Qu’est-ce que le DMA, quelle est son ambition et quand sera-t-il adopté ? Trois avocats de Taylor Wessing apportent les réponses aux lecteurs de Solutions Numériques. Par Marc Schuler, Avocat Associé, Benjamin Znaty, Avocat Counsel et Manon Chastel, Avocat.
Suite à l’adoption par le Parlement européen du « Digital Markets Act » (DMA) le 15 décembre 2021, les négociations en vue de l’adoption définitive du texte peuvent désormais commencer avec les Etats membres du Conseil de l’Union Européenne, actuellement sous présidence française.
Le DMA est un projet de règlement européen ayant pour ambition de réguler les grands acteurs bénéficiant d’un rôle structurant sur le marché du numérique afin de restaurer une concurrence saine au sein du marché intérieur.
Le DMA : de quoi parle-t-on et qui est concerné ?
Le 15 décembre 2020, la Commission Européenne présentait sa proposition de règlement dit Digital Markets Act (« DMA »). Seulement un an plus tard, le 15 décembre 2021, le Parlement Européen vote en faveur du DMA. A l’instar du RGPD, le DMA est un Règlement et non une Directive. Ainsi, une fois adopté, il sera d’application directe dans l’ensemble des Etats membres de l’Union Européenne.
L’ambition du DMA est d’imposer un cadre légal uniforme aux grandes plateformes ayant un rôle structurant sur le marché du numérique au sein de l’Union Européenne, désignées par le texte comme des « gatekeepers » (« contrôleurs d’accès »).
L’objet du texte est avant tout concurrentiel. Il cherche à rétablir un équilibre dans les relations entre ces plateformes et les autres acteurs du marché du numérique, notamment les entreprises les utilisant dans le cadre de leurs activités commerciales. Cette réglementation s’appliquera aux grandes plateformes proposant leurs services aux entreprises utilisatrices établies dans l’Union Européenne et aux utilisateurs finaux établis ou situés dans l’Union Européenne, quel que soit le lieu d’établissement de la plateforme.
Le périmètre des services participant à la définition du gatekeeper est large et comprend notamment les services d’intermédiation et de publicité en ligne, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les plateformes de contenus et même les services d’informatique en nuage. L’ensemble des services proposés par les GAFAM sont donc visés et non simplement les services d’intermédiation.
Toutefois, pour être qualifié de gatekeeper, les acteurs concernés devront :
- avoir un poids important sur le marché intérieur, notamment au regard de seuils de chiffre d’affaires prévus par le DMA ;
- assurer un service de plateforme dit « essentiel » constituant un point d’accès majeur permettant aux entreprises utilisatrices d’atteindre leurs utilisateurs finaux, notamment au regard de seuils de nombre d’utilisateurs actifs par mois prévus par le DMA ;
- jouir d’une position solide et durable dans de telles activités.
Notons que lorsqu’une plateforme atteint les seuils ainsi fixés, elle devra obligatoirement se déclarer auprès de la Commission Européenne. Un défaut de déclaration n’empêche toutefois pas la Commission Européenne de désigner à tout moment un gatekeeper de sa propre initiative.
Ce mode de régulation « ex ante » organisant un encadrement règlementaire avant toute d’infraction, relève d’une approche de rupture. Certains considèrent que l’approche « ex post » retenue notamment en matière d’abus de position dominante, a montré ses limites, en ne permettant pas de réguler efficacement et de manière assez rapide les géants du numérique.
Quelles sont les principales réponses apportées par le DMA ?
Au travers des obligations et interdictions à la charge des gatekeepers, se dessine la mise en application des décisions de la Cour de la Justice Européenne et de la Commission Européenne prononcées par le passé à l’encontre des géants du numérique.
En ce sens, le DMA vise à rééquilibrer le rapport de force entre les grandes plateformes et leurs entreprises utilisatrices en permettant à ces dernières de proposer leurs produits ou services sur des plateformes tierces, y compris à des conditions différentes, d’accéder aux données générées par leurs activités sur la plateforme concernée, ou encore de promouvoir librement leurs services et produits auprès des utilisateurs acquis par le biais du service d’intermédiation concerné.
L’objectif est aussi de mettre fin à certaines pratiques jugées contraires au droit européen en interdisant aux gatekeepers notamment de combiner les données récoltées entre les services qu’ils fournissent et les données des services tiers (sauf consentement de l’utilisateur), d’empêcher les utilisateurs d’accéder à des services en dehors de leurs plateformes, ou encore de restreindre la faculté de désinstallation de logiciels ou application préinstallés.
D’autres pratiques jugées comme anticoncurrentielles par le passé sont également interdites ou encadrées par le DMA. C’est notamment le cas de la pratique de certaines plateformes consistant à appliquer un traitement plus favorable en termes de classement à leurs propres produits ou services par rapport à des équivalents proposés par des tiers sur la plateforme.
Le respect du DMA est assorti de lourdes sanctions dont notamment des amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffres d’affaires annuel mondial de l’entreprise concernée et des astreintes jusqu’à 5% du chiffre d’affaires journalier moyen. La Commission Européenne se voit également dotée de pouvoirs d’enquête et de contrôle.
Le DMA, c’est pour quand ?
En ce début d’année 2022, les Etats membres vont entamer leurs échanges en vue de l’adoption définitive du texte au Conseil de l’Union Européenne, actuellement sous présidence française. La Commission Européenne avait initialement fixé comme objectif une adoption du texte courant printemps 2022.
On peut néanmoins anticiper de nombreux amendements à la version actuelle du texte et d’âpres négociations à venir.
La présidence de la France au Conseil de l’Union Européenne pourrait toutefois permettre une accélération de la procédure. Le gouvernement français a affirmé, en ce sens, faire de l’adoption du DMA une priorité de son mandat européen. De même, le législateur français s’est montré enclin à réguler les plateformes et la France a d’ores et déjà intégré dans son droit des dispositions anticipant certaines obligations prévues par le DMA, notamment en matière de transparence.