Mises à l’épreuve par de nouvelles habitudes de travail, les capacités de modernisation des entreprises s’évaluent sur plusieurs plans. Parmi ceux-ci, l’efficacité de la gestion documentaire est un marqueur fort de l’état de la gouvernance de l’information. Si la GED n’est plus adaptée, il faut la faire évoluer d’urgence. Mais le changement d’une solution vieillissante n’est qu’une première étape vers la consolidation d’une organisation de travail collaboratif et distant, et vers l’automatisation de la chaine de traitement.
Une GED ne peut se contenter d’importer des documents, de les indexer et de les archiver. Ces fonctions essentielles ne permettent pas d’envisager de nouvelles méthodes de travail à partir desquelles la gestion électronique de documents sait récupérer toutes sortes de données où qu’elles se trouvent ; importer des flux numériques depuis des salles courriers, des scanners de bureaux ou des boîtes mail et gérer des workflows ; s’adapter à n’importe quelle application métier, créer des plans de classement intelligents sans intervention de l’utilisateur ; signer des documents, stocker de manière sécurisée et, bien sûr, disposer d’une panoplie étendue d’outils de collaboration. La GED a bénéficié d’évolutions au long cours. Les solutions les plus performantes présentent une intégration fine avec les systèmes d’information et tirent parti de toutes les infrastructures matérielles et logicielles, sur site ou dans le Cloud. Bridées et peu évolutives, les solutions les plus anciennes génèrent des coûts de maintenance et de mise à niveau élevés. Ces GED historiques ne sont pas les seules applications à ralentir la circulation de l’information dans l’entreprise, mais elles freinent d’autant plus les activités qu’elles sont souvent le seul nœud d’échange.
« Beaucoup de solutions d’archivage et de workflow encore en cours d’utilisation au sein des entreprises s’avèrent obsolètes. »
Xavier Doulaud
Xavier Doulaud, country manager chez SER Group, explique : « Les environnements IT hétérogènes constitués de manière organique ont tendance à absorber une grande partie des ressources de l’entreprise : les opérations nécessitent un haut degré de maintenance et représentent un coût indéniable en matière de personnel. Les coûts élevés de licence et de maintenance de ces systèmes ont une conséquence sur le budget IT, et il reste ainsi peu de marge de manœuvre au développement de services clients numériques innovants. Beaucoup de solutions d’archivage et de workflow encore en cours d’utilisation au sein des entreprises s’avèrent obsolètes. Ces systèmes traditionnels ont atteint leurs limites à mesure que la quantité de documents, de fichiers, de processus métiers et d’utilisateurs a augmenté. Ces interfaces inadaptées sont un obstacle à l’intégration de nouvelles applications spécialisées, car elles ne permettent pas de bénéficier d’une vision complète des processus et provoquent des ralentissements d’activité. Sur le long terme, c’est une véritable source de frustration et de mécontentements chez les utilisateurs lassés de devoir patienter ».
Les éditeurs du marché l’avouent, parmi leurs clients, les entreprises plombées par une GED dépassée sont loin d’être rares. La solution en place ne sert alors qu’à gérer des documents morts, par exemple des factures numérisées au format PDF puis simplement stockées, sans aucune possibilité de gestion dynamique des données. « Les entreprises recherchent aujourd’hui de la transversalité dans l’intégralité du périmètre de leurs activités, mais veulent surtout gérer le cycle de vie du document de bout en bout, de son acquisition jusqu’à son archivage. Pour elles, une GED moderne est accessible en mobilité, offre les dernières technologies de recherche telles qu’on les trouve chez Google avec l’utilisation du langage naturel et le renvoi de résultats instantanés, et dispose de fonctionnalités d’édition intégrées », constate Jean-Louis Sadokh, directeur général de T2i France.
Une synergie entre front et back office
Les gouvernances adoptées par les entreprises pionnières dans la gestion documentaire orchestrent des outils dédiés à la gestion des flux de données capturées, l’analyse du contenu, la gestion de l’identité et la conservation. Beaucoup d’acteurs du marché ont d’ailleurs remplacé le sigle GED par celui d’ECM (Enterprise Content Management), traduisant la nécessité d’ordonner l’information selon les besoins opérationnels, de bâtir des stratégies d’accès aux données et d’avoir la capacité de produire des preuves en cas de litige, le tout à partir de l’ensemble du contenu de l’entreprise. Pour ces éditeurs, une approche globale des projets et un déploiement progressif des solutions sont la clé d’une rationalisation et d’une automatisation des processus documentaires associés aux métiers. Leurs préconisations tiennent aussi compte de l’évolution du poste de travail, nouvelle donne qui rebat les cartes d’un marché où convergent GED, intranet, collaboratif et visioconférence. En témoigne l’offensive des offres de digital workplace qui trouvent dans la crise sanitaire un relais parfait, mais se heurtent cependant aux réalités du terrain. Qu’il s’agisse de télétravail ou de travail hybride, des études récentes, notamment d’Arctus, d’Econocom ou encore d’IDC, soulignent en effet la difficulté pour une part importante de salariés d’interagir avec les outils mis à leur disposition. La productivité vendue par ces environnements élargis ne serait pas toujours au rendez-vous. Ce ne sont pas les fonctions collaboratives autour du document qui posent de réels problèmes, mais plutôt la maturité des logiciels d’entreprise, ERP et CRM en tête, en termes de collaboration. Les éditeurs de ces secteurs refondent leurs offres et préparent des versions plus adaptées, mais doivent compter avec la concurrence des spécialistes du document. « Nous nous concentrons sur la conception de solutions d’ECM qui évoluent énormément en termes de parcours utilisateur, car le marché de l’ECM et du case management touche désormais celui du CRM pour fournir une vision à 360° du client. Le CRM est un outil de front office alors que l’ECM est un outil de back office, mais on assiste aujourd’hui à une synergie de ces deux mondes, le back office rejoint le front office, et cela se joue au niveau du poste de travail », explique Emmanuelle Ertel, directrice communication et stratégie innovation digitale chez Tessi.
« Le CRM est un outil de front office, l’ECM est un outil de back office, mais on assiste à des synergies. »
Emmanuelle Ertel
Une automatisation de bout en bout
Pour la DSI, la supervision des traitements back office du document n’a jamais été prioritaire, les équipes IT ne voyant souvent dans la GED que des données à sécuriser et à stocker. Pourtant, l’une des valeurs ajoutées des solutions de gestion documentaire réside dans leur capacité à gérer et automatiser des processus métiers, d’abord à travers la capture avec des modules d’OCR, de LAD et de RAD, pour ensuite orienter les flux de documents vers la GED, la signature électronique et l’archivage. Ces opérations reposent sur les moteurs de workflows et de RPA qui alimentent automatiquement les systèmes d’information. L’objectif des éditeurs est de réaliser cette automatisation de bout en bout avec la plus grande fluidité possible, en s’appuyant idéalement sur une seule et même plateforme, mais l’approche est rare. « Il n’y a pas nécessairement de solution unique pour l’ensemble de la chaîne de valeur, mais souvent une combinaison de 2 ou 3 solutions qui permet de couvrir les traitements de bout en bout. La solution magique qu’on branche et qui répond à tous les besoins n’est pas simple à trouver et coûte très cher. Il est important dans tous les cas d’établir la meilleure interaction possible entre d’un côté le stockage et de l’autre le flux et l’usage. Les interfaces sont donc essentielles. La norme CMIS (Content Management Interoperability Services) et à privilégier car elle offre une interopérabilité globale entre les solutions. Lorsqu’on est par exemple équipé d’intranet et d’outils collaboratifs, on peut alors très simplement brancher une brique orientée GED pour relier utilisateurs et usages avec les documents stockés dans la GED », souligne Jean-Philippe Clair, directeur Keyrus Digital France.
« La solution magique qu’on branche et qui répond à tous les besoins n’est pas simple à trouver et coûte très cher. »
Jean-Philippe Clair
Les factures, les documents RH et les contrats figurent en tête des processus documentaires que les entreprises cherchent à automatiser. Les volumétries importantes et les étapes de traitement chronophages sont également ciblées. Les priorités s’établissent aussi selon les spécificités des métiers et en fonction de l’aspect stratégique des documents sur les plans réglementaire et législatif. En outre, le degré d’automatisation et l’ampleur de transformation des processus ne vont pas nécessairement de pair. Que la plateforme de traitement appartienne au même éditeur ou qu’elle fasse appel à plusieurs prestataires liés par des partenariats, les progrès réalisés dans les domaines de la robotisation et de l’intelligence artificielle permettent à toute typologie d’entreprise de se projeter dans des projets ambitieux d’automatisation.
Ces silos qui piègent les documents
Encore faut-il que le cœur de la gestion documentaire ait la capacité de tenir le choc du projet de transformation, que la GED en place soit un pivot de circulation de l’information et non un obstacle. « L’enjeu est de faire communiquer habilement la GED et l’écosystème digital de l’entreprise. Applications métier, intranets et sites institutionnels peuvent ainsi bénéficier de la puissance des outils de la GED : recherches pertinentes, indexation plein texte, gestion fine des droits d’accès, etc. Nativement décloisonnée, la GED centralise l’information dans l’entreprise. Lorsqu’elle devient interconnectée, elle facilite le partage des connaissances au sein d’organisations qui se veulent toujours plus souples et collaboratives », indique Gilles Batteux, CEO de Kentika. La GED, l’ECM ne sont que des briques du SI. Si ces outils font défaut pour cause de vétusté, et ce ne sont souvent dans ce cas pas les seuls, il est difficile d’envisager l’adoption d’une politique globale de gestion de contenu, surtout au moment où le télétravail révèle une rigidité des applications voire une dette technologique globale. « Beaucoup de GED intégrées participent à la multiplication de silos avec une gestion du document dans chacun des systèmes d’information RH, CRM, ERP, sans compter toutes sortes de GED métiers, alors qu’il est nécessaire de fédérer tous les documents au même endroit. L’accès à toutes les données à travers une GED unique et transverse est préférable aux solutions de gestion de document qui intègrent soit la paye, soit la messagerie, soit les ventes ou encore les achats. L’empilement d’applications destinées à la gestion des flux, par exemple les factures fournisseurs, n’optimise pas la distribution des données », estime Olivier Rajzman, directeur France & Benelux de DocuWare.
« L’accès à toutes les données à travers une GED unique et transverse est préférable aux solutions de gestion de document. »
Olivier Rajzman
Faire le ménage avant de migrer les données
Lorsque le changement de GED s’impose, les approches générales côtoient le cas par cas pour tenir compte des variations d’infrastructures logicielles et matérielles d’une entreprise à l’autre. L’audit entame logiquement les projets. « La première phase est une analyse de l’existant qui localise les données et identifie leur format et leur contenu. Elle est suivie d’un nettoyage des données et d’une sélection des fonds documentaires qui seront repris », indique Aymeric Martin, consultant chez ELO Digital Office. « Lorsque les données sont stockées en local, le nettoyage des données concerne souvent des volumes importants, en raison des faibles coûts engendrés par la technologie de stockage. Le stockage dans le Cloud est lui plus cher et donc nettement plus rationalisé. On y trouve souvent beaucoup moins de doublons que dans une installation on premise », ajoute Mickael Sastrel, directeur général d’Eukles Solutions. Les professionnels recommandent aussi de tester amplement les opérations avant d’opérer la bascule, une phase pour laquelle on a rarement droit à l’erreur, les pertes de données pouvant être dramatiques. Des approches alternatives existent aussi. « Pour faciliter la migration, nous permettons d’indexer des documents situés dans des répertoires externes, par exemple SharePoint, sans l’effort de migration associée : nous indexons le contenu, qui sera vu par défaut sans métadonnées, mais nos services intelligents ont la capacité de détecter automatiquement les métadonnées qui seraient nécessaires à leur description », illustre Charles Coudray, expert ECM chez M-Files. La migration réussie est celle dont personne ne s’aperçoit dans l’entreprise, estiment les prestataires. « Cela n’est possible que si l’on a apaisé en amont les inquiétudes des utilisateurs et emporté leur adhésion au projet » souligne, Thierry Imbert, directeur qualité chez Sages.
EN CHIFFRES
En 2023, 87 % des entreprises auront adopté une solution de signature électronique
Markess by Exægis a interrogé au 1er semestre 2021 un échantillon d’une centaine de décideurs travaillant dans de nombreux secteurs privés et publics pour cerner leurs approches et usages de la signature électronique.
Porté par les réglementations, soutenu par les technologies, adopté par les utilisateurs et rendu essentiel par le travail et la collaboration à distance, le recours à la signature électronique s’est largement déployé parmi les entreprises et organisations publiques, constate le cabinet d’études : 64 % des entreprises interrogées ont aujourd’hui déjà déployé une solution de signature électronique, alors qu’en 2017, elles n’étaient que 37 % à mentionner en être équipées. En se projetant sur l’année 2023, cette majorité devrait encore grossir pour atteindre 87 %. Seuls 12 % n’envisagent pas de recourir à court terme à une solution de signature électronique. Markess by Exægis observe aussi que l’adoption de ces technologies est encore partielle dans les processus, même si les décideurs plébiscitent à 70 % l’intérêt de pouvoir signer un document à distance. Et ils sont 64 % à mentionner, comme autre bénéfice, la possibilité de disposer d’un processus digital de bout en bout. Il permet d’offrir une expérience digitale optimale, reposant sur un parcours 100 % numérique, sans rupture. Ils sont également 46 % à considérer que la signature électronique offre une meilleure expérience client, une commodité qui concerne aussi les employés comme les partenaires.