Une décision récente du Tribunal de grande instance de Paris a le mérite de fixer les contours de la notion d’éditeur, et de rappeler en termes clairs l’obligation pesant sur lui. L’analyse de Stéphane Baïkoff, avocate département IP/IT du cabinet Simon Associés.
L’article 6-I-2° de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) définit les hébergeurs de site internet comme les personnes mettant « à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». Leur responsabilité ne peut être engagée du fait des activités ou des informations hébergées si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.
L’éditeur est défini comme étant « la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu’il a créé ou dont il a la charge ». Il est donc le responsable, désigné en principe comme tel dans les mentions légales, du contenu qu’il met en ligne.
Lafuma/Alibaba
Le Président du Tribunal de grande instance de Paris, selon ordonnance de référé en date du 21 novembre 2017, a rappelé les critères objectifs à retenir pour qualifier un acteur du e-commerce d’éditeur de site internet, et les obligations lui incombant à ce titre.
Dans cette affaire, la société LAFUMA, ayant constaté la vente en ligne de produits contrefaisant sa marque sur le site B2B de Alibaba.com, a assigné les sociétés étrangères du groupe ALIBABA ainsi que la société ALIBABA France, considérant que cette dernière avait qualité d’éditeur de site internet, et était, à ce titre, responsable des contenus en ligne et de la vente de produits contrefaisants.
En effet, en l’absence de mentions légales sur le site internet alibaba.com relatives aux coordonnées de l’éditeur, la société LAFUMA s’est fondée sur un faisceau d’indices pour attribuer cette qualité à ALIBABA France.
La société ALIBABA France, pour sa part, a prétendu qu’elle n’était pas l’éditeur du site dès lors qu’elle n’avait qu’une activité de développement marketing de la marque. Les autres sociétés du groupe ont, quant à elles, brandi leur qualité d’hébergeur pour tenter de faire échec aux demandes de la société LAFUMA à leur encontre.
A la faveur de son ordonnance, le Président a fait droit à l’argumentation de la société LAFUMA et considéré qu’elle était bien fondée à considérer que la société ALIBABA France était l’éditrice du site internet proposant à la vente les produits litigieux.
Le juge a fait fi des qualifications et dénominations alléguées par les sociétés du groupe ALIBABA. En l’absence de mentions légales relatives à l’identité de l’éditeur sur le site french.alibaba.com, il a retenu que la société ALIBABA France avait, au regard de son k-bis, certes une activité de marketing, mais également une mission de développement de la plateforme, ainsi qu’une activité de service-client, et qu’elle était donc éditrice du site internet.
Quant aux autres sociétés du groupe, le juge a considéré qu’elles offraient des abonnements « Premium » donnant accès à certaines fonctionnalités personnalisées. Leur rôle actif sur le contenu du site, dont elles contrôlent les données publiées, est un élément fondamental retenu par le juge. Dès lors qu’elles hiérarchisent les offres, et mettent en avant celles qui leur rapportent plus de revenus, elles ne peuvent soutenir qu’elles ont un simple rôle d’hébergeur fournissant un accès à une plateforme de vente. Elles ne se limitent pas à fournir un service neutre, et reçoivent donc la qualité d’éditrices de site internet.
Le juge rappelle que ces sociétés éditrices ont « l’obligation de surveiller a priori la licéité de toutes les informations diffusées sur l’intégralité du site ». Cette décision, si elle est n’est pas nouvelle dans le principe qu’elle édicte, a le mérite de fixer les contours de la notion d’éditeur, et de rappeler en termes clairs l’obligation pesant sur l’éditeur, qui se révèle être lourde de conséquences tant opérationnelles que juridiques, compte tenu de l’importance du réseau constitué par les sociétés concernées.