datacenters ont réduit leur marge, reporté une partie du surcoût sur leurs clients et réagi par l’optimisation de leurs infrastructures. Par exemple, en allongeant la périodicité des tests sur les groupes électrogènes ; en identifiant et s’attaquant aux sources de pertes de chaleur ou de puissance ; en multipliant les capteurs… Le principal gagnant est certainement le pilotage des salles informatiques et des datacenters, avec l’adoption d’outils de DCIM ou de GTB, le seul déploiement de ces derniers permet par exemple de réduire la consommation énergétique d’un bâtiment de l’ordre de 30 %.
Efficacité énergétique et objectif zéro carbone
Un des moyens d’affronter la crise énergétique, nous venons de l’évoquer, est d’adopter une plus grande maîtrise de sa consommation d’énergie. Elle permet d’obtenir un double effet : sur la planète, voilà qui tombe bien puisque l’Europe et les régulateurs invitent les datacenters à devenir « zéro carbone », et sur le porte-monnaie, car efficacité énergétique rime avec réduction des coûts, un langage que les opérateurs et leurs clients entendent. Les acteurs du datacenter sont conscients du rôle citoyen qu’ils doivent jouer, et les actions se multiplient dans ce sens. Ainsi, l’année 2022 a vu se multiplier les engagements des datacenters sur les énergies renouvelables, la majorité des grands acteurs de l’hyperscale et de la colocation évoluant vers le 100 % renouvelable en compensant avec les PPA (Power Purchase Agreement). Le modèle est critiquable, puisque les datacenters continuent de consommer de l’énergie dont la production est fortement carbonée, mais compensent sur parfois 25 ans avec la participation au financement des fermes solaires ou éoliennes via ces contrats.
L’année 2023 vient également confirmer l’adoption généralisée du HVO, les carburants à base d’huile végétale hydrotraitée, pour alimenter les groupes électrogènes, avec une réduction des émissions de GES jusqu’à 90 % par rapport au diesel qui alimente traditionnellement les groupes de secours. Les groupes les plus récents s’adaptent au HVO moyennant des modifications minimes, tandis qu’il faudra attendre le remplacement des équipements anciens pour que le HVO s’impose partout. Autres pistes de réflexion, le biogaz avec la trigénération et l’hydrogène vert. Alors que la France évolue à grands pas vers l’autosuffisance en matière de production de biogaz, celui-ci, victime du lobby de l’électricité, peine à s’imposer. Quant à la filière hydrogène, prédite à un avenir exceptionnel, elle n’en est qu’à ses débuts.
Financiarisation de l’écosystème
Autre tendance qui a émergé en 2022 et se prolonge aujourd’hui dans l’économie des datacenters, leur financiarisation. Souffrant de la crise sur les logements, les bureaux et le retail, les investisseurs immobiliers se penchent sur les datacenters. Logiquement, un datacenter est d’abord un bien immobilier. Et à la différence des autres secteurs, à l’exception de la logistique, il se porte bien. Il représente donc une opportunité pour les investisseurs au portefeuille bien garni. La France n’y a pas échappé. Data4, premier acteur français du secteur, dont le principal actionnaire Axa IM Alts a cédé sa participation majoritaire au fonds canadien Brookfield Infrastructure. Etix Everywhere a fait entrer Eurazeo dans son actionnariat et acquis les deux datacenters de CIV et les cinq de DataBank (zColo). Euclyde Datacenters a été acquis à 100 % par nLighten, un nouvel acteur européen des datacenters, soutenu par le fonds I Squared Capital.
Si l’on reprend les mouvements d’acquisitions opérés de par le monde via des fonds d’investissements, on peut considérer que le marché du datacenter est entré dans sa phase de consolidation. Et cela à trois niveaux. D’abord mondial, avec des acteurs de dimension internationale qui élargissent leur portefeuille, à l’image de l’acquisition du géant européen Interxion par Digital Realty, qui a également investi, tout comme Equinix, dans des acteurs africains ou d’Amérique latine. Ensuite territorial, avec des acteurs comme ceux précédemment cités qui étendent leur empreinte en ambitionnant de proposer les services d’un datacenter régional à moins de 200 kilomètres de tout client métropolitain. Enfin local, avec des rapprochements entre petits datacenters tel Nexeren afin d’atteindre un point d’équilibre.
Energie : les objectifs européens
Le Conseil de l’Europe a convenu de réduire la consommation d’énergie au niveau de l’UE de 36 % pour la consommation finale d’énergie et de 39 % pour la consommation d’énergie primaire d’ici 2030. Il a également fixé un objectif contraignant de 40 % d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans le bouquet énergétique global.