Ecrit par Odile Bellenguez, enseignante-chercheuse à IMT Atlantique au sein du département « Automatique, Productique et Informatique », cet ouvrage* tente de démystifier et rendre accessible le fonctionnement générique de tels algorithmes.
Odile Bellenguez, qui travaille sur la conception et l’amélioration d’algorithmes de planification du travail depuis plus de quinze ans, a avant tout voulu en explorer l’articulation avec l’organisation des tâches, qui incombe aux managers. « Il s’agit essentiellement d’algorithmes issus de ce qu’on appelle la recherche opérationnelle, très largement dédiés à la planification et l’ordonnancement de production depuis des décennies », précise-t-elle. Ces approches sont aujourd’hui graduellement enrichies si nécessaire avec les avancées en apprentissage venant de l’intelligence artificielle.
« Il m’a semblé pertinent de démystifier leur usage, ainsi que les limites de ce que l’on sait actuellement faire avec leur aide, après différents projets et échanges avec des industriels dans différents secteurs : la santé avec les planifications d’emplois du temps des infirmières, l’industrie pharmaceutique ou encore les industries plus lourdes telles que l’automobile et l’aéronautique », explique-t-elle. Odile Bellenguez a également porté un programme autour de la gestion des opérations et de la logistique pendant dix ans au sein de l’Ecole des Mines devenue IMT Atlantique. « Beaucoup d’anciens élèves travaillant dans ces secteurs sont également confrontés à la problématique de l’organisation du temps de travail », confie-t-elle.
Ses échanges avec les industriels ont souvent été ponctués de constats très marqués sur la technologie, tels que « ça ne marchera jamais, ça ne fera pas aussi bien que quelqu’un qui connaît ses équipes et les problématiques de terrain » ou au contraire « c’est la solution et on l’applique telle quelle sans aucun aménagement ». En fait, Odile Bellenguez le souligne : aucune de ces deux positions ne fonctionne pleinement.
Gains d’efficacité, oui mais…
L’ouvrage a donc pour but de faire la part des choses entre l’humain et une technologie destinée à des managers de premier niveau (chefs d’équipe, responsables de services, cadres de santé, responsables d’atelier…) s’occupant de la gestion opérationnelle du travail, qui doivent construire des horaires de travail en lien avec l’organisation des activités productives. « De plus en plus de cadres opérationnels font appel à des logiciels reposant sur ce type d’algorithmes ou font réaliser, si besoin est, des développements d’algorithmes ad hoc, qui se basent sur des modèles issus de la recherche opérationnelle, explique-t-elle. Ces usages nécessitent une certaine compétence en ingénierie ou en informatique pas toujours maîtrisée, d’où un certain nombre d’incompréhensions que j’essaie d’aborder dans le livre. Face à des outils complexes parfois très opaques, il peut en effet être difficile de comprendre les résultats produits par un algorithme, et de parvenir à les faire coexister avec les habitudes et les pratiques métier propres à chaque organisation ».
Vouloir à tout prix coller à des approches génériques
Selon la chercheuse, le principal écueil dans leur usage est de vouloir à tout prix coller à des approches génériques, prétendument capables de traiter tous les cas, sans tenir compte des spécificités, de l’expertise de terrain et de la compréhension toujours en construction des interactions. « Il faut absolument travailler à une meilleure adéquation des algorithmes avec les enjeux présents et à la prise en compte des impacts sur l’avenir d’outils qui permettent une plus grande interactivité, et sur lesquels la recherche progresse constamment », insiste-t-elle.
Si l’utilisation de logiciels basés sur ces algorithmes peut permettre de gagner entre 10 et 20% de temps dans des organisations manuelles quelque peu compliquées, ce temps gagné à court terme n’est parfois pas forcément du temps pertinent à long terme, prévient cependant la chercheuse. « Avoir un emploi du temps très minuté où chaque instant est « rentabilisé » peut aussi participer à la souffrance des équipes et à l’épuisement professionnel », estime-t-elle.
Pour cette raison, je m’intéresse maintenant beaucoup à l’éthique des algorithmes. Il faut en effet sacraliser des temps d’échange entre équipes, des temps de transmission, des temps de partage d’expérience. Évidemment, ce n’est pas rentabilisé à la minute, mais c’est pertinent pour l’équilibre et la qualité de vie au travail ». Ce sujet, plus que jamais d’actualité, pourrait faire l’objet d’un prochain livre
« A la recherche du temps de travail perdu. Peut-on s’en remettre aux algorithmes ? ». Presses des Mines
Patricia Dreidemy