L’ancien Documentum passe dans le giron d’OpenText. Co-créateur de Documentum, John Newton, actuel CEO d’Alfresco, livre son opinion.
Il y a quelque chose d’émouvant à observer le sort de Documentum, société que Howard Shao et moi-même avons créée il y a plus de vingt-cinq ans. Il y a quelques jours, OpenText a déclaré racheter le service de gestion de contenu d’entreprise (ECD) de Dell EMC, qui comprend l’ancien Documentum. Personne chez Documentum ne souhaitait un tel dénouement quand la société a été acquise par EMC en 2003. Je ne pensais pas qu’un tel rachat se produirait, car la pilule est de taille pour OpenText, qui a été contrainte de lever des fonds considérables. Ce rachat n’est pas surprenant, mais il est déplorable.
J’ai quitté Documentum environ deux ans avant son acquisition par EMC, mais je suis resté très au fait de ce qui se passait dans la société après cela. Je pense qu’à l’époque, l’objectif était le même que celui d’OpenText aujourd’hui avec cette nouvelle acquisition : devenir l’acteur le plus influent dans le secteur de l’ECD, ou secteur de la gestion des informations d’entreprise, comme OpenText a tenté de le renommer. Apparemment, les parts de marché des deux entreprises dépassent celles d’IBM, et OpenText continue sa croissance traditionnelle en vue de devenir le Computer Associates dans le domaine des contenus d’entreprise.
Voilà environ dix ans qu’OpenText n’a pas connu de croissance spontanée : l’entreprise se développe en acquérant de petits fournisseurs d’ECM égarés. La société a recourt à la même stratégie dans le secteur du Business Process Management. On peut citer des entreprises comme OpenDocs / Hummingbird et Autonomy issue de HP en ECM, et des sociétés comme Global360 et Metastorm en BPM. Le modèle est généralement le même : il s’agit d’acquérir des sociétés commercialisant des gammes de produits qui se chevauchent et dont les clients sont capables de rejoindre la technologie OpenText, mais en garantissant à ces derniers que leurs produits feront l’objet d’investissements. Seul hic : ça ne marche pas ainsi. À l’image d’un CA, les gammes de produits s’étiolent.
Au cours de cette même période, Documentum a évolué en suivant un chemin très différent. Sous la direction de Dave DeWalt, qui en a pris la direction en 2001, l’entreprise a acquis des technologies complémentaires en vue d’accroître les ventes auprès de ses clients. Même après son acquisition par EMC, Documentum semblait conserver une certaine autonomie (le jeu de mots est involontaire) au sein d’une société de plus vaste. Tout a basculé quand le volet hardware d’EMC a pris les commandes, puis avec le départ de DeWalt ; depuis, l’entreprise connaît un lent déclin.
Une tentative courageuse de donner un nouvel élan à la marque a été menée par le biais du projet Horizon, aujourd’hui devenu Documentum LEAP. Or ce projet a mis des années à voir la lumière du jour. Malgré tout, il s’agit d’un produit entièrement nouveau, qui a peu de choses en commun avec Documentum, si ce n’est d’être une plateforme de contenu. Lorsque Dell a racheté EMC, aucun projet ne pouvait sauver Documentum, qui s’est effondrée aux enchères. Des mesures trop petites, prises trop tard.
La fin paraît inéluctable. Comme bien d’autres acquisitions réalisées par OpenText, on assistera à des propositions de garanties d’investissement déloyales. Il faut croire que la direction d’OpenText, en particulier Tom Jenkins, pense disposer du meilleur produit entre OpenText et Documentum. Il suffit pourtant de voir lequel a racheté l’autre et lequel dispose de la plus grosse part de marché. Par conséquent, OpenText va essayer d’attirer de force des clients sur la plateforme, ou simplement laisser la clientèle péricliter, en touchant un bénéfice au passage. Pire encore, les consommateurs de Documentum trouveront en OpenText un produit incapable de satisfaire leurs besoins quand ils comprendront son fonctionnement intrinsèque – le modèle est très différent et le moteur d’archivage pas franchement rapide. N’importe quel vendeur ou directeur des ventes de Documentum qui s’y confronte au quotidien le confirmera.
Il se peut même qu’OpenText pense qu’il existe un moyen de faire évoluer les utilisateurs de Documentum vers LEAP. Les efforts d’OpenText pour accéder à un modèle SaaS et à une architecture moderne sont restés invisibles et inefficaces. Le cas échéant, les consommateurs d’OpenText comme ceux de Documentum risquent d’avoir une surprise ; une telle évolution ne fonctionnera pas. Le secteur des services de santé a été mentionné, bien que les clientèles se chevauchent largement, tout comme les équipes commerciales concurrentes. À moins qu’Open Text n’y touche pas. Somme toute, tout cela n’a rien d’encourageant.
Pour ceux d’entre nous qui ont contribué au développement de Documentum il y a fort longtemps, le dénouement est bien triste. Même si j’ai vendu mes actions depuis longtemps déjà, parce que je ne connaissais rien à l’industrie du hardware où évoluait EMC, pour autant ce qui se passe ne me laisse pas indifférent. Presque tous les employés de Documentum que je connaissais ont quitté l’entreprise, et pourtant ce qui se passe ne me laisse pas indifférent. C’était un plaisir d’être en concurrence avec ce qui était autrefois une entreprise compétitive. Aujourd’hui, il est l’heure d’aider à ramasser les pots cassés.