Cette tribune est rédigée par Déborah Attali, avocate associée, et Vincent Roulet, avocat counsel, au sein du cabinet Eversheds Sutherland.
La continuité de l’activité au cours de la période de crise et, dans les semaines qui viennent, le retour au travail de la plupart des salariés, mettent les entreprises en tension. Tenues d’assurer la sécurité des salariés, il leur incombe de mettre en œuvre les fameuses « mesures barrières » de façon à offrir aux collaborateurs et aux tiers une protection effective. À défaut et, outre la suspension de l’activité que pourrait provoquer un juge des référés (ex. affaire Amazon), l’entreprise engage sa responsabilité civile à l’endroit des salariés soit au titre de l’obligation de sécurité, soit au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles (si toutefois le salarié rapporte la preuve que c’est au cours de l’exercice de son activité qu’il a été
contaminé). Davantage, si un tiers (client, fournisseur) est victime d’un manquement de l’entreprise, ce tiers peut se retourner contre cette dernière, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Mais au-delà de la responsabilité de la personne morale employeur, c’est celle des dirigeants, personnes physiques, qui peut être recherchée.
À cet égard, la ministre du Travail est allée un peu vite en déclarant il y a quelques jours que le risque pénal pesant sur les chefs d’entreprise était un « faut débat ». Le débat existe bien et, si les dirigeants ne doivent pas exagérer le risque de leur responsabilité pénale, ils ne doivent surtout pas le négliger.
Une responsabilité à ne pas négliger
En principe, s’ils ne sont pas eux-mêmes juridiquement l’employeur (cas de l’entrepreneur individuel ayant des salariés), les dirigeants ne sont responsables ni civilement, ni pénalement à l’occasion de l’exercice normal de leurs fonctions. Le principe connaît toutefois plusieurs exceptions.
Le dirigeant est responsable lorsque :
– il est directement à l’origine du dommage et qu’il a commis une faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi ou le règlement ;
– il n’est pas directement à l’origine du dommage, mais qu’il a contribué à créé la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, et qu’il a violé une obligation particulière de sécurité ou commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité.
Ces dispositions de l’article 121-3 du Code pénal trouvent un certain nombre d’applications, tout particulièrement au cours de la période actuelle où il est acquis, d’une part, que le dirigeant ne peut prétendre ignorer le risque de contamination auCovid-19 et, d’autre part, que les mesures à prendre pour éviter la réalisation du risque, les fameuses « mesures barrières », sont non seulement connues mais encorerépétées par les pouvoirs publics qui ont fait un effort particulier de prévention (notamment en publiant, à destination des employeurs, une série d’instructions parsecteur d’activité).
En pratique, risquerait donc d’engager sa responsabilité pénale l’employeur qui,
– soit, prend lui-même des décisions violant les « mesures barrières »,
– soit, ne permet pas aux salariés en charge de la sécurité de déployer ces mesures dans l’entreprises, tant à l’égard des salariés que des tiers àl’entreprise (clients, fournisseurs, etc.).
Aussi ne peut-on que recommander aux dirigeants de veiller soigneusement à ne pas violer les interdictions d’ouverture (Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020), à ne pas imposer la présence sur site des salariés lorsque cela n’est pas indispensable à la continuation de l’activité, à assurer la fourniture de gel hydroalcoolique et de masques, à garantir le respect des distances de sécurité dans l’entreprise, à éviter les rassemblements inutiles, à mettre à l’écart (en veillant à éviter toute discrimination) les personnes malades ou celles à risque, etc. A défaut, les infractions susceptibles d’être caractérisées sont nombreuses. En l’absence même de réalisation du risque, c’est-à-dire d’une contamination d’un salarié voire d’un tiers à l’entreprise, on peut penser à la mise en danger de la vie d’autrui prévue à l’article 223-1 du Code pénale (1 an d’emprisonnement, 15 000 euros d’amende). En cas de contamination, c’est sur le fondement des blessures involontaires (C. pén., art. 219 et s.) voire de l’homicide involontaire réprimé de 3 ans à 5 ans d’emprisonnement et de 45.000 à 75.000 euros d’amende (C. pén., art. 221-6). Le tout sans préjudice des multiples infractions spécifiquement visées par le Code du travail.
Une responsabilité à ne pas exagérer
La répression pénale existe, mais elle ne doit pas être perçue comme une entrave à
la reprise d’activité. D’abord, parce que l’employeur diligent – celui qui respect les
consignes élémentaires de sécurité – ne risque rien. Le seul fait qu’un ou plusieurs
salariés (ou toute autre personne liée à l’entreprise) soient atteints ne saurait suffire
à conduire le chef d’entreprise devant le tribunal. C’est la faute qui est réprimée, non le dommage.
Ensuite, si l’employeur peut être responsable pénalement à raison de l’un de ses manquements (par exemple pour mise en danger de la vie d’autrui), il faut encore
que la victime démontre qu’elle a été contaminée à raison de cette faute – c’est-à-
dire contaminée dans l’entreprise – pour que le chef des poursuites soit aggravé
(transformation, par exemple, en blessures involontaires).
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