L’Entry/Exit System (EES), attendu initialement pour 2022, devait être lancé le mois dernier… avant d’être à nouveau repoussé en 2025. Selon des documents d’EU-Lisa, le consortium mené par Atos est largement responsable des retard et des surcoûts.
C’est la quatrième fois que le lancement d’EES est reporté. EES, ou Entry/Exit System, est un projet informatique visant à moderniser le contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne, par le biais de la biométrie notamment. Les travaux législatifs ont démarré en 2014 et le programme devait faire ses débuts en 2022, mais a été plusieurs fois repoussé.
Ce mois de novembre 2024 devait être la bonne ! Dans un discours devant l’EU-Lisa (Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice) en août, la Suédoise Ylva Johansson, commissaire aux Affaires intérieures, ne cachait pas son enthousiasme.
« 700 millions de personnes seront concernées par votre travail. L’année dernière, plus de 700 millions de touristes ont voyagé en Europe. Chaque année. Et 450 millions d’Européens dormiront plus en sécurité grâce à votre travail. Avec l’Entry/Exit System, nous saurons exactement qui entre dans l’espace Schengen avec un passeport étranger. Nous saurons si les gens restent trop longtemps. Nous lutterons contre l’immigration irrégulière. Et l’ESS rendra plus difficile pour les criminels, les terroristes ou les espions russes d’utiliser de faux passeports »
Ylva Johansson
Las… en octobre, ESS a de nouveau été reporté : il est désormais question d’un lancement progressif en 2025. Sauf nouveau retard. Avec un surcoût d’environ 20 millions d’euros. Officiellement, les institutions européennes attribuent ces retards à des problèmes techniques du côté de ses sous-traitants.
Successions de ratés
En 2019, le contrat de 142 millions d’euros pour la mise en place de l’ESS était emporté par un consortium de trois entreprises. IBM, Leonardo et Atos. Or, à en croire Bloomberg, qui a pu consulter des documents internes de l’EU-Lisa, « problèmes techniques » est un doux euphémisme. On apprend ainsi que si Big Blue développe une partie de l’architecture globale du système et Leonardo opère la partie sécurité, c’est bien notre ESN hexagonale qui est responsable de la majeure partie du projet, « environ les deux tiers du travail » selon un ancien cadre d’Atos cité par Bloomberg.
Dès 2020, le commanditaire européen a pu constater l’incapacité du consortium à respecter les délais : les datacenters destinés au projet, attendu en juillet 2020, ont été livré avec huit mois de retard. Et à partir de là, le trio a « raté toutes les étapes », écrit le directeur exécutif d’EU-Lisa, Krum Garkov, dans une lettre en date de 2022.
Pire encore, l’institution a dû début 2022 mettre en place des réunions quotidiennes en mode « war room ». Réunions au cours desquelles les trois prestataires s’écharpaient devant leur client européen, qui a fini par jouer le rôle d’arbitre entre les entreprises. La situation était grave au point que le consortium avait alors proposé de faire l’impasse sur les tests de certaines parties du système afin de respecter la date de lancement de 2023.
Atos pointé du doigt
Les bisbilles entre prestataires n’est pas le seul reproche qu’adresse l’EU-Lisa au trio. L’agence dénonce notamment le recours régulier à « des équipes jeunes sans expérience pour effectuer des tâches complexes » et l’incapacité des trois entreprises à « mobiliser les ressources nécessaires pour fournir des correctifs dans les délais convenus ». On apprend ainsi que le consortium a parfois effectué des « installations partielles » ou encore a « mélangé les sites de livraison ».« Câbles manquants, appareils mal configurés, transport renvoyé de la frontière pour documentation de livraison manquante » cite encore l’EU-Lisa.
Selon l’ancien responsable chez Atos, l’ESN a mal géré le projet, un point porté à l’attention de la direction générale de la société en 2022. Sans grand effet. Une responsabilité également pointée par des responsables de l’EU-Lisa à Bloomberg.
Les conséquences de ce retard ne sont pas uniquement financières et politiques : elles sont aussi opérationnelles. Ainsi, Frontex a dû réaffecter les 130 salariés planchant sur le système européen d’exemption de visa, un projet à 200 millions d’euros, puisqu’il est sous-jacent à l’ESS.