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Les chercheurs du projet SimbiotX à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) développent un modèle de foie virtuel personnalisé par patient.
Une équipe de chercheurs de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) modélise le jumeau virtuel du foie pour mieux en comprendre le fonctionnement. L’un de ses objectifs est d’aider le travail des chirurgiens.
Le jumeau numérique est un modèle mathématique qui simule sur ordinateur les processus se déroulant dans un organisme vivant ou une partie de celui-ci. Il est appelé “jumeau” car il est calibré à partir de données spécifiques à un individu. Il se fonde soit sur des mécanismes mis en équation, soit sur des approches de machine learning.
Faire avancer la chirurgie personnalisée et la santé numérique
Irène Vignon-Clementel et Dirk Drasdo, directeurs de recherche au centre Inria de Saclay, coordonnent l’équipe d’une quinzaine de personnes du projet SimbiotX (SImulations in Medicine, BIOtechnology and ToXicology of multicellular systems). Celle-ci a pour but de construire des jumeaux in silico (recherche effectuée au moyen de modèles informatiques) des organes humains, et de la circulation qui les relie, pour mieux comprendre le développement des maladies, faire avancer la chirurgie personnalisée et participer à l’avènement de la santé numérique. Les deux experts ont démarré leurs travaux sur le foie il y a une dizaine d’années. Irène Vignon-Clementel est spécialisée dans les modèles d’écoulement de fluides, comme l’écoulement du sang dans les vaisseaux (hémodynamique : débit, pression, vitesse), au niveau macro.
Dirk Drasdo est expert en simulations au sein du réseau de recherche sur la médecine des systèmes hépatiques LiSyM, et spécialiste de la modélisation de tissus multicellulaires, au niveau micro. Grâce au développement de modèles informatiques prédictifs, ils souhaitent comprendre les mécanismes d’interactions micro/macro entre les cellules du foie et l’écoulement sanguin. Ils souhaitent notamment comprendre les réactions en termes d’hémodynamique et de régénération quand une partie du foie est détruite par toxicité de médicament ou enlevée pour traiter un cancer (hépatectomie).
Foie virtuel personnalisé
L’équipe a développé son propre code informatique pour créer le jumeau numérique multifidélité, du 0D au 4D (3D+temps). « Nous voulons créer progressivement un foie virtuel personnalisable autant que possible, explique Dirk Drasdo. Le codage est particulièrement complexe, surtout au niveau micro. La 3e génération de code sur le projet a généré 300 000 lignes de code. Nous travaillons à la 4e génération. »
Des jumeaux numériques pour 50 patients
Après des essais sur l’animal à partir de 2012, la recherche sur les patients a démarré en 2018. Les chercheurs de l’Inria ont travaillé de concert avec l’équipe de chirurgiens sous l’impulsion d’Eric Vibert au centre hépatobiliaire de l’hôpital AP-HP Paul-Brousse, à Villejuif. Une étude a été menée sur une série d’une cinquantaine de patients atteints de cancer du foie. Chaque patient a une qualité de foie sous-jacente différente. Les données personnalisées issues des mesures sur chaque patient sont traduites en jumeaux numériques, simulations de la circulation dans le foie et dans le reste du corps des patients. Pour l’heure, ils sont utilisés en chirurgie virtuelle, a posteriori des hépatectomies, pour comprendre les changements dans les flux sanguins provoqués par l’opération et les comparer avec les mesures effectives du patient après l’opération. Les résultats ont été publiés dans la meilleure revue médicale sur le foie.
Pour mener à bien leurs travaux, les chercheurs de SimbiotX travaillent avec plusieurs centres cliniques experts à travers le monde. Ils travaillent aussi avec l’entreprise californienne Heartflow, spécialiste de l’intelligence artificielle appliquée à l’analyse des maladies cardiaques (sa technologie a été utilisée par des cliniciens pour plus de 135 000 patients afin d’aider au diagnostic des maladies cardiaques) et le groupe français Guerbet, spécialisé dans l’imagerie diagnostique et interventionnelle.
Former les médecins à une meilleure compréhension des mécanismes du foie
Si l’essai clinique reste à venir, Irène Vignon-Clementel espère que « d’ici 10 ans, les modèles soient suffisamment prédictifs et validés pour être utilisés par des cliniciens experts pour planifier leurs opérations. Aujourd’hui, des chirurgiens viennent au sein de notre équipe de recherche. Nous les formons pour qu’ils comprennent mieux ce qu’il se passe au niveau du foie. Il est possible de changer tel ou tel paramètre dans le modèle et d’en étudier les conséquences. Il permet ainsi de tester des hypothèses, comme une perte de sang lors de l’intervention chirurgicale ou l’impact d’une hypertension artérielle. A terme, le jumeau numérique permettra de dégager du temps médical aux chirurgiens. Il y en aura 2 types : certains pourront être utilisés directement par des cliniciens, d’autres nécessiteront que des ingénieurs en santé les utilisent et donnent le résultat aux cliniciens. »
Le professeur de chirurgie Eric Vibert précise : « En utilisant la puissance des mathématiques pour analyser le réel sans le simplifier, cette collaboration a permis d’améliorer notre compréhension de l’hémodynamique. Au bloc opératoire, cela se traduit par une meilleure anticipation des conséquences de nos actes chirurgicaux, et une meilleure sélection des malades opérables. »
Ainsi, le jumeau numérique permet d’améliorer la compréhension des mécanismes du foie et des impacts des interventions chirurgicales sur ceux-ci. A terme, il permettra de fournir des informations personnalisées sur l’état du patient, les options thérapeutiques et le pronostic, sans que des biopsies ou une chirurgie invasive ne soient nécessaires. « Il représente un outil d’appréhension des risques pour mieux orienter les malades vers les centres médicaux qui disposent de l’expertise adaptée en fonction de leur niveau de risque, souligne Mme Vignon-Clementel. L’objectif ultime est d’améliorer le taux de survie des patients atteints de cancer du foie, l’un des cancers les plus létaux. »
L’utilisation de jumeaux numériques en médecine doit également permettre de remplacer en partie l’expérimentation sur les animaux de laboratoire comme les souris, donc leur exploitation dans le domaine médical.
Le jumeau numérique, pour une prédiction à long terme
L’Inria dispose actuellement de 40 équipes de recherche, soit 1/5e du total, qui travaillent en santé numérique, dont plus de la moitié sur la simulation et les jumeaux numériques. Les modèles et algorithmes de 40 autres équipes sont aussi susceptibles d’être appliqués à une problématique de biologie ou de santé. Les recherches les plus avancées sont en hépatologie, cardiologie et en neurologie.
Hugues Berry, adjoint au directeur scientifique d’Inria en charge de la santé numérique, explique : « Jusqu’il y a 5 ans, les modèles utilisaient des données moyennes. Aujourd’hui, les modèles sont de plus en plus personnalisés par patient. Le modèle d’apprentissage apprend généralement d’abord grâce aux données moyennes, puis est affiné grâce à des données personnalisées. Les solutions de jumeaux numériques doivent encore gagner en simplicité d’utilisation pour être à l’avenir utilisées en pratique clinique. En outre, la réglementation sur les dispositifs médicaux numériques – une grande partie des jumeaux numériques étant considérés ainsi – est de plus en plus stricte. Viennent s’y ajouter les contraintes de la réglementation concernant l’accès aux données personnelles de santé. Les technologies doivent encore être améliorées pour arriver aux objectifs des jumeaux numériques, à savoir une prédiction à long terme, sur 10 ou 20 ans. »
Les partenaires principaux de l’Inria sur le jumeau numérique sont l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et les grands CHU, comme l’AP-HP.