Vers des datacenters plus verts
Par nature, le datacenter, vrai moteur de l’économie numérique, est énergivore. Le rendre plus vert et respectueux de l’environnement exige d’investir en procédures, en équipements et en certifications.
Amateur de plongée, Jeremy Cousin, le PDG de l’hébergeur CIV, déplore l’émergence d’un septième continent sur la planète : “Hélas, il s’agit d’un continent de plastique en provenance de nos déchets quotidiens. Il est grand temps de changer nos habitudes. Lorsqu’on prépare une révolution numérique, les enjeux sont à cinq ans et au-delà”. Créé il y a 42 ans par Serge Cousin, CIV propose des services d’hébergement et de maintenance informatiques via deux centres de données situés au nord du pays, à Saighin-en-Mélantois près de Lille et à Valenciennes. L’entreprise fournit aussi des missions de conseil, d’audit et d’innovation aux sociétés disposant de leur propre datacenter. Le respect de l’environnement et les performances technologiques au service de l’hébergement forment les deux piliers de son offre Alternative Datacenter.
Dès 2010, l’usage du freecooling, ce mécanisme canalisant le froid externe vers les serveurs, peut diviser par deux la facture d’énergie du site. A Lille, cette technique est exploitable 250 jours par an mais ce n’est pas le cas partout en France.
A La Ciotat, dans les Bouches-du-Rhône, ASP Serveur récupère aussi l’air frais pour refroidir ses équipements, mais le site doit privilégier d’autres précautions parallèlement : « Les fenêtres de notre datacenter bénéficient toutes de pare-soleil d’un mètre cinquante évitant la surchauffe des serveurs. Les vitres sont traitées anti-UV. A l’intérieur du bâtiment, les néons ont été remplacés par des LED. C’est l’ensemble d’un grand nombre de petites mesures qui fournit l’éco-efficience au final », observe Sébastien Enderlé, le fondateur et directeur général d’ASP Serveur.
La réduction de l’empreinte énergétique du centre de données n’en est qu’à ses balbutiements. Elle passe par la virtualisation des serveurs, l’adoption de commutateurs réseaux convergents.
Les géants d’Internet veulent respecter l’environnement
Chaque datacenter cherche à améliorer son indice d’efficacité énergétique ou PUE (Power Usage Effectiveness). Cette mesure de l’efficacité énergétique du centre d’exploitation IT se calcule en divisant l’énergie totale consommée pendant un an par celle consommée par les systèmes informatiques sur la même période. S’il faut dépenser 1000 W de climatisation pour refroidir des serveurs consommant 1000 W, le PUE atteint 2. La réduction de cet indice se heurte toutefois au modèle économique du propriétaire du site qui doit multiplier les investissements pour mettre en œuvre la climatisation efficace, le confinement d’air et les secours électriques nécessaires.
De plus en plus de collectivités et de groupes privés externalisent leurs données tout en les conservant dans le périmètre de l’Hexagone, la tendance intervient alors que les deux Clouds souverains – Numergy et Cloudwatt soutenus par l’état durant trois ans – ont failli dans leur mission.
“ Le Patriot Act bleu-blanc-rouge est entretenu par les commissaires aux comptes ; ils rappellent aux chefs d’entreprise une règle de prudence visant à stocker en France toutes les données relatives à leurs salariés. Les russes adoptent d’ailleurs la même démarche à l’intérieur de leurs frontières ”, observe Jeremy Cousin. La rigueur du droit social, les règles fiscales, les normes anti-bruits et la culture française rebutent les géants du Cloud à venir s’installer en France, hormis Salesforce qui entame cette démarche au printemps. Ces remparts pourraient profiter aux hébergeurs locaux, à condition qu’ils soient prêts à investir dans un datacenter respectueux de l’environnement.
Car les géants du Web ont pris le taureau par les cornes : Apple, Google, Facebook, Yahoo et Microsoft privilégient les énergies renouvelables pour alimenter leurs centres de données. Dans le même temps Microsoft envisage de plonger ses containers aux larges des côtes du Pacifique et de l’Europe du Nord (lire Article “Microsoft plonge ses serveurs sous les mers”).
Avec un pourcentage d’utilisateurs Internet atteignant 50 % de la population mondiale, il s’agit de mieux respecter l’environnement dès cette année, prévient Tony Bishop, vice-président de la stratégie marketing d’Equinix et ancien responsable de la transformation numérique de Morgan Stanley et de Wachovia Bank. “Notre vie en ligne exige d’énormes quantités d’électricité, en particulier pour les datacenters”, souligne-t-il. Selon le rapport Trends in Datacenters de Mortenson, 84 % des opérateurs nord-américains reconnaissent la nécessité de prendre en compte les énergies renouvelables pour répondre aux futurs besoins d’énergie. On peut regretter, au passage, que 16% d’entre eux restent à convaincre.
Les entreprises s’approprient donc progressivement les principes des énergies vertes. Et les sociétés s’appuyant sur l’électricité pour alimenter leur infrastructure Internet critique et s’assurer de son bon fonctionnement vont continuer à réévaluer l’efficacité énergétique de leurs datacenters. “Elles doivent adopter des recettes d’économie d’énergie éprouvées et faire évoluer leurs pratiques en matière de développement durable”, recommande Tony Bishop, auteur de l’ouvrage Next Generation Datacenters, Driving Extreme Efficiency and Effective Cost Savings.
Telehouse optimise la consommation de sa plateforme Cloud
La France offre une position médiane en Europe occidentale et un climat tempéré propice à l’activité des datacenters. Son énergie électrique est compétitive, grâce aux centrales nucléaires surtout. Dorénavant, les critères qui favorisent l’investissement et la modernisation des datacenters sont éthiques, sociétaux et environnementaux, confirme Jean Baptiste Baraban, le directeur technique de Telehouse. Lancé dans une démarche de gestion du cycle de vie de ses produits, l’hébergeur constate qu’une partie de son Cloud n’est pas assez verte. “ Nous avons retenu une certification éco-conception, focalisée d’abord sur notre plateforme Cloud, les serveurs, baies de disques et équipements d’interconnexion étant particulièrement gourmands en énergie ”.
« Nous avons retenu une certification éco-conception focalisée sur notre plateforme Cloud gourmande en énergie. »
Jean-Baptiste Baraban Telehouse
Il s’agit de penser une nouvelle plateforme Cloud éco-efficace. Après audit, la quête d’économie préconise de faire converger les architectures réseaux irriguant les serveurs et les baies de stockage. “ La démarche nous a semblé intéressante, avec des gains rapidement perceptibles. En nous concentrant sur l’infrastructure Cloud, l’impact était plus visible, plus important qu’en généralisant tout de suite l’approche au bâtiment complet. A présent, nous produisons davantage de services Cloud avec une consommation moindre ”, apprécie-t-il.
Telehouse bénéficie d’une amélioration sensible de son efficacité énergétique suite à cet effort d’introspection. “ Nous avons atteint 83% des objectifs théoriques tout en gagnant des performances ”, résume Jean-Baptiste Baraban. Sur quelle mesure l’hébergeur fonde-t-il ce constat ? Sur la consommation énergétique requise par chaque nouvelle machine virtuelle. Elle a été réduite de 0,06 KVA à 0,0429 KVA, par VM, en dix-huit mois. Entre temps, les serveurs et les baies de stockage ont été remplacés par des solutions de plus haute densité, d’origine HP 3Par. Et quatre commutateurs trop gourmands ont laissé leur place à deux switchs multi-gigabit Ethernet récents.
L’évaluation Afaq éco-conception a été menée par le cabinet Auditerra. Cette démarche est un processus itératif, renouvelé tous les 18 mois. Le premier cap passé, suite au dernier audit, un nouveau périmètre d’amélioration vise à présent le bâtiment dans son ensemble.
ASP Serveur contrôle l’énergie en temps réel
Intégré au groupe Econocom depuis l’été 2014, l’hébergeur ASP Serveur de La Ciotat est un pionnier des services Cloud en disponibilité continue. Il se distingue par son portail unifié accélérant la commande et la mise en production rapide de machines virtuelles à base d’infrastructure Cloud hybride, avec pare-feu, équilibre de charge et VPN. « Nous adressons les besoins d’entreprises du CAC 40, de grandes sociétés comme ERDF ou Airbus attentives à l’environnement et pour lesquelles une clause d’indice PUE figure au cahier des charges d’hébergement. 100% de l’énergie ASP Serveur est verte. Elle provient de l’éolien et de l’hydro-électrique acheté en Norvège », indique Sébastien Enderlé, le fondateur et directeur général d’ASP Serveur. Pour servir au mieux les grands comptes, le centre de données progresse vers des processus certifiés ISO 27001, ITIL et Prince 2 notamment, tout en maintenant ses infrastructures au plus haut niveau. Le datacenter de La Ciotat a servi de site pilote pour un outil de mesure de la consommation en temps réel, co-financé par l’Ademe (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Cet outil permet de suivre précisément les variations saisonnières : « Nous observons un indice PUE moyen de 1,4 sur toute l’année, que nous pouvons prouver, là où certains sites du littoral méditerranéen prétendent faire mieux, via de l’air soufflé au travers du plancher. Or cette technique ne permet pas de descendre sous un PUE de 1,5 au sud de le France. Afficher un PUE de 1,2 n’est possible qu’en Norvège en exploitant l’eau d’un fjord », fulmine le manager. Il confirme qu’un ensemble de processus et de technologies complémentaires restent nécessaires pour optimiser le ratio PUE.
« 100% de l’énergie d’ASP Serveur est verte. Elle provient de l’éolien et l’hydro-électrique acheté en Norvège. »
Sébastien Enderlé ASP Serveur
Avoir un œil externe sur la conception du site forme une étape importante, mais selon lui, insuffisante : « Nous sommes signataires du code de conduite européen des datacenters mais ce code fournit une simple déclaration d’intention. Pour aller plus loin, rien ne vaut des chiffres concrets et des technologies à l’état de l’art, un confinement d’air chaud, des climatiseurs de précision et des onduleurs à haut rendement. Notre fournisseur Schneider Electric propose des solutions éco-efficientes, surtout lorsqu’on investit dans toute la chaîne complète ».
Dans sa démarche d’amélioration continue, ASP Serveur s’appuie sur un arbitrage tiers composé de deux experts externes ; la société de conseils APL intervient, chaque année, sur la qualité du datacenter et le prestataire Courtois Energie Conseil en optimise l’éco-efficacité. Sur ce critère, l’hyper-convergence devient une bonne pratique : « Nous utilisons l’environnement Nutanix ; cet équipementier détient le record en nombre de machines virtuelles exécutées dans un faible encombrement. Avec 700 Watts, une unité 2U alimente jusqu’à 192 VM. C’est coûteux mais très efficace », conclut Sébastien Enderlé.
Chaque datacenter de chaque pays, en fonction de ses contraintes géographiques et économiques, tente d’améliorer son efficacité énergétique. Or le phénomène est global. Une prise de conscience démarre du côté des banques centrales qui se disent prêtes à utiliser des méthodes d’évaluation du risque climatique dans les titres financiers. Mais, en dépit du ratio PUE déclaré par les hébergeurs, les clients ont toujours du mal à comparer les datacenters, faute d’indices fiables et contrôlés.