On a peu parlé d’une réforme, pourtant en profondeur : celle du droit des contrats français. Une disposition nouvelle et révolutionnaire pourrait constituer un véritable tsunami pour les contrats de services informatiques, en particulier le Cloud computing et le Cloud public. Maître Olivier Iteanu, Cabinet Iteanu Avocats, vous guide.
« La réforme est importante car elle a modifié de fond en comble le vieux Code civil qui était resté inchangé sur ces questions depuis 1804 et Napoléon. »
L’année 2016 aura été une année forte en changements législatifs. Chacun a à l’esprit le Règlement européen en matière de données personnelles, le RGDP, publié en mai 2016 et applicable en mai 2018. On se souvient aussi de la Loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 portée par Axelle Lemaire, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, chargée du Numérique et de l’Innovation. On a moins vu et entendu une réforme en profondeur et moins spectaculaire. Celle du droit des contrats français qui a également pris place par une Ordonnance du pouvoir exécutif en 2016. Ainsi, depuis le 1er octobre 2016, tout nouveau contrat conclu doit se conformer aux nouvelles règles posées. La réforme est importante car elle a modifié de fond en comble le vieux Code civil qui était resté inchangé sur ces questions depuis 1804 et Napoléon. Beaucoup des dispositions nouvelles ne sont que la codification des décisions prises depuis de nombreuses années par les tribunaux, la jurisprudence. Mais un certain nombre d’autres dispositions sont tout simplement nouvelles et révolutionnaires. Parmi celles-ci, nous en avons retenu une, qui pourrait constituer un véritable tsunami pour les contrats de services informatiques, en particulier le Cloud computing et le Cloud public.
La disposition en question se trouve à l’article 1171 nouveau du Code civil. L’article dispose que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. » Le contrat d’adhésion est défini, dans un autre article du Code civil, comme des conditions générales soustraites à toute négociation et écrites à l’avance par une des parties. On reconnaît ici les Conditions générales de services ou de vente, qu’un Amazon avec Amazon Web Services ou un Microsoft avec Azure propose au click du client. Si le client clique, adhère, il fait un geste qui a des conséquences juridiques fortes, puisque un contrat vient de se nouer entre lui et son offreur. Or ce contrat est bien un contrat d’adhésion.
L’article 1171 du Code civil pose alors comme règles impératives que même s’il a cliqué, et donc signé ce contrat d’adhésion, un juge peut dire demain qu’une clause de ce contrat ne s’applique pas parce qu’elle « crée un déséquilibre significatif » entre lui et ces grandes sociétés. On dit alors de la clause mise hors du jeu, qu’elle est « réputée non écrite », manière de dire qu’elle est sortie du contrat. La règle est déjà connue dans la relation entre un professionnel et un consommateur, ce dernier étant obligatoirement une personne physique. Les consommateurs sont protégés depuis 37 ans par le régime dit des clauses abusives connues aussi sous le nom de clauses léonines.
« Un juge pourra, même dans un contrat conclu entre deux sociétés, mettre son nez dans les accords conclus. »
Là aussi, le Code de la consommation prévoit que si une clause crée un déséquilibre significatif, le juge l’écarte. On est d’ailleurs frappé par la similarité des termes employés par les deux Codes civil et de la consommation qui tous deux parlent de clause créant un déséquilibre significatif. Mais avec la réforme du Code civil, la règle va désormais s’appliquer même dans les contrats entre professionnels. Autrement dit, un juge pourra, même dans un contrat conclu entre deux sociétés, mettre son nez dans les accords conclus et décider telle ou telle clause du contrat et ce, même si les deux parties ont bien consenti à la clause au moment de signer le contrat. Evidemment, on pense immédiatement aux clauses limitatives ou exclusives de responsabilité figurant dans certains contrats de professionnels du Cloud computing.
Dans ces contrats, les professionnels ne se reconnaissent que très peu ou pas de responsabilité. En revanche, le client, lui, n’a droit à aucun écart, sous peine de perdre l’accès au service. Les juges écartent ces clauses pour les consommateurs depuis 37 ans, il se pourrait qu’ils s’inspirent désormais de la nouvelle règle pour les écarter également entre professionnels.
« Les adversaires de cette réforme font valoir que le nouvel article 1171 du Code civil ne va pas aider à la sécurité juridique. Des entreprises signeront des contrats, puis demain les contesteront devant un Tribunal ? »
Evidemment, les adversaires de cette réforme font valoir que le nouvel article 1171 du Code civil ne va pas aider à la sécurité juridique. Des entreprises signeront des contrats puis demain les contesteront devant un Tribunal ? Cela peut aussi paraître choquant d’un point de vue éthique. Après tout, diront ces critiques, si on n’était pas d’accord avec une clause du contrat, il fallait ne pas le signer. La critique a du sens, mais il faut aussi attendre de voir comment les juges appliqueront la règle. Vont-ils simplement transposer le régime des clauses abusives applicables aux consommateurs pour les contrats entre professionnels ? Dans ce cas, beaucoup de clauses pourraient tomber. Ou vont-ils faire une autre application du texte entre professionnels ?
A l’inverse, on ne peut manquer de constater que certains professionnels peu scrupuleux ont eu tendance ces dernières années à allonger démesurément les Conditions générales de services, à les rendre illisibles, et la conséquence a été que les clients acceptent ces conditions sans les lire. Or l’article 1171 nouveau du Code civil va contraindre les rédacteurs de ces contrats à penser pour deux, pour leur entreprise ou leur client mais également pour celui d’en face, de façon à pouvoir justifier d’un équilibre sur une clause, entre les parties. Finalement, la Loi a joué ici son rôle. Rétablir par le droit des équilibres, que le marché, la technique ne peuvent pas seuls assurer. Les mois à venir s’annoncent des plus intéressants.
« L’article 1171 nouveau du Code civil va contraindre les rédacteurs de ces contrats à penser pour deux, pour leur entreprise ou leur client mais également pour celui d’en face, de façon à pouvoir justifier d’un équilibre sur une clause, entre les parties. »
Maître Olivier Iteanu, Avocat au Barreau de Paris, chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Sorbonne, auteur de “Quand le digital défie l’Etat de droit”
(Ed. Eyrolles), prix spécial du jury du FIC 2017. Il dirige le Cabinet ITEANU AVOCATS qu’il a fondé, dont l’activité est dédiée au droit des technologies de l’information.