Atos et Bull ont annoncé fin mai leur projet de rapprochement pour créer une société leader en Europe dans le cloud, le Big Data et la cybersécurité. Analyse.
Ils réfléchissaient à des idées de partenariats depuis un an, finalement ils se marient. Fin mai, la société internationale de services Atos a lancé une OPA amicale sur Bull, le dinosaure français de l'informatique. Avec ce rachat, l'ambition affichée de Thierry Breton, le patron d'Atos, est «de devenir un acteur de premier plan et la marque préférée de l'IT en Europe à l'horizon 2016». Les compétences de Bull dans l'infogérance, le cloud, le Big Data et la cybersécurité devraient l'aider à «ancrer son leadership en Europe», affirme la SSII.
Trois axes de développement envisagés
Premier développement visé : le cloud. Le rapprochement des deux sociétés devrait permettre au groupe de se renforcer dans le nuage, avec un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros. Bull apportera ses compétences dans le domaine (avec un CA de 130 millions) à la filiale d'Atos dédiée, Canopy, une société créée avec EMC et VMware mais dont Atos est actionnaire majoritaire. Thierry Breton espère ainsi «créer le premier acteur européen du Cloud, devant Microsoft et IBM». L'ambition d'Atos est aussi de se mesurer à Google et Amazon, comme Thierry Breton l'a indiqué à BFMTV au mois de mai : «Regardez les Google et Amazon : ils ont aussi leurs propres serveurs et systèmes. Nous devons faire la même chose». Et Atos, un temps pressenti il y a deux ans pour participer au projet de cloud souverain français Andromède, va pouvoir rejoindre cette fois le cloud souverain Numergy, dont Bull détient 20 % (SFR et La Caisse des Dépôts étant les deux autres actionnaires).
Deuxième axe : la cybersécurité : les compétences de Bull dans la sécurité des systèmes critiques et des sites sensibles sont censés permettre à Atos de se renforcer dans les secteurs public et de la Défense, non seulement en Europe (principalement en France, Espagne et Pologne), mais aussi en Afrique et au Brésil. Bull emploie environ 1000 personnes dans le domaine de la cybersécurité.
Enfin, le Big Data. En tant que premier hébergeur de données, Atos dispose de plus de 85 datacenters dans le monde, et l'expertise en supercalculateurs de Bull va lui apporter les capacités de calcul nécessaires pour se développer sur le marché des données massives qui, selon le cabinet Transparency Market Research, devrait atteindre 8,9 milliards de dollars de chiffre d'affaires cette année et près de 24,6 milliards de dollars en 2016. Pour Atos, qui travaille avec de nombreux gouvernements en Europe, et traite d'éléments de souveraineté, «il est important qu'en Europe, il y ait un acteur de taille mondiale qui intègre ces capacités de traitement de données pour nous préparer au monde de demain».
Une dot embellie ?
Pour les deux activités du Big Data et de la Cybersécurité, Atos a l'intention de créer une entité dédiée sous la marque Bull avec un chiffre d'affaires espéré d'environ 500 millions d'euros. C'est le PDG actuel de Bull, Philippe Vannier, qui devrait en prendre la tête et la développer avec «des objectifs élevés», notamment en acquérant des start-up innovantes. Thierry Breton a comparé cette nouvelle entité à Worldline, la filiale de services de paiement d'Atos introduite en Bourse en juin.
Le nouveau groupe compterait plus de 85 000 collaborateurs et, si l'on additionne les deux chiffres d'affaires de Bull et d'Atos, pèserait quelque 10 milliards d'euros, Bull y contribuant pour 1,26 milliard. En France, le nouveau groupe pèserait 2 milliards d'euros. Jusqu'à présent, Bull tire surtout ses revenus de l'infogérance, à hauteur de 39 % (CA 2013). Le Big Data et la sécurité contribuent au chiffre d'affaires pour 26 %, tout comme l'intégration de systèmes, le cloud ne représentant, lui, que 9 % de son CA. Certains analystes font donc remarquer que les deux tiers du CA de Bull se réalisent sur les classiques activités de services, et qu'Atos a embelli la mariée, en mettant l'accent sur 3 secteurs porteurs de l'IT. Néanmoins, Atos espère voir son chiffre d'affaires dans l'infogérance augmenter de 500 millions, «en touchant de nouveaux marchés verticaux grâce l'expertise de Bull dans les services de maintenance et de migration mainframe». En intégration de systèmes, Atos espère que Bull contribuera à hauteur de 300 millions du chiffre d'affaires.
Autre point soulevé par les analystes : Bull réalise principalement son chiffre d'affaires en France à 55 %, l'Europe n'y contribuant que pour 30 % (et le reste du monde pour 15 %). Cela pourrait poser des problèmes d'intégration pour les équipes françaises, prédisent cetains experts. Mais Thierry Breton fait remarquer que les 28 000 ingénieurs de Siemens ont été intégrés au groupe sans problème, lors du rachat des activités informatiques de la société en 2011
Des économies de coûts à la clé
En tout état de cause, la transaction devrait générer en deux ans 80 millions d'euros de synergies de coûts. L'accélération de la mise en oeuvre du plan d'économie lancé en janvier dernier «One Bull» y participerait pour 30 millions d'euros, et l'intégration des opérations internationales des deux sociétés conjuguées à des réductions sur les achats et l'immobilier pour 50 millions d'euros.
Une opération plus financière qu'industrielle ?, s'interrogent certains. D'ailleurs, le cours d'Atos le jour de l'annonce du rachat a augmenté de 6 %, soit l'équivalent de 350 millions : plus de 50 % des 620 millions qu'Atos va dépenser pour acheter Bull. Atos a déposé début juin une offre publique d'achat en numéraire à 4,90? par action. Les deux actionnaires principaux du groupe Bull, Crescendo Industries et Pothar Investments, se sont déjà engagés à apporter leurs titres à l'offre, soit 24,2 % des actions Bull – sachant qu'Atos vise a minima 50 %, plus 1 action du capital de Bull.
« Ilest important qu'en Europe, il y ait un acteur de taille mondiale qui intègre ces capacités de traitement de données pour nous préparer au monde de demain. »
Le CV d'Atos
Activités : est un acteur international des services informatiques créé en 1962 (Cegos). Il propose des services de conseil et d'intégration de systèmes, d'infogérance et des services transactionnels par l'intermédiaire de Worldline, spécialisé dans les services de paiement. Canopy est sa filiale spécialisée dans le cloud. Atos est présent dans les secteurs suivants : industrie, distribution et transports, secteur public et santé, services financiers, télécoms, médias et services aux collectivités.
CA : 8,6 milliards d'euros en 2013.
Effectifs: 76 300 collaborateurs dans 52 pays.
Dirigeant : Atos est dirigé par Thierry Breton, que le grand public connait pour avoir été ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de 2005 à 2007 sous la présidence de Jacques Chirac. Ce dirigeant d'entreprise a notamment été PDG de Thomson et de France Télécom, mais c'est aussi un ancien de la maison Bull. Il y a plus de 20 ans, il y rentrait comme directeur de la stratégie et du développement
Le CV de Bull
Activités : Bull a une longue histoire. Né en 1930, l'ex-champion informatique français a connu des heures de gloire. Dans les années 60, il est numéro 2 mondial des constructeurs informatiques. La vie du groupe sera plus mouvementé par la suite. Il a appartenu à différentes sociétés (les américains General Electric et Honeywell notamment ont un temps été actionnaires majoritaires), avant d'être nationalisé en 1982 puis reprivatisé. En 2011, le Fond stratégique d'investissement (FSI) entre dans le capital du groupe (5 %). Big Data et sécurité, infogérance, cloud et intégration des systèmes sont ses activités principales aujourd'hui. L'expertise de Bull est avant tout reconnue pour ses supercalculateurs. Il est présent dans le secteur public, mais aussi dans l'industrie et la distribution, la banque et les assurances, ainsi que dans les télécoms et les médias parmi les secteurs les plus représentés dans son chiffre d'affaires. Présent dans la Défense, Bull a passé l'année dernière un contrat de 40 millions d'euros avec la Direction générale de l'armement (DGA).
CA : son chiffre d'affaires s'est élevé à 1,26 milliard d'euros en 2013.
Effectifs : 9 200 collaborateurs dans 50 pays.
Dirigeant : Bull est dirigé par Philippe Vannier depuis mai 2010. Auparavant, Philippe Vannier était PDG de la société de conseil et d'ingénierie Amesys, une filiale de Bull qui propose des solutions pour la guerre électronique (simulation nucléaire, systèmes de chiffrement des communications, etc.).