Christophe Bourbier, Chairman & CEO de Limonetik
Les grands e-marchands sont toujours plus nombreux à adopter un modèle économique inspiré des marketplaces. Pour les fournisseurs de service de paiement, s’adapter à cette nouvelle donne exige de passer d’une approche purement transactionnelle à un service intégré de gestion technique et financière des paiements (full service).
Il y a moins de vingt ans, la vente en ligne reproduisait peu ou prou dans le monde digital les recettes du commerce traditionnel : vendre ses produits à des clients situés dans son propre pays. L’internationalisation, alors, ne signifiait rien d’autre que d’être en capacité de vendre dans les pays voisins. Quant aux boutiques en ligne des grandes marques, elles étaient souvent perçues avec raison comme concurrentes du réseau de boutiques ou de franchises existants, parce qu’elles détournaient des clients existants des canaux de vente classiques plutôt que d’en attirer de nouveaux.
Depuis, deux mouvements de fonds, fortement interconnectés, sont apparus : d’une part, les nouveaux produits ou services sont de plus en plus digitaux, d’autre part, et en conséquence, ils peuvent être produits et consommés partout dans le monde. Quand un distributeur français traditionnel se bornait à vendre ses produits dans les pays voisins, un Amazon ou un Deezer s’offrent le monde entier comme zone de chalandise. Dans le monde digital, « international » veut donc véritablement dire « global ». Et cela répond à l’attente des clients de pouvoir acheter ce qu’ils veulent, à qui ils veulent, via n’importe quel canal de vente. Ces capacités sont emblématiques des marketplaces et font entrer l’ensemble du e-commerce dans un modèle économique « marketplace ».
Les conséquences de cette transformation sur le monde du paiement sont nombreuses. Auparavant, il suffisait aux e-marchands de se connecter aux principaux moyens de paiement tels que Visa, MasterCard, American Express ou Paypal. L’ensemble des paiements étaient ensuite dirigés vers le compte bancaire du marchand. Ce schéma s’est modifié avec la multiplication exponentielle des méthodes de paiement. Chaque nouvelle méthode de paiement exige non seulement de réaliser une nouvelle connexion technique, mais elle requiert également une expertise financière croissante pour gérer les flux de trésorerie au jour le jour, sécuriser les encaissements, ou encore prendre en compte les règles de protection des consommateurs ou les taxes en vigueur dans chaque pays. Plus les e-marchands se développent à l’international, plus cette gestion technico-financière devient complexe. Imaginez-vous en train d’essayer de retracer un incident de paiement pour un client en Chine ou en Russie, en tenant compte de la barrière de la langue et du décalage horaire…
Pour mieux comprendre ce qui se joue, il suffit de ramener cette situation à l’échelle de notre gestion financière individuelle. N’importe quel possesseur d’une carte de débit peut dire presque en temps réel quelle trésorerie disponible il lui reste après chaque dépense. Cette visibilité est déjà un peu moins évidente avec une carte de crédit à débit différé. Quelques calculs seront nécessaires pour déterminer le solde du compte à la fin du mois. Les grands e-marchands et leurs fournisseurs de services de paiement (PSP) rencontrent la même difficulté. Le facteur déterminant ici est le facteur temps. La gestion du flux de trésorerie ne se limite pas à une gestion transactionnelle, et en temps réel, des données et de la connectivité. Il faut pouvoir exécuter des analyses financières supplémentaires et surtout de manière asynchrone pour suivre efficacement chaque paiement, prendre en compte les spécificités de la méthode de paiement utilisée, des éventuelles obligations réglementaires associées, … Les prestataires d’agrégation des paiements commencent à apporter des réponses à ces enjeux, en prenant en compte dans des offres full service à la fois les aspects techniques et financiers de la gestion des paiements. Mais il ne s’agit là que de la partie émergée d’une transformation plus vaste, motivée par l’adoption rapide du modèle économique « marketplace ».
En termes de gestion des paiements, le modèle économique « marketplace » génère une complexité supplémentaire. Le rôle de la marketplace est en effet de vendre et d’acheter partout dans le monde, ce qui implique d’être en capacité de gérer la conversion des monnaies et les frais associés. Avant de restituer au vendeur la part de la vente qui lui revient, la marketplace doit aussi s’assurer qu’elle a bien été réglée et qu’aucune procédure de remboursement n’est en cours. Sans compter qu’il peut être nécessaire de ventiler chaque paiement client sur de multiples comptes de vendeurs, chacun ayant ses spécificités en termes de tarifs de commissionnement, de taxes locales, etc…
Pour se développer et rester attractive pour les vendeurs, la place de marché doit aussi être en mesure de fournir à ses derniers une information détaillée et exhaustive des paiements en cours ou à recevoir, et des commissions facturées. En définitive, la gestion des paiements des places de marché exige non seulement d’intégrer les aspects techniques et financiers mais aussi une expertise et des systèmes d’information très proches de ceux mis en œuvre par les banques. Les architectures techniques transactionnelles existantes doivent pouvoir évoluer pour mettre en œuvre des règles métiers complexes et pour agréger de multiples sources d’information externes (taux de conversions monétaires, règlementations locales).
La combinaison de ces exigences pousse à la mise en œuvre d’une offre de services de paiement non seulement intégrée mais à guichet unique, répondant à tous les enjeux techniques et financiers des e-marchands. Derrière cette évolution, il y a évidemment un changement de posture. Il ne suffit plus d’être un partenaire technique d’agrégation des moyens de paiement, mais bien un partenaire métier, spécialiste de la gestion globale des paiement, ayant développé une expertise financière suffisamment large pour implémenter des règles métiers complexes, prendre en compte les exigences réglementaires et financières, et pour mettre à disposition tout cela dans une plateforme de services « de bout en bout ».
Cet investissement est aujourd’hui nécessaire pour répondre aux enjeux actuels d’internationalisation des PSP et des marketplaces. C’est aussi le seul moyen d’éviter un véritable retour en arrière. Car l’industrie du paiement s’est déjà trouvée dans une situation similaire par le passé. Il y a une vingtaine d’années, alors que se développaient les premières méthodes de paiement alternatives, chaque e-marchand ou PSP n’avait d’autre choix que de se lancer lui-même dans l’intégration, une par une, de ces nouvelles méthodes de paiement. Coûteuse et longue, cette démarche s’est traduite par nombre d’opportunités de vente perdues. C’est ce même risque que court l’industrie aujourd’hui face à l’adoption rapide du modèle économique des marketplaces. Mais nous avons aujourd’hui le moyen de faire un autre choix !