Guillaume Gombert, directeur de projets stratégiques et Jérémy Taïeb, analyste financier chez Fabernovel et co-auteurs de l’étude GAFAnomics “Slack, The Future Workspace” reviennent sur les enjeux de ce rachat hors norme.
Un achat historique par un non-Gafa
Salesforce, la firme californienne de Marc Benioff, vient de racheter Slack à coup de milliards de dollars (27,7 pour être exact). L’entreprise est moins connue du grand public que Microsoft, qui a construit sa notoriété sur des logiciels grand public tels que Windows et la suite Office 365. Mais Salesforce est le champion des logiciels cloud pour les entreprises. L’entreprise a révolutionné le modèle du logiciel, a su démocratiser le Saas (Software as as service) et est devenu un sérieux rival de Microsoft : ce sérieux concurrent a d’ailleurs poussé Microsoft à se réinventer. Aujourd’hui, ce rachat est historique car il est d’une ampleur jamais vue. Il bat tous les records, dont le dernier en date, celui de Linkedin par Microsoft (26,2 mds de dollars). D’autant que Salesforce n’a pas la force de frappe financière des GAFA : ce rachat représente en effet plus de 12% de sa capitalisation boursière (220 milliards de dollars).
Slack accusait un retard grandissant vis-à-vis le géant de Redmond
Bête noire de Microsoft à son lancement en 2012, Slack est l’outil de communication qui a fait trembler le géant de la bande des GAFAM. Plus qu’un outil, Slack est le porte-étendard des startups qui veulent dépoussiérer le monde du travail, et des grands groupes qui souhaitent accélérer leur transformation organisationnelle.Depuis son entrée en bourse en 2019 (nous l’expliquons dans l’étude GAFAnomics “Slack, The Future Workplace”), les deux entreprises ont mené une bataille de communication acharnée sur les chiffres liés aux usages de leurs outils.
En juillet 2019, les deux concurrents avaient peu ou prou le même nombre d’utilisateurs actifs (13 millions environ). Bien que Microsoft ait progressivement creusé l’écart au cours des mois suivants (atteignant 44 millions d’utilisateurs à la mi-mars), les choses se sont emballées avec le Grand Confinement mondial. En rendant son outil Teams temporairement gratuit, puis en accélérant sa feuille de route produit, Microsoft a su tirer profit de la crise. Quand on est un grand compte, ayant déjà cette suite Office, qui recherche une solution facilitant le travail à distance, pourquoi payer Slack quand on peut utiliser Teams presque gratuitement ? Microsoft semble avoir réussi son pari : faire de Teams la clé de voûte de sa suite Office 365. Aujourd’hui, Microsoft compte plus de 115 millions de clients actifs
Slack, catalyseur de transformation organisationnelle
Dans ce contexte, le rachat de Slack par Salesforce tombe à pic. C’est l’opportunité rêvée pour relancer la machine Slack et profiter des synergies avec les 150 000 clients de Salesforce qui sont majoritairement des grands comptes comme Microsoft. À titre de comparaison, Slack revendiquait début 2018 “seulement” 150 firmes parmi ses clients Enterprise (son offre “grands comptes”). Mais c’est aussi le moyen pour Salesforce de connecter ses clients à ses outils de back-office commerciaux en faisant de Slack une interface de programmation et d’administration conversationnelle. Plus besoin d’aller chercher l’information dans un tableau de bord : avec Slack, il suffira de taper “quel est le CA de tel client ?” pour obtenir la réponse.En ayant la capacité de discuter avec la data, les métiers ne sont ainsi plus dépendants des équipes business intelligence et commerciales pour suivre la performance de leurs business units, ce qui contribue à casser les silos au sein des grands groupes. Slack serait ainsi la brique manquante pour pallier le manque de réussite de Chatter, le réseau social interne permettant jusqu’alors de faire le lien pour les entreprises clientes et les solutions de Salesforce.Un changement d’approche majeur, donc, rendu possible par le mariage d’une vision client unifiée (Salesforce Customer 365) et un centre de pilotage agile (Slack). Au final, doit-on y voir l’avènement des entreprises réellement customer-centric et agiles ? C’est ce que nous disons dans les études GAFAnomics : la transformation à l’échelle, du modèle de valeur et de la culture par la technologie, pour enfin piloter son business par client (ARPU et CLV) plutôt que par produit.
Le premier OS “sexy” du B2B ?
En attendant, Salesforce devra réussir son intégration, car l’outil Slack s’est construit sur une culture propre, inspirée de l’univers très coloré et ludique des jeux vidéo et reprenant tous les codes des réseaux sociaux (emojis, gifs, threads, mentions…). Sa richesse vient aussi de son côté agnostique, puisque cet OS intègre une panoplie de plus de 2 500 applications externes qui peuvent se plugger à Slack… Microsoft Teams compris. On peut cela dit faire confiance à Salesforce qui a, il y a plusieurs années, réussi à intégrer Heroku tout en conservant son authenticité.