Entretien avec Alain Bauer, essayiste, enseignant et criminologue
Selon Alain Bauer, les cyberattaques et les hackers changent de profil. Criminels, terroristes, militants, mercenaires : les hackers ont des visages multiples.
Solutions numériques et cybersécurité – Les experts prévoient une recrudescence des cyberattaques en France, en particulier à l’occasion des JO.
A.B. – C’est le cas pour tout événement à forte résonance et des ICS d’attaques ont été enregistrés pour les dernières grandes compétitions internationales du même type. Il est donc plus que probable que les JO de Paris constitueront une cible de choix pour les hackers criminels, mercenaires et d’État.
Outre la gestion complexe des athlètes de pays plus ou moins exclus des compétitions, la possibilité pour certains acteurs en guerre de se faire entendre par la perturbation ou la propagande constitue un incitatif puissant. La destruction des outils serait un pas qui ne semble pas utile pour les opérateurs les plus affirmés (Russie, Corée du Nord, Iran…), mais des sous-traitants ou des indépendants pourraient être tentés de pirater la billetterie ou les contrôles d’accès…
Les guerres en Ukraine et en Israël ravivent-elles une forme de cyberguerre ?
La cyberguerre constitue un moyen de la guerre mais ne fait que compléter une panoplie qui va du conventionnel classique à l’arme de destruction massive. Toutes les guerres sont par nature hybrides et ne s’interdisent rien tout en analysant les risques et effets pervers d’un mouvement mal compris générant des représailles. Les cyberattaques sont là depuis longtemps. La cyberguerre pas encore. Le monde n’a pas encore été confronté à un projet de cyberguerre totale dans laquelle les attaques « virtuelles » auraient le même effet dévastateur que les bombardements.
Vous avez dû mesurer le glissement, ces dernières années, du crime traditionnel vers le crime numérique. Les hackers se sont souvent constitués en gangs mafieux.
C’est moins un glissement qu’un complément. Le crime n’abandonne jamais les secteurs traditionnels mais s’intéresse à la technologie pour développer ses capacités et son « offre » de services, qu’il s’agisse de prédation, de chantage ou de blanchiment. Le ransomware ou le détournement des cryptomonnaies viennent s’ajouter aux autres activités ou les moderniser.
Vous avez noté, dans Au commencement était la guerre, les tendance du mercenariat » et de l’ hybridation avec le terrorisme » chez les cyberattaquants.
On assiste à un décloisonnement des différentes formes d’activités criminelles, une tendance à leur fusion et à l’hybridation avec le terrorisme. Les criminels sont à la fois des hackers sociaux, politiques ou économiques, des racketteurs proposant leur protection, des agents d’influence, des espions d’État et des militants. Ces mercenaires de réseau agissent de plus en plus souvent dans un espace de libre-échange et pour le compte du plus offrant.
Les criminels sont agiles, flexibles et de moins en moins tenus par des « codes d’honneur » qui interdisaient certaines pratiques ou certains commerces. Le rajeunissement des acteurs et la décentralisation de certaines structures historiques du crime organisé permettent d’agir sur tous les secteurs et la dématérialisation des échanges influe autant sur les détournements de virements que sur les vols de marchandises ou les opérations de désinformation.
Comment voyez-vous les grandes tendances à court et moyen terme, et notamment le recours à l’IA ?
L’IA est encore très « A » et pas encore très « I ». Mais, à terme, le processus de développement va mettre en péril les outils de chiffrement, la pertinence des algorithmes et la validité des informations susceptibles d’être altérées le long de la chaîne de remontée des données. Le deepfake visuel comme audio commence déjà à faire des ravages.
Derniers ouvrages (Fayard ) :
Au commencement était la guerre
Tu ne tueras point