La promesse du multicloud de pouvoir transférer des données d’un Cloud à l’autre sans limite technique ou frais prohibitif de transfert n’est pas encore tenue. En attendant, une entreprise doit se doter d’une vision unifiée de ses espaces de stockage pour prendre les meilleures décisions possibles.
Dans l’idéal, le multicloud se présenterait comme un environnement unifié où les données pourraient être facilement importées ou exportées dans un cloud, transférées d’un cloud à l’autre, à la demande, sans adhérence, limites, ni frais de migration. La réalité est bien autre. Ce qui fait dire à Ravi Naik, DSI et directeur général adjoint des services de stockage chez Seagate, que si l’on s’en tient à cette définition, « le multicloud n’existe pas, en tout cas, pas encore ».
Dans les faits, le multicloud version 2023 s’apparente plutôt à un imbroglio de clouds qui communiquent mal entre eux et qui ont même érigé de véritables murailles pour conserver leurs pré carrés. S’il est facile de souscrire en quelques clics à un service cloud, la porte de sortie est plus difficile à trouver. Ce qui nuit à la portabilité intercloud (lire encadré).
L’import de données facilitée, leur exportation verrouillée
« Pour profiter rapidement de ses services, un hyperscaler facilite l’import de données dans son Cloud, observe Philippe Vaillant, Lyve Sales Engineer pour Seagate France. Les rapatrier ensuite, c’est une autre histoire. Face aux coûts prohibitifs de transfert, des entreprises font le choix de les laisser ou d’en supprimer certaines. »
Dans ces conditions, « les entreprises rencontrent des difficultés à choisir une plateforme et à en changer quand elles en trouvent une meilleure », estiment Seagate Technology et le cabinet d’études ESG dans un récent « Rapport sur la maturité du multicloud ». Non seulement le multicloud est de plus en plus complexe et coûteux mais il a tendance à verrouiller l’accès des entreprises à leurs propres données. Ce qui constitue un frein à l’innovation. Un comble.
Face à ce constat, ESG et Seagate ont élaboré un modèle de maturité du multicloud en observant les bonnes pratiques du marché. Les entreprises les plus matures sont aussi les mieux outillées. Elles sont ainsi trois fois plus nombreuses à investir dans des solutions d’observabilité leur permettant d’avoir une vue complète de l’ensemble de leur environnement multicloud.
« Pour profiter rapidement de ses services, un hyperscaler facilite l’import de données dans son cloud. Les rapatrier ensuite, c’est une autre histoire »
Philippe Vaillant
Alors que les coûts de stockage peuvent fortement évoluer dans le temps, une organisation doit pouvoir, dans une vision prédictive de type FinOps, évaluer les conséquences économiques de chaque décision prise. On l’a vu, les coûts cachés, comme les frais de transfert, augmentent significativement le coût total de possession du stockage.
Avant de déployer des applications dans le cloud, l’étude conseille de prendre en considération divers critères, tels que les performances, la disponibilité, la mobilité des données, les appels d’API et la bande passante réseau consommée par les utilisateurs. Des critères qui doivent ensuite être monitorés dans le temps.
S’outiller pour avoir une vue complète de son écosystème
Il s’agit également de s’outiller pour assurer le déplacement de données d’un environnement à un autre, en choisissant le chemin le plus simple et le moins coûteux, en fonction de l’emplacement d’origine et de l’emplacement cible, de la période donnée et de la criticité de la donnée. Bien sûr, ce transfert doit répondre à toutes les exigences de sécurité (chiffrement de bout en bout) et de conformité en tenant compte des réglementations nationales et internationales.
Enfin, une entreprise facilite la mise à disposition des données à ses utilisateurs avancés en optant pour une approche en libre-service. Ils doivent pouvoir facilement accéder à la donnée en ligne sans avoir à importer systématiquement un dataset. En suivant ces différentes bonnes pratiques, les organisations plus matures dans le multicloud auraient diminué, selon le rapport de Seagate et ESG, de 36 % leurs coûts liés au stockage Cloud.
L’étude insiste sur l’approche unifiée qui prévaut dans un monde multicloud. « Plus les systèmes sont fragmentés, plus les entreprises doivent investir dans la sécurité et la résilience des données afin d’éviter tout maillon faible. » Une redondance qui a, là encore, un coût.
Tirer parti du multicloud sans déplacer ses données
Pour répondre à cette exigence d’unification, chaque acteur du marché avance ses atouts. A l’instar de Pure Storage avec Pure as a Service, Dell Technologies propose, depuis maintenant deux ans, une offre d’infrastructure as a service. Baptisée Apex, elle permettait, à ses débuts, d’apporter les usages du cloud – élasticité, paiement à l’usage – dans les propres datacenters d’une entreprise.
Depuis, Dell a étendu son offre au monde multicloud. Apex Multi-Cloud Data Services fournit des services de stockage en mode bloc, fichier ou objet auprès des principaux fournisseurs de cloud public (AWS, Microsoft Azure, Google Cloud).
Objectif : permettre à une entreprise de tirer parti de n’importe quel service cloud sans avoir à déplacer ses données. Un moyen de passer outre la politique de verrouillage des providers, liée aux frais de sortie élevés et aux risques inhérents à toute migration.
Une couche d’abstraction, apportée par les partenaires de Dell – IBM/Red Hat ou VMware -, permet de faire tourner les services des principaux hyperscalers sur ses plateformes PowerStore, PowerScale, PowerFlex ou ObjectScale. Le service a recours à Kubernetes, en chef d’orchestre de la gestion multicloud, et à une architecture en micro-services.
L’administration s’en trouve simplifiée. Depuis la console Apex, une entreprise configure un service Cloud, ajuste la bande passante, supervise les performances. Cette vision unifiée, associée à une gestion optimisée des coûts permettrait, selon Dell, de faire fortement baisser les coûts de stockage par rapport au stockage objet traditionnel.
De la persistance de la donnée
« Avec Apex, il est possible de découpler la partie applicative d’une solution qui tourne sur différents environnements de la partie données, explique Abdel Regragui, MEA cloud DPS sales director de Dell Technologies. Les données se retrouvent sur un espace de stockage unifié et exposé à différents points d’accès. Cela évite la redondance de la donnée et des coûts cachés liés au transfert. » A cela s’ajoute, selon lui, un enjeu environnemental à ne pas dupliquer inutilement les données.
L’approche unifiée répond, par ailleurs, à des exigences gouvernance, de sécurité et de conformité. « La segmentation de la donnée permet de créer des îlots de données en fonction des contraintes légales, poursuit Abdel Regragui. Certaines données ne doivent pas traverser la frontière. »
Dell appuie son approche multicloud par des acquisitions ciblées. En janvier dernier, le groupe américain rachetait la startup israélienne Cloudify, spécialisée dans l’orchestration et l’automatisation des infrastructures multicloud.
« La segmentation de la donnée permet de créer des ilots de données en fonction des contraintes légales. Certaines données ne doivent pas traverser la frontière »
Abdel Regragui
Nutanix et VMware, les spécialistes de la virtualisation, en première ligne
En apportant une couche d’abstraction, les spécialistes de la virtualisation et de l’hyperconvergence entendent répondre à cette volonté d’unification. Comme son nom l’indique, Nutanix Unified Storage est une solution de stockage unifié basé sur un logiciel (software-defined) qui permet de contrôler les données quel que soit leur lieu d’hébergement, dans un datacenter privé ou dans les différents clouds. Les contrôleurs de stockage sont virtualisés et donnent accès à des données stockées en bloc, fichier ou objet.
Toujours dans le domaine du stockage, Nutanix a annoncé en mai 2022, lors de son événement annuel .NEXT, que sa solution Objects Storage s’intégrait désormais avec Snowflake afin de permettre aux entreprises de travailler avec cette modern data platform pour analyser leurs données stockées localement.
De son côté, VMware a lancé, en septembre dernier, la version 8 de vSAN. Présenté comme un logiciel de virtualisation de stockage, il permet de virtualiser les unités de disques des serveurs sous la forme d’un « pool » de stockage global, dans lequel viennent puiser les machines virtuelles pour accéder aux données.
Conçu initialement pour les datacenters, ce produit historique de VMware a définitivement basculé dans le monde multicloud. vSAN8 propose notamment une nouvelle architecture de stockage baptisée ESA pour Express Storage Architecture. Autre nouveauté présentée à Explore 2022, VMware Aria Graph cartographie les environnements multicloud d’une entreprise – applications, utilisateurs, configurations et dépendances associées – dans une vue unique.
Seagate : stockage agnostique et compatible S3
Acteur historique du stockage, Seagate ne pouvait rester à l’écart du mouvement. Avec Lyve Cloud, le fournisseur américain a lancé, il y a un peu plus de deux ans, une offre de stockage originale dans son approche. Jouant la carte de la simplicité et de la prédictibilité, Seagate ne propose que du stockage – pas d’analytics ou de puissance de calcul – pour un coût du service indexé au térabyte par mois.
« La facture tient sur une ligne contre plusieurs pages pour les offres concurrentes, avance Philippe Vaillant. Par ailleurs, nous ne facturons pas de coûts supplémentaires pour l’importation ou l’exportation des données. »
L’autre originalité de ce service stockage tient en sa compatibilité à S3, le service de stockage d’objets d’AWS devenu standard du marché. Ce qui permet d’exposer ses données dans les Clouds publics d’AWS, Google Cloud, OVHcloud, Microsoft Azure, IBM Cloud ou Wasabi. « Une entreprise peut, par exemple, décider d’exporter 5 % de ses données dans Google Cloud pour bénéficier de sa puissance de calcul », illustre Philippe Vaillant.
Depuis le portail de Lyve Cloud, le gestionnaire valide l’envoi de données au bon provider dans la bonne zone géographique. Un chiffrement (AES 256) est assuré de bout en bout lors du transfert de des données « Seagate a toujours été agnostique, rappelle le consultant. Nous fournissons une zone d’atterrissage, à l’entreprise de décider ensuite vers quel cloud elle souhaite aller. »
Pour faciliter la migration de téraoctets de données vers son Cloud, Seagate a complété son offre, en octobre 2022, avec Lyve Mobile. A l’instar d’AWS Snowball, il s’agit d’une solution hardware de stockage mobile qui se présente sous forme de racks (voir photo). Ce dispositif ambulant permet de capturer les données sur leur lieu physique d’hébergement sans avoir ainsi à utiliser toutes les capacités de bande passante de l’entreprise. Les données viennent ensuite alimenter les centres d’ingestion de Seagate.