Quel management en 2021 après le télétravail généralisé ? Marie-Claude Chazot, DRH de Sage Europe du Sud livre son point de vue.
2020 a beaucoup transformé le monde du travail, et rapidement. Des changements que beaucoup imaginaient éphémères. Or, ils s’inscrivent désormais dans la durée, alors que de nombreuses incertitudes se profilent pour l’année à venir. Difficile de penser qu’une entreprise pourrait aujourd’hui avancer avec certitude une date de retour définitive dans ses locaux, ou de garantir la sécurité sanitaire desdits locaux. Similairement, personne ne sait jusqu’à quand le masque restera une obligation du quotidien. Dans ce contexte, il est nécessaire de réinventer les interactions entre collaborateurs pour réduire la « distance » entre eux, parfois si petite mais si grande en même temps. Il devient même légitime de se demander si l’expression de « travail de bureau » gardera du sens dans ce futur modèle hybride, entre présentiel et distanciel.
Pour appréhender ces incertitudes au mieux, il est nécessaire de tirer autant d’enseignements que possible de ces 9 derniers mois – et la période de fin d’année offre souvent l’opportunité de produire ce genre de bilan. Celui-ci part d’un simple constat : il faut réviser en profondeur certains postulats RH et passer d’un mode passif de gestion de crise à une démarche active de changement. Là se trouve la clé pour mieux engager ses collaborateurs et créer des organisations plus souveraines et tolérantes. Autrement dit, il s’agit d’accepter un changement de paradigme aussi bien dans la maîtrise des outils de management digitaux que dans le développement d’une gestion plus inclusive et plus modulaire. Cette montée en compétences nécessaire se place d’ailleurs en première position d’un classement Gartner sur les priorités des Ressources Humaines en 2021 pour deux tiers des DRH interrogés.
Mieux appréhender la diversité des situations individuelles
Si l’on commence par les constats, des analyses existent déjà à propos de l’impact du télétravail sur l’organisation collective, qui insistent notamment sur la nécessité de bienveillance managériale et l’importance de créer de nouveaux liens autant que possible.
Le travail à distance soulève de nouveaux enjeux individuels et de nouveaux défis en matière de diversité et d’inégalités dans le monde du travail. Le numérique, en premier lieu, génère des inégalités, dues à un accès au réseau parfois difficile pour les uns ou de l’illectronisme pour d’autres. De même, la prise en main difficile d’un outil se révèle parfois un véritable calvaire à distance ; et les managers ne peuvent accepter une forme de « placardisation numérique » de ceux d’entre nous qui seraient les moins capables d’utiliser ces outils informatiques devenus cruciaux.
La situation personnelle ou familiale représente un autre facteur de diversité. Cela se matérialise par exemple par la possibilité ou non d’aménager un réel espace de travail à domicile. Il paraît impossible d’accepter qu’un collaborateur soit obligé de s’enfermer dans sa voiture pour travailler. De la même manière, il faut tenir compte de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Pour ne citer qu’un exemple, la gestion des enfants dépend de chaque foyer. Enfin, pour bien appréhender la diversité des situations personnelles dans le travail à distance, l’âge, le genre et le handicap doivent être pris en compte. Le sentiment d’isolement, la perte d’habitudes et de repères ou encore la fatigue professionnelle résultant des longues sessions sur les moyens de communication virtuels se gère très différemment à 25 ans ou à 50 ans. Elle est d’autant moins aisée si la situation personnelle d’une personne requiert des séances de pause ou de lire sur les lèvres par exemple.
Formaliser l’informel, pour mieux personnaliser le management
Ces problématiques, devenues centrales aujourd’hui, obligent à personnaliser toujours plus l’approche managériale. Plus généralement, le contexte induit un bouleversement des habitudes et une formalisation de tout l’informel lié à l’environnement physique d’un bureau. C’est toute la mécanique discrète des interactions humaines, parfois invisible, de la machine à café aux croisements dans un couloir, qui prennent la voie de l’institutionnalisation.
Les managers doivent désormais combler la perte de la remontée des signaux faibles donnés par les collaborateurs (humeur, langage non verbal, …) qui faisaient leur quotidien. Il faut donc poser les bonnes questions, oser sortir du cadre du travail lors de réunions distancielles, oser la même légèreté, pour prévenir fatigue professionnelle et burnout. Les pratiques managériales « d’avant » ne sont plus pertinentes aujourd’hui.
Réinventer un leadership de la confiance
En cette fin d’année si particulière, une figure symbolise la réinvention du concept de leadership : Jacinda Ardern. Inconnue il y a quelques mois, la Premier Ministre néo-zélandaise a été l’une des révélations politiques de l’année, réussissant à contenir avec talent la crise du Covid-19 dans son pays. Son approche du leadership est fondée sur l’honnêteté, sur une position à hauteur d’homme et de femme, et sur le pragmatisme calme et sur des attentions personnalisées pour ses concitoyens les plus touchés : elle a ainsi établi une relation de confiance qui rend bien plus facile la gestion de l’incertitude et permet de construire sur l’avenir. À travers la voie qu’elle a empruntée, elle a montré l’exemple.
Redonner du sens pour mieux engager les collaborateurs
Au sortir d’une période que certains ont vécu comme traumatisante, il faudra être particulièrement vigilant sur l’engagement des collaborateurs – et ne pas se contenter d’une approche défensive stérile en agitant la peur d’un marché du travail saturé par la crise. Les neuf derniers mois ont donné l’opportunité aux collaborateurs de réfléchir à leurs valeurs et à leurs besoins. Ils ont pu réévaluer ce qui faisait, pour eux, l’attrait de leur vie professionnelle. Pour maintenir leur engagement, une organisation aura pour enjeu non seulement d’être créative sur les thèmes de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, mais également de proposer des projets qui donnent du sens au quotidien. Cela peut se traduire dans l’entreprise par des possibilités accrues de bénévolat ou d’accompagnement des autres.
Matérialiser la bienveillance dans les organisations
Une fois encore, il est nécessaire pour les managers de rester à l’écoute et de faire preuve d’empathie. Cette nécessaire bienveillance doit également trouver un écho encore plus large dans les organisations, pour dépasser les tentations individualistes, faire diminuer le stress de chacun et assurer le bien-être de tous