Les critères qui départageaient hier les deux technologies sont-ils toujours aussi pertinents ? Premiers indicateurs, la volumétrie et la typologie des utilisateurs. Pour des environnements monoposte ou partagés entre 2 ou 3 personnes, le jet d’encre remplissait jusqu’alors parfaitement son rôle. Au-delà de 1 000 pages par mois et par utilisateur, on lui préférait le laser, plus robuste pour encaisser des volumes de pages importants. Le choix n’est aujourd’hui plus si radical.
Les modèles jet d’encre sont désormais capables de tenir des cadences de près de 5 000 pages dans le mois pour un cycle de vie des périphériques de cinq ans environ. Même pour une volumétrie plus importante encore, le jet d’encre est toujours dans la course. Epson a par exemple développé la gamme WorkForce Pro RIPS (Replaceable Ink Pack System) dont la particularité est de pouvoir imprimer jusqu’à 75 000 pages sans interruption à partir du même consommable, et sans dégrader les performances de l’imprimante. Une offre qui, en visant les grands comptes, chasse gardée traditionnelle du laser, a de quoi accélérer une transition vers le jet d’encre. “Le jet d’encre est aujourd’hui capable d’adresser aussi bien les petits artisans que les grands comptes en répondant parfaitement aux besoins bureautique des entreprises”, estime Damien Reny, Office Jet Pro Brand Manager chez HP. Autre élément, la vitesse, à comparer sur des bases communes : taux de remplissage et modes d’impression qualité ou brouillon. Les imprimantes laser ont toujours été les plus rapides à ce jeu. Mais, là encore, c’était hier… Brother, Epson ou encore Memjet ont développé des modèles jet d’encre qui atteignent les 100 pages par minute, autrement dit des vitesses que requièrent peu de tâches bureautiques. Leur principe : utiliser une barre d’impression couvrant toute la largeur de la page imprimée et constituée de deux têtes, l’une pour déposer un apprêt sur le papier, l’autre pour répandre l’encre à pigments. Idem chez HP et son procédé WidePage qui exploite une tête large et statique sur un papier en mouvement.
« La frontière est de plus en plus ténue entre laser et jet d’encre mais il y a de la place pour les deux pour répondre aux différents usages dans les entreprises . »
Bénédicte Bouyer, HP
Quant à la qualité, les caractéristiques techniques, notamment la résolution, ont atteint un tel niveau qu’il est difficile de départager les technologies. Sauf à considérer le rendu photographique, atout du jet d’encre, ou la longévité des documents imprimés et leur aspect “commercial” qui restent les points forts du laser. La production au format A3 est également l’apanage du laser, même s’il existe quelques solutions dans le camp adverse. En revanche, la diversité des supports est un point pour lequel le laser a encore des progrès à faire face à son rival, notamment à cause du chauffage du papier. Mais en abaissant la température de fusion du toner, des avancées ont été réalisées dans ce domaine. HP notamment, a revisité le laser avec ses consommables JetIntelligence. “Conçues autour de technologie de toner JetIntelligence, les imprimantes LaserJet consomment jusqu’à 53 % d’énergie en moins et occupent jusqu’à 40 % moins d’espace. Elles s’activent et impriment y compris en recto-verso dans un délai réduit”, explique Bénédicte Bouyer, chef de produit Imprimantes laser chez HP. En concevant un toner nécessitant moins d’énergie, le géant américain a pu réduire les dimensions du four, pièce maîtresse de l’impression laser et, partant, les dimensions de ses périphériques. L’opération se traduit aussi par une vitesse d’impression accrue et une augmentation de la capacité papier. Loin d’enterrer leur technologie, les spécialistes du laser pointent en plus le manque de maturité des solutions concurrentes.
“Les avancées de la technologie inkjet sont intéressantes mais encore balbutiantes. La productivité recherchée par les entreprises se mesure sous l’angle des applicatifs : plus l’entreprise doit traiter des documents volumineux, obtenir une haute qualité d’impression et systématiser le recto-verso, plus la technologie laser s’impose car elle a encore un train d’avance”, estime Benjamin Duthu, office product manager chez Xerox.
“Le laser remplit aujourd’hui toujours parfaitement son rôle d’impression, et la fiabilité demeure son point fort. Cette technologie s’enrichit en plus de couches de services relatives aux MPS. Qu’il s’agisse de supervision, de connectivité, de mobilité ou d’accès au Cloud, nous bâtissons des offres qui, si elles étaient reportées sur du jet d’encre nécessiteraient des modèles haut de gamme, et seraient donc plus coûteuses pour l’entreprise”, souligne pour sa part Laurent Carreyre, expert avant-vente pour la division imprimantes chez Dell.
Le TCO, en faveur du jet d’encre
Pour distinguer les deux technologies, il faut également évaluer la consommation d’encre ou de toner, une mesure qui détermine le fameux coût à la page, et donc le TCO, tout en tenant compte de l’impact environnemental des consommables. Les offres actuelles donnent le jet d’encre gagnant à la fois sur le prix de revient d’une page imprimée et l’usage global du périphérique. “Le TCO permet de calculer et maîtriser les coûts d’impression et donc de les réduire. La méthode a été inventée en 1988 par le cabinet Gartner et s’applique en fait à tous les matériels. Quel que soit le périphérique évalué, on détermine son coût réel pendant toute sa durée de vie. Ce qui inclut non seulement le coût initial de la machine mais celui des cartouches d’encre ou toner, les pièces d’usure (le four, les photoconducteurs, la courroie de transfert, le kit de maintenance, etc.), l’entretien ou la maintenance du produit. Bien souvent on ne s’attache qu’au prix facial de l’imprimante, alors que sur la durée de possession, ce coût ne représente qu’une toute petite part”, explique Théo Mataranga, fondateur du laboratoire indépendant BenchExpert Labs. De nombreux tests réalisés par ce labo et d’autres font pencher le TCO en faveur du jet d’encre sur des points importants : prix facial, coût à la page, consommables et pièces détachées qui se limitent aux cartouches ou quelquefois au kit de maintenance.
Au final, la réponse n’est pas tranchée
Alors que la chaleur requise par le laser nécessite plus d’énergie, la technologie d’impression à froid est un autre atout du jet d’encre. Toutefois, en plus d’abaisser le point de cuisson du toner, les spécialistes du laser ont substitué aux lampes allogènes utilisées dans les années 90 un dispositif proche de la plaque à induction, qui réduit considérablement le délai de préchauffage. Mais plus généralement, qu’il s’agisse de concevoir des encres ou de produire du toner, de mettre au point des plastiques ou d’assembler des circuits électroniques, l’industrie de l’impression pollue. Il faut toutefois saluer la démarche proactive d’une majorité de fabricants qui consacrent une partie de leur budget R&D à tenter de rendre le cycle de vie de leurs produits le plus vertueux possible.
La technologie jet d’encre, est-elle devenue incontournable ? Oui si l’on considère son faible coût à l’achat, ses consommables abordables et une qualité satisfaisante concernant la production de documents bureautiques. Faut-il renoncer pour autant au laser ? Non, d’une part les écarts de coûts tendent à se resserrer avec le jet d’encre, et d’autre part sa robustesse reste un atout incontestable. En outre, la déclinaison du laser vers le LED est un sérieux facteur d’amélioration du TCO. Dans bien des cas, sauf à défendre spontanément leur camp, les fabricants n’ont aucune réponse réellement tranchée. Sans doute savent-ils que les deux procédés sont voués à coexister et, qu’au-delà de savoir combien de temps encore, ils sont tenus de fournir le meilleur des deux mondes s’ils souhaitent répondre aux demandes de rationalisation des parcs.