L'inventeur du World Wide Web, explore les prochains usages de la toile mondiale. Si l'utilisateur se focalise surtout sur les services mobiles, les machines vont interpréter davantage de données structurées.
S&L : Vous attendiez-vous à la prolifération actuelle des terminaux web mobiles ?
• TBL : J’encourage le web mobile depuis longtemps, en particulier pour les personnes qui ne peuvent pas acheter un ordinateur. Il y a 20 ans, l’accès au web depuis un téléphone n’avait rien d’évident. Dès le début de la définition de l’architecture web, l’idée d’accéder aux sites depuis différents systèmes était présente. A l’époque, l’internaute avait un PC ou un simple terminal affichant des lignes de commande. La règle d’or du web, c’est son indépendance vis-à-vis du terminal. Le langage HTML dispose d’une conception spécifique permettant l’affichage sur des écrans de toutes tailles et l’impression sur tous les formats de papiers ou de livres, contrairement aux autres approches.
S&L : Les applications web mobiles peuvent-elles rattraper les applications natives conçues pour un environnement donné comme Android ou iOS ?
• TBL : Il faut distinguer les applications web mobiles des applications natives. Ces dernières présentent plusieurs problèmes. On ne peut pas les placer en favori, ni les invoquer depuis une URL. Elles fonctionnent hors du web ; on ne peut pas les twitter. Les programmeurs devraient plutôt développer des applications web car elles sont plus simples à déployer, à partir d’une simple adresse URL. A présent, elles sont aussi attrayantes que les applications natives. Et, surtout, on peut les lancer depuis une icône sur son smartphone.
S&L : Où en est le web sémantique à présent ?
• TBL : Le web des données décolle. Une plateforme solide peut relier désormais les données des gouvernements, des scientifiques ou des sites wiki. Le langage Sparql arrive en version 1.1. Cet équivalent du langage SQL concerne précisément le web des données liées. D’autres technologies sémantiques émergent à présent et favorisent la publication de données structurées sur le Web. On voit également surgir au W3C des développements intéressants qui relient entre elles des données complémentaires pour former un réseau global d'informations. L’entreprise peut s’inspirer de ces technologies pour améliorer l’intégration des applications.
S&L : Comment convaincre les grandes entreprises et les gouvernements de libérer leurs données numériques ? L’affaire des fuites de Wikileaks freinerait plutôt ce mouvement.
• TBL : Aux débuts du web, les techniciens recommandaient aux libraires de créer leur site web. Mais ces professionnels étaient réticents à publier leur catalogue d’abord, puis à afficher les prix ensuite. Ils craignaient que leurs concurrents s’en servent à leurs dépens. En pratique, dévoiler progressivement davantage d’informations forme souvent un avantage compétitif. Cela commence maintenant avec les données numériques. Best Buy retient ainsi la technologie RDFa, en interne, pour révéler précisément qui vend quoi. Grâce à cette description formelle et transparente pour l’internaute, les données peuvent faire l'objet de traitements automatisés. Le DSI de l’entreprise est souvent tiraillé entre deux attitudes opposées. D’un côté, il retient des données et de l’autre, il paie pour dévoiler certaines informations aux partenaires. Les chaînes TV tirent des revenus des informations concernant les programmes qu’elles diffusent. Verrouiller ou restreindre les informations est rarement un bon calcul.
S&L : Qu’en est-il du respect de la vie privée ?
• TBL : La plupart des projets de libération de données n’ont pas trait aux données personnelles. Certains entrent dans ce cadre ; ils soulèvent alors des questions de normalisation et des questions techniques, entre autres. Pour ce qui concerne les dépenses publiques, les choses sont en train d’évoluer. Les investisseurs étrangers et davantage de citoyens veulent contrôler ces dépenses. Ils veulent vérifier qu’il n’y a pas de tricheries ou de corruption.
S&L : L’Europe peut-elle montrer la voie en termes de données ouvertes librement accessibles et réutilisables ?
• TBL : L’Europe reste encore un peu en retrait en matière d’Open Data. Mais avec une poussée concertée, elle pourrait devenir un leader. La valeur économique des données publiques doit être prise en compte. Si je veux comparer un voyage en train à un voyage en bus entre Dublin et Rome, je dois disposer de tous les horaires et de tous les prix des transporteurs desservant cette destination. Chaque pays pourrait diffuser, en outre, ses propres statistiques concernant la sécurité routière et celles des autres moyens de transport.