Jean-Marc JAGOU, Président Xplor France, Consultant Fondateur d’EXCEO
La dématérialisation des processus va croissante et entraine une dichotomie relativement récente entre la « donnée » et le « document » alors que ce denier en constituait auparavant le support indissociable. Autrefois, posséder le papier revenait à « posséder » la donnée et donc à y accéder du même coup. Ainsi, la distinction n’étant pas nécessaire, elle n’était tout simplement pas faite.
Aujourd’hui, accéder à la donnée, par exemple sur Internet ou par e-mail, n’implique pas nécessairement l’existence « quelque part » d’un support de référence.
Et on peut rapidement imaginer que la donnée, virtuelle par essence, soit totalement libérée de support papier, affranchie de tout lien matériel. En effet, dès lors qu’une information est trouvée, par exemple sur Wikipédia, la validité de la donnée obtenue n’est pas remise en cause et est prise comme argent comptant.
Attention, il convient de nuancer fortement cette vision un peu trop rapide.
Wikipédia, pour reprendre cet exemple, souligne parfois ses propres lignes d’un alarmant : « Cet article ne cite pas suffisamment ses sources ». Qu’est-ce que cela signifie ? L’estampille « Publié par Wikipédia » ne confère-t-elle pas sa valeur à la donnée fournie ?
L’encyclopédie Wikipédia elle-même ne s’auto-valide donc pas et considère que la valeur de ses propres données repose sur des éléments externes.
On comprend aisément que pour être de valeur, donc « validée », une donnée doit être fiable, vérifiable et authentifiable dans le temps.
Revenons donc sur le concept de la « Source » ; si une source est elle-même une donnée, le système « boucle » car on revient à la case départ : comment valider une donnée par une autre donnée qui doit elle-même être validée ?
La donnée constitue une information dont la valeur repose sur l’existence d’une référence fiable, vérifiable, et authentifiable dans le temps. C’est le concept même de la source.
Cette référence ne peut être matérialisée que par un « document ». En effet, un document constitue, par l’ensemble cohérent des informations qu’il regroupe et organise, un élément vérifiable et authentifiable.
Vérifiable en le consultant, authentifiable par sa signature manuscrite ou électronique, le document assemble des données dans un objectif de communication pour une cible précise.
Certes, ce document doit avoir une réelle existence : il peut être physique, sur papier la plupart du temps, ou sur tout autre support matériel : une stèle funéraire d’un monument aux morts d’une guerre constitue un document de référence…
Mais le document peut aussi exister sous forme électronique : vidéo, enregistrement audio, fichier PDF/A,… etc.
En effet, quel propos rapporté oralement (c’est une donnée !) pourrait être qualifié d’information exploitable qui ne puisse être étayée par un support matériel, vérifiable, fiable et authentifiable ?
Malgré l’explosion de la dématérialisation, la valeur d’une donnée est indissociable de celle du document qui lui est lié.
Prenons un autre exemple : le cours du CAC 40 est une donnée consultable en temps réel sur de nombreux sites web. Cette donnée est par nature évanescente puisque le cours fluctue à chaque instant. Lorsque l’on veut consulter le cours tel qu’il était 3 jours plus tôt à 15h, il s’agit bien de se référer à une source qui donnera à tous les internautes les mêmes informations (fiables et vérifiables) au travers d’un document historique, figé, dont c’est justement l’objectif.
En effet, qui accepterait que ses plus-values (ou moins values !) boursières soient calculées sur la base d’une simple « information », une « donnée », qui ne soit étayée par un document ?
On comprend dès lors bien le lien indissociable qui existe entre la valeur de la donnée et la valeur du document figé auquel elle se rapporte.
L’adage le rappelle depuis des lustres : « Les paroles volent, les écrits restent ». C’est bien de cela dont il s’agit : la donnée extraite de son contexte, sans support fiable, vérifiable, authentifiable et indépendant de son messager, n’a pas de valeur.
Paradoxalement, c’est le document où figure la donnée qui va lui donner sa « valeur », sa crédibilité : le nom d’une personnalité avec son adresse trouvée sur un morceau de papier sont-ils des données exploitables à partir de ce support sans valeur ? Tandis que la même information figurant dans une base de données constamment tenue à jour ou sur une carte de visite donne toute sa valeur à ladite adresse.
Nous aborderons à nouveau cette discussion lors des conférences Xplor du salon Documation des 29 et 30 Mars… D’ailleurs, une question pourquoi Documation et pas Datamation comme certains auraient pu le prétendre ?
Sans référence documentaire associée, une donnée est sans valeur.
Les systèmes d’agrégation automatiques de textes l’ont bien compris : lorsque des contrats personnalisés sont élaborés par des automates logiciels, prenant en compte les paramètres individuels du demandeur combinés avec les clauses standard requises, la version finale est bien sûr remise, et le plus souvent archivée, au format PDF réputé fiable.
Les Notaires, qui ont intégré avec brio et efficacité l’outil « signature électronique », continuent de s’appuyer sur des « écrits qui restent » tout en apportant leur sceau (électronique) authentificateur de documents ainsi conservés de manière fiable et vérifiable. Ce dispositif confirme la donnée de propriété.
Pour compléter l’exemple, il suffit de s’intéresser à l’absence de cadastre et de titre de propriété en Grèce ; tout propriétaire d’un bien terrien peut dire, fournir la donnée, qu’il est propriétaire dudit bien. Mais comme aucun document n’apporte de preuve fiable, vérifiable et authentique, cette « déclaration de propriété » reste sans valeur et le bien demeure incessible et invendable.
Sans référence documentaire associée, une donnée est sans valeur… Mais un document n’est pas sans valeur si une donnée est sans référence documentaire. Laissons cette dernière affirmation à votre réflexion.
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