Alors que le pire de la crise économique reste devant nous, agilité, résilience et robustesse sont les maîtres mots de la Supply Chain dans le très incertain “nouveau monde”. Sa digitalisation contribue à lui donner ces aptitudes.
« La crise du Covid-19 a révélé que la Supply Chain est clef pour la performance de l’entreprise, pour servir les clients, remarque Pierre-Martin Huet, vice-président Supply Chain de Michelin. Il va falloir trouver le scénario de reprise qui améliore la résilience de la Supply Chain tout en ayant un pilotage agile. »
Une manière efficace pour redémarrer est de construire une “task force” dont l’objectif sera d’élaborer le plan de reprise et de piloter sa mise en œuvre. « Elle s’appuiera notamment sur des scénarios de redémarrage multiples et combinant plusieurs dimensions (clients, fournisseurs, ressources internes…), explique Olivier Gautier, senior manager du cabinet de conseil spécialisé en Supply Chain management, Diagma. Lors du démantèlement de cette équipe, il sera important de documenter ses enseignements et processus de mise en place. Un système de veille devra aussi être instauré pour capter les signaux d’alarme à venir. »
Maîtriser la chaîne en environnement incertain
Dans un environnement volatil, avec une remise en route progressive et très variable selon les secteurs et entreprises, un nouveau jeu de contraintes et de risques accrus s’impose aux professionnels de la logistique et du transport. Il vient bousculer la tendance aux flux tendus de ces dernières années. « Pour ne pas avoir trop de stocks coûteux financièrement tout en évitant les ruptures de produits, la solution pour les distributeurs pourrait se trouver dans la réduction du nombre de références, dont les plus critiques verraient leurs stocks de précaution augmenter, envisage Laurent Cochet, responsable de l’activité conseil de l’éditeur spécialisé Generix.
La tendance à la maîtrise des coûts Supply Chain reste néanmoins primordiale dans un contexte de crise. « Il est hors de question de laisser exploser les coûts logistiques pour éteindre des incendies, » prévient Aurélien Jacomy, associé de Diagma. Aussi la visibilité s’avère un précieux allié en temps de crise, face aux aléas et aux ruptures d’approvisionnement. Car le choc de demande grevant nettement les trésoreries, les stocks doivent être réduits pour récupérer du cash. Une meilleure visibilité va y contribuer. Elle nécessite de pouvoir remonter les informations en temps réel et de visualiser les points de blocage éventuels, via des applications de traçabilité des flux et des stocks et les plateformes collaboratives cloud. La visibilité augmente ainsi l’importance de la gestion collaborative des approvisionnements, des “Control Tower”, et de l’interconnexion entre les différents systèmes logistiques, achats, transport et de gestion d’entreprise, et avec ceux des prestataires : « Ce dernier point est peut-être le plus difficile à mettre en œuvre, il faut commencer avec les 20 % de prestataires avec qui l’entreprise réalise 80 % de l’activité, » recommande Laurent Cochet.
Cette visibilité doit concerner tous les maillons de la chaîne. Le transport, de commodité peu chère, devient un maillon essentiel avec une volatilité des prix plus forte. « La digitalisation du transport facilite le pilotage des opérations, souligne Jérôme Bour, président de DDS Logistics, éditeur de logiciels spécialisés transport et Supply Chain. Les plateformes collaboratives transport comme la nôtre facilitent l’échange d’informations. Et la tour de contrôle transport est alimentée par des informations en temps réel provenant des applications mobiles et des objets connectés. Elle permet de redimensionner les opérations en fonction des risques et alertes, d’autant plus aisément si elle s’accompagne d’intelligence artificielle qui trie et analyse les informations pertinentes, »
Réactivité et planification
« Il faut réussir à piloter les flux amont et aval, ainsi que les stocks à une maille plus fine que les processus S&OP (Sales &Operations Planning, ou plan industriel et commercial) la plupart du temps mensuels, dans un environnement à haut niveau d’incertitude, fait remarquer Olivier Dubouis, associé et directeur général de Diagma. Cela nécessite de modéliser sa chaîne d’approvisionnement et son réseau logistique, puis de simuler différents scénarios sur un logiciel de prévision et de planification avancée ; la capacité de modélisation des paramètres et contraintes est variable selon l’APS (Advanced Planning System), et le paramétrage des contraintes est plus ou moins complexe. » Stéphanie Rott, directrice Supply Chain et production de LVMH, confirme les analyses des consultants et éditeurs : « Côté planification, nous sommes passés d’un planning mensuel à un planning hebdomadaire, voire bihebdomadaire. Il faut trier les informations macro pour les traduire en données utiles pour mieux gérer notre chaîne. Le processus de gestion des stocks, des ressources et du cash doit devenir robuste. »
Des modèles par région
La crise actuelle pousse également à rendre la Supply Chain plus agile et résiliente de bout en bout, notamment en diversifiant le sourcing. « Elle va ainsi accélérer certaines tendances qui existaient depuis quelques années, comme le besoin d’agilité et de réactivité, qui demande d’avoir une visibilité en temps réel, fait remarquer Olivier Dubouis. L’arbitrage entre réduction des coûts, flexibilité et résilience revient sur le devant de la scène. La progression actuelle de l’e-commerce impose de l’incorporer à ses scénarios prévisionnels, et d’avoir un réseau de distribution omnicanal. Enfin, la poursuite des démarches de responsabilité sociale et environnementale (RSE) implique une Supply Chain frugale en ressources de la planète. Bref, c’est un challenge de répondre aux différentes contraintes ! »
« Le modèle de Supply Chain uniforme qu’on tente d’appliquer partout dans le monde pourrait laisser place à des modèles par région… à l’instar des zones rouges et vertes en France, s’amuse Laurent Cochet. Il faut de la souplesse pour pouvoir passer d’un modèle à l’autre, afin d’être résilient face aux perturbations. L’IT, via l’e-learning et l’ergonomie de l’interface des outils opérationnels destinés aux opérateurs et au management, peut aussi contribuer à la résilience, et rendre les sites logistiques “responsive”. L’IT facilite notamment l’acclimatation des nouveaux salariés et intérimaires lors des pics d’activité. »
Etre agile, c’est aussi insuffler plus de lean et de simplicité dans les Supply Chain pour limiter leur complexité, d’autant plus forte qu’elles sont internationales.
Poursuite de projets d’amélioration déjà en cours
La crise a enfin remis en cause certains projets d’amélioration de la Supply Chain (voir graphique). Du côté des projets digitaux, ils se sont poursuivis chez DDS Logistics, normalement dans l’agro-alimentaire et la distribution, mais avec un coup de frein dans l’automobile. Laurent Cochet ajoute : « les grands projets de mécanisation d’entrepôt sur lesquels je travaille ne se sont pas arrêtés. La nouveauté, c’est un go-live d’un projet pour La Maison du Whisky qui se fait entièrement à distance. » Isabelle Badoc, directrice marketing produit de Generix, précise : « Les entreprises attendent de voir l’évolution de la reprise, notamment en termes de trésorerie, avant de lancer de nouveaux projets IT Supply Chain. Je pense que de plus petits projets démarreront, destinés à rendre la Supply Chain plus résiliente. Et le mode SaaS devrait poursuivre son essor dans un environnement où l’activité fluctue. »
Laurent Cochet estime qu’« à court terme, les usages vont repartir comme avant la crise sanitaire, un “nouveau monde” plus vertueux et vert pourrait émerger à moyen terme, s’il y a une prise de conscience collective durable des parties prenantes. »
Accélérer la digitalisation des ventes
Plus de la moitié des professionnels de la Supply Chain souhaitent accélérer la digitalisation des ventes pour mieux résister aux crises à l’avenir, selon le sondage mené par le cabinet de conseil Diagma de mi-avril à début mai (60 répondants, dont 48% d’industriels et 30% de distributeurs). Près de 80% des entreprises déclarent avoir vu chuter leur chiffre d’affaires, alors que 68% déclarent un CA en ligne stable ou à la hausse.
Plus du tiers envisagent d’augmenter la visibilité sur leur Supply Chain ainsi que leur capacité de pilotage via les nouvelles technologies pour gagner en robustesse et en agilité. Un tiers prévoit aussi de définir ou ajuster un plan de gestion des risques de la Supply Chain face à une crise mondiale.