Voilà les trois ingrédients indispensables à la réussite d'un centre de données. Mais toute recette exige un bon tour de main. Bernard Lecanu, directeur général du cabinet BLIC de conseils en stratégie et développement de datacenters en Europe, et ancien manager de Corning, précise les compétences à réunir et à coordonner.
➜ Comment se positionne la France sur le marché des datacenters ?
• La France forme un terrain très favorable pour les datacenters. Elle est récemment passée au second rang Européen, derrière le Royaume-Uni. Nous sommes partis un peu tard, à cause de notre caractère latin, mais nous bénéficions de plusieurs atouts importants. Notre pays industriellement développé propose des coûts énergétiques relativement faibles. Le nucléaire, énergie non carbonée, reste une source verte si elle est bien gérée. De plus, nous avons de grandes sociétés de construction comme Bouygues et, avec le groupe Schneider, le numéro Un mondial de l’infrastructure des datacenters. Au-delà de la production, les clients sont nombreux : ce sont de grandes banques pour lesquelles les règles Bâle 3 ont une influence considérable, avec des centres de reprise d’activité locaux. Il y a aussi de grandes entreprises et de nombreuses collectivités permettant un boum de la colocation.
➜ Quid des compétences pour optimiser et exploiter les datacenters ?
• Tous les grands acteurs des bureaux d’études sont bien implémentés maintenant, en régions comme à Paris. Les grands fournisseurs sont également répartis et l’accès à l’énergie est au même prix partout sur l’Hexagone. Les compétences techniques deviennent plus faciles à trouver hors de la région parisienne, localement ou bien avec de jeunes ingénieurs qui souhaitent s’installer en Province. On parle de surdensité de sites en région parisienne et même de raréfaction de surfaces disponibles. Est-ce votre constat ? Il y a encore beaucoup de surfaces disponibles dans toutes les grandes capitales Européennes. En France, je ne pense pas que nous sommes arrivés à un niveau de saturation du marché, dans la mesure où nous sommes partis tard. Par contre, on constate une régionalisation des centres de données avec de petits et moyens datacenters qui se construisent en région. Parfois, des investisseurs étrangers viennent bâtir volontairement des centres de colocation en province. Leurs choix d’implémentation sont toujours liés à la proximité des clients, des fibres optiques et de l’énergie.
➜ Le marché des datacenters est-il toujours cyclique avec des phases de recherche de terrains, de construction puis d’exploitation ?
• Plusieurs options restent possibles. Lorsqu’on part de zéro, on cherche un terrain, si possible proche des routes de fibres. La France est à la croisée des chemins Européens. En colocation, il faut disposer du plus grand panel d’accès aux opérateurs de télécommunications. L’industriel construisant son datacenter n’a pas le même problème. L’option de partir sur un terrain vierge prend néanmoins beaucoup de temps. De plus en plus d’entreprises optent pour la rénovation d’un bâtiment ou pour un datacenter modulaire. Les délais de réalisation ont considérablement décru depuis deux ans. A présent, un datacenter devient opérationnel en douze mois seulement.
➜ Le cloud computing forme-t-il un bon moteur pour l’essor des datacenters ?
• Je note une évolution dans le monde de l’hébergement. Auparavant, on louait des mètres carrés. A présent, les hébergeurs cherchent à vendre des produits associés, à monter vers les couches applicatives. Le cloud computing peut et devrait être un produit associé de l’hébergement. En fait, on distingue toujours deux types d’activités. D’une part, certains acteurs cherchent toujours à louer 30% à 40% de leur surface, sur plan. D’autre part, de nouveaux investissements importants – faisant suite aux études de marché – anticipent la montée en niveaux de services, vers l’infogérance de systèmes d’information d’entreprise.
➜ Quelles autres tendances retenez-vous actuellement ?
• Des technologies s’affirment, comme le free cooling. Cette méthode économique utilise les basses températures de l'air extérieur ou de l’eau pour refroidir les systèmes. Dans les zones tempérées, on peut ainsi remplacer une climatisation classique quasiment toute l’année. L’usine numérique devient plus industrielle, plus économe. Elle se développe de façon plus durable, dans le cadre d’un éco-système. Par exemple, la production de chaleur est mise à profit pour délivrer de l’eau chaude à proximité du datacenter. Avec la régionalisation des sites et le développement du cloud computing, la progression annuelle du marché est à deux chiffres à présent. Pour certains acteurs elle est même supérieure à 30% par an. Je crois que le marché a appris de ses erreurs et notamment de la crise Internet. Ce n’est plus la folie des années 2000. A présent, on voit croître de vraies entreprises profitables, conduites par de vrais managers, en dépit d’un retour sur investissement plus long que par le passé.
➜ Les métiers ne glissent-ils pas un peu les uns vers les autres ?
• C’est vrai. Quelques grands acteurs ont une vraie stratégie de partenariats et d’acquisitions. En dix ans, ils sont venus sur des secteurs qu’ils ne connaissaient pas, par acquisition ou par recherche et développement. L’industrialisation et l’automatisation des datacenters provoquent de nombreux partenariats entre opérateurs (Telecity, Interxion, Equinix…), fournisseurs, bureaux d’études et équipementiers de l’infrastructure. La coordination des métiers est menée par l’assistant à maîtrise d’ouvrage : un cabinet d’études le plus souvent. Au début des années 2000, la tendance des opérateurs consistait à louer de la capacité. Certains deviennent à présent prestataires de services cloud. Mais les datacenters qu’ils opèrent répondent surtout à leurs propres besoins. Ils ne prennent pas la place des opérateurs de colocation. Le métier d’hébergeur reste difficile et exige une vraie stratégie marketing.