Quel que soit le secteur d’activité, que ce soit en BtoB ou en BtoC, les startups qui disruptent les marchés y arrivent non pas en « volant » leurs clients aux entreprises existantes mais en répondant à certaines attentes de ces clients mécontents et en accaparant ainsi une partie de leur chaîne de valeur. Une tribune de Jean-Paul Crenn.
Pour les dirigeants d’entreprise, quel que soit leur secteur d’activité, que ce soit en BtoB ou BtoC, si les clients s’en vont, la faute en revient souvent à une technologie et/ou aux startups. Or les faits révèlent, de façon obstinée, que ce n’est pas le cas : c’est parce qu’ils frustrent leurs clients que ceux-ci prennent la décision de les disrupter.
Aveuglées par une analyse simpliste, les entreprises pensent trouver une réponse à la disruption en achetant la technologie incriminée ou la startup désignée. Mais cela ne fonctionne pratiquement jamais.
Voyez les tentatives désespérées de l’ex-CEO de Yahoo, Marissa Meyer, pour redresser son moteur de recherche déclinant au travers d’acquisitions tous azimuts, tant de startups que de technologies. En 2016 elle acquiert 53 Startups (2,8 Mds $) pour n’en intégrer que 2. Cela ne sauvera pas Yahoo qui sera racheté par Verizon en 2017 pour 4,8 Mds $, bien loin de son pic de valorisation à 100 Mds $.
Plus proche de chez nous et plus récemment, voyez l’acquisition d’une pépite du e-commerce Français, Pecheur.com, par Decathlon en 2011 pour 10 M€, qui s’est soldée 6 ans après par une revente à un groupe de presse auvergnat pour un montant « non communiqué » – ce qui dans le jargon des M&A signifie « bien plus faible ».
La liste des acquisitions ayant fait « pschitt » pourrait remplir un annuaire et, pourtant, le phénomène continue. Ces entreprises ne voient pas que la disruption est conduite par leurs clients, ceux qu’elles croient connaître. Car ce sont leurs clients qui décident d’adopter ou non de nouvelles technologies ou de nouveaux produits.
Quel que soit le secteur d’activité, que ce soit en BtoB ou en BtoC, les startups qui disruptent les marchés y arrivent non pas en « volant » leurs clients aux entreprises existantes mais en répondant à certaines attentes de ces clients mécontents et en accaparant ainsi une partie de leur chaîne de valeur.
Booking n’a jamais cherché à remplacer les hôtels mais en a simplifié la sélection et la réservation, pour leurs clients existants. Airbnb n’a pas plus cherché à remplacer les hôtels existants mais a répondu à un besoin insatisfait d’une frange de leur clientèle, pourtant identifiée de longue date par les hôteliers.
La disruption a lieu parce que de nouveaux acteurs du digital ont répondu aux besoins de clients mécontents auxquels, dans tous les cas, les acteurs historiques n’ont pas voulu répondre. Afin de préserver leurs actifs existants, d’éviter de questionner leur chaîne de valeur, ils ont pris le risque de se faire spolier d’une partie de leur fonds de commerce.
Amazon s’est accaparé la partie transactionnelle de la distribution, laissant le showrooming, l’étape amont du processus de prise de décision du consommateur, à la charge de la distribution physique. Là encore Jeff Bezos n’a pas cherché à accaparer l’ensemble du processus d’achat des clients. Il a préempté la partie pour laquelle la distribution ne s’est pas remise en question depuis l’invention du « commerce moderne » dans les années 40.
Plutôt que de chercher à se rapprocher de Startups ou d’acquérir de nouvelles technologies, les grandes entreprises devraient plutôt se focaliser sur les activités de leurs clients existants. Mais c’est certainement moins glamour que de procéder à des acquisitions tout aussi tonitruantes qu’inutiles.
Comprendre en quoi elles frustrent leurs clients, là où elles ne leur apportent qu’une valeur insuffisante au regard de leur investissement qu’il soit en argent, en temps ou en effort. Puis raisonner par proximité, en amont et en aval des activités auxquelles elles répondent déjà pour leur créer de nouvelles valeurs – ou s’accaparer celle d’autres acteurs : c’est là que réside leur capacité de disruption.
L’innovation provient de la chaîne de valeur client, pas du digital ou de la technologie. Ces derniers ne sont que des outils tactiques.
C’est ce que réalise parfaitement Airbnb. Ayant débuté dans l’hébergement touristique avec des logements chez l’habitant, la plateforme se met à proposer des activités « amont » à ses clients, un lieu de partage d’informations, un outil de planification pour préparer leurs voyages. Plus en aval Airbnb propose des offres complémentaires à son hébergement par exemple ses activités durant le séjour. Brian Chesky, l’un des fondateurs de l’entreprise ne s‘en cache pas : son objectif est de répondre, graduellement, à toutes les étapes de la chaîne de valeur de ses clients. Il sait que c’est ainsi qu’il continuera à disrupter son marché.