Tests de personnalité, escape games, serious games et intelligence artificielle disruptent depuis quelques années le marché du recrutement. Mais comment utiliser ces outils à bon escient et de façon raisonnable sans en faire un Saint Graal ? Réponse dans le livre « S’approprier les nouvelles méthodes de recrutement » aux éditions Dunod.
En préface de l’ouvrage, ses auteurs, Alexis Akinyemi et Laurène Houtin** mettent en exergue l’une des erreurs les plus fréquentes dans une politique de recrutement : la focalisation dès avant le lancement du processus sur un candidat type qui semble correspondre au profil idéal.
« En dressant le profil du candidat idéal, on a l’impression de limiter ses chances de faire une erreur de recrutement. Ce qui est vrai, puisque ces profils sont souvent basés sur des expériences réussies et résultent en fait de pensées du type « il nous faut quelqu’un comme untel ou unetelle, explique Laurène Houtin. Ce travail peut très bien être un préalable à une décomposition de ce profil idéal sous forme de compétences, de traits de personnalités, de valeurs… mais il est problématique si on inclut des éléments externes aux compétences dans le profil – une école précise par exemple – ou si on s’attache à recruter systématiquement de cette manière, ou pire, à grande échelle ».
Pour affiner le processus de sélection des candidats mais aussi pour attirer les nouvelles générations de talents, les entreprises ont de plus en plus recours à de nouvelles méthodes de recrutement, remplaçant CV, lettres de motivation et entretiens par des tests de personnalité, escape games, serious games ou encore solutions basées sur l’intelligence artificielle.
L’intelligence artificielle dans le recrutement
Parmi les outils utilisant l’IA, les entretiens vidéo en différé analysés par une IA. « Cette technique est très utilisée aux États-Unis, affirme Laurène Houtin. Elle est principalement performante pour remplacer ce que l’on appelle l’instinct, c’est-à-dire l’impression que la collaboration avec un candidat donné va bien se passer du fait de la qualité des échanges et de la relation expérimentée durant l’entretien. Dans cette impression, on perçoit essentiellement des éléments de langage, de ton de voix et de transmission d’émotions par les expressions du visage.
C’est ça que l’IA fait mieux que nous. Mais l’instinct ne dit rien sur les compétences et la capacité à les mobiliser dans le poste. Il faut donc lui réserver la place qu’il mérite – petite – et se concentrer sur les éléments factuels recueillis par ailleurs, par entretien vidéo ou non ». Laurène Houtin le souligne, il faut rester conscient que les candidats les plus timides ou introvertis ou même ceux qui ont un sentiment d’efficacité personnelle faible ont le plus de chances d’abandonner s’ils doivent se filmer en vidéo.
Quant aux serious games, leur principal atout est de diminuer la capacité des candidats à percevoir facilement ce que l’on cherche à évaluer chez eux. « Il est bien sûr important de les informer qu’ils vont passer un test de compétences en toute transparence, mais s’ils peuvent comprendre très facilement quelle est la réponse attendue par le recruteur à chaque question, la pertinence du test est limitée, explique Laurène Houtin. Le serious game est censé diminuer ce biais mais il doit pouvoir évaluer précisément des compétences sans tomber dans l’un des écueils suivants : évaluer des compétences numériques, du QI ou des compétences en jeux vidéo, ou n’être rien d’autre qu’un questionnaire illustré ».
Prendre le temps de comprendre les nouvelles méthodes de recrutement
Pour exploiter au mieux toutes ces méthodes, les auteurs du livre conseillent aux recruteurs de bien les comprendre et les questionner. « En 2019 nous avons mené une étude dont les résultats sont consultables chez Harvard Business Review au cours de laquelle nous présentions un même algorithme de recrutement de manière superficielle et réaliste (« diminuez votre temps de recrutement de 70 % ») ou de manière honnête et descriptive (« notre algorithme d’analyse sémantique reconnaît vos mots-clés et vous propose les meilleures combinaisons CV/offre »), raconte Laurène Houtin. Nous avons observé que les arguments superficiels étaient perçus comme plus convaincants. Tout simplement parce que les recruteurs n’ont pas le temps et sont stressés par leur charge de travail, ce qui augmente la probabilité qu’ils soient à la recherche d’informations rassurantes et faciles à comprendre. Pour que les méthodes de recrutement soient utilisées à bon escient, il est essentiel de donner de l’attention à leurs principes de fonctionnement et de connaître la portée de leurs résultats.
Patricia Dreidemy
** Alexis Akinyemi est docteur en psychologie, co-fondateur et responsable de la R&D d’AD-HOC Lab. Il est spécialiste de la création et validation d’outils psychométriques. Laurène Houtin est docteure en psychologie et présidente d’AD-HOC Lab. Elle est spécialiste des thématiques de stéréotypes, d’éthique et d’évaluation des compétences.