Tous les pans de notre économie sont impactés par cette mutation profonde qui profite d’abord aux cabinets de conseil, puis aux ESN (Entreprises de Services Numériques) et ensuite aux éditeurs de solutions qui ont su se transformer. Derrière cette révolution, on trouve celle des infrastructures à travers le Cloud, celle des développements, des applications infusées par l’IA, des usages bouleversés par la RPA.
Si les grands groupes ont les moyens pour intégrer cette révolution digitale, il n’en est pas de même pour les ETI et PME. Souvent, ces dernières sont complètement dépassées par ce phénomène et ne savent plus à quel saint se vouer, au risque de tomber entre les mains de conseilleurs peu scrupuleux. L’industrie est un secteur particulièrement sensible pour toutes les tailles d’entreprises. Comment transformer son outil de travail en usine 4.0 ?
Le marché en 2020
Examinons d’abord la situation du marché des logiciels et services qui connaît un épisode favorable avec des taux de croissance supérieurs à la plupart des taux des autres secteurs de notre économie.
Selon Syntec Numérique et IDC, l’année 2019 devrait se terminer sur une croissance de 4,2% dans notre secteur des logiciels et services, pour un volume de 58,7 milliards d’euros. Selon la même source, la croissance devrait se tasser légèrement en 2020, à 4 %. La croissance est soutenue par les projets de transformation numérique, notamment les SMACS (Social-Mobility-Analytics-Cloud & Security) qui progressent de 15,7 % en 2019. En 2020, les Smacs atteindront 16,5 milliards d’euros et une croissance de 14,7 %. Les sociétés du secteur se projettent positivement en 2020 : près de 2/3 des entreprises envisagent une croissance de leur chiffre d’affaires. Depuis plusieurs années, le poids relatif de chacune des trois activités principales du secteur n’a pas évolué. Le Conseil et Services qui correspond à l’activité des ESN s’accapare toujours la plus grosse part du gâteau avec 61% ou 35,8 milliards d’euros. L’édition de logiciels vient en deuxième position avec une part de 22% ou 12,9 milliards. Le Conseil en Technologies vient en troisième position avec 17%, ce qui correspond à un volume de 9,9 milliards.
- Conseil et services (ESN) : L’activité conseil et services qui est portée par les ESN, a progressé de 3,1 % en 2019 et devrait atteindre 2,9 % en 2020. 74 % des Entreprises de Services du Numérique (ESN) envisagent une croissance de leur chiffre d’affaires en 2020. Le développement des nouvelles offres de services à forte valeur ajoutée (comme la cybersécurité, l’intelligence artificielle et les systèmes cognitifs) alimentent le marché des ESN. Le développement des offres Cloud s’intensifie, atteignant 19,9% du marché, soit une croissance de 19,4% en 2019. Les secteurs banque, assurance, finance, utilities et services aux professionnels portent la croissance du conseil et services.
- Édition de logiciels : L’édition de logiciels a progressé fortement de 6,6 % en 2019, et sera stable à 6,6 % en 2020. 78 % des éditeurs de logiciels envisagent une augmentation de leur chiffre d’affaires en 2020. Cela, grâce à deux sous segments en très forte croissance :
– L’applicatif (6,8%) dont le CRM, la gestion de contenus et le collaboratif ;
– Les logiciels outils (8,1%), dont les outils analytiques, ceux de gestion de données, de développement, d’intégration, d’orchestration et de mise en qualité.Le SaaS devrait croître de 20 % en 2020 et représenter 32 % du marché de l’édition soit 4,5 milliards d’euros. Les secteurs industrie, banque, assurance, finance et services aux professionnels contribuent à la croissance du secteur logiciel.
- Conseil en technologies (ICT) : l’activité de conseil en technologies et d’externalisation de la R&D a progressé de 5,0 % en 2019 et devrait ralentir un peu en 2020, à 4,4 %. 60 % des sociétés du conseil en technologies prévoient une augmentation de leur chiffre d’affaires en 2020. Les moteurs de croissance pour les entreprises du conseil en technologies sont : l’accélération des prestations dans le domaine de l’ingénierie de process, l’accompagnement de la transformation des business model des clients industriels vers la vente de solutions, le développement de prestations dans le domaine des objets connectés (développement, sécurisation, gestion des objets, gestion des données…). Les principaux secteurs clients qui participent au développement des activités du conseil en technologies sont l’aéronautique et l’énergie.
La mutation des ESN
Nous parlons de transformation numérique depuis plus de 8 ans. En effet, en 2012 nous écrivions déjà : « La mutation des usages, telle que nous venons de la décrire entraîne une rupture technologique plus profonde que tout ce que nous avons connu. Plus importante que le passage à l’An 2000 ou à l’Euro. Cette rupture va ouvrir, dans son sillage, un gigantesque chantier à l’échelle de l’Hexagone, de l’Europe et du monde. La taille de ce chantier est fonction de celle de l’héritage informatique du pays. Nous vivons dans l’Ancien Monde. Autant dire que cet héritage, “legacy”, est lourd. La modernisation des SI ira en s’accélérant car les entreprises, mais aussi les Administrations, en ont besoin pour maintenir et développer leurs audiences. Cette modernisation touche toutes les couches d’entreprises. »
Qu’en est-il aujourd’hui ? Les ESN ont-elles fait leur révolution culturelle et remis en cause leur modèle économique qui date, chez certains, de la création de Cap Sogeti ! Si aujourd’hui il n’est plus question de vendre des prestations (vendre des CV) sans parler de transformation digitale, il est clair que la plupart des ESN ont fait évoluer leurs offres en fonction de cette demande. Autrement dit, elles disposent des technologies porteuses dont les Smacs. En revanche sont-elles outillées pour avoir une vision claire de ce dont une entreprise (grande, ETI ou PME) ou une administration a besoin pour faire sa révolution digitale ? Cela devient très complexe dès que l’on aborde l’écosystème de cette entreprise qui évolue dans son secteur d’activité, parmi des concurrents de plus en plus agressifs, nationaux ou internationaux. Dès lors, cela relève du conseil en stratégie de transformation digitale, ce qui n’est pas à la portée de la première ESN venue.
Faits marquants 2019
♦ L’opération la plus importante en 2019 a été l’annonce de l’OPA amiable de Capgemini sur Altran qui vient de voir son épilogue avec l’acquisition de plus de 50% des actions d’Altran par Capgemini en ce début 2020. Cette opération apporte à Capgemini environ 3 milliards de chiffre d’affaires nouveau et quelque 50 000 collaborateurs à travers le monde. Le nouveau groupe pèsera 17 milliards d’euros comptant plus de 265 000 collaborateurs.
Paul Hermelin, PDG de Capgemini, a déclaré dans le communiqué de presse du 24 juin 2019 : « La complémentarité et la puissance de nos expertises métiers et technologiques combinées constituent des atouts majeurs. Ainsi renforcé, le Groupe se positionne résolument comme le partenaire stratégique de ses clients, à même de leur permettre de tirer tous les bénéfices du déploiement du cloud, de l’IoT, de l’Edge Computing, de l’Intelligence Artificielle et de la 5G. Je me réjouis d’accueillir au sein du Groupe les talents et les leaders d’Altran, qui partagent nos convictions et notre culture d’entreprise. » Capgemini se positionne ainsi sur toutes les facettes de l’IT, depuis le capteur au BigData, en passant par la l’externalisation de la R&D, l’usine 4.0, etc.
♦ Au cours de cette année, Atos (12,2 Mds€ en 2018 et 123 000 collaborateurs) qui a perdu Thierry Breton, son PDG pour cause d’Europe, s’est entièrement retiré du capital de sa filiale Worldline, pour se focaliser sur… la transformation digitale de ses clients. Maven Wave, sa dernière acquisition, modeste en terme de taille (330 collaborateurs et 130 M$ en 2019), est en revanche importante sur le plan stratégique.
« L’acquisition de Maven Wave, associée aux capacités issues de l’acquisition de Syntel en 2018, renforce notre position de leader mondial dans la fourniture de solutions Google Cloud. L’Amérique du Nord représente déjà la plus grande région pour Atos, et dispose désormais d’une puissante combinaison pour davantage accélérer la transformation de ses activités à mesure que nous approfondissons le développement et la mise à disposition des services numériques pour nos clients. Atos permettra également à Maven Wave d’étendre son excellence en Europe et dans d’autres régions du Groupe. Enfin, Maven Wave illustre parfaitement la stratégie d’acquisition de notre société, en renforçant l’expertise-clé du Groupe au service de l’accélération de notre croissance organique, » précise Elie Girard, directeur général d’Atos.
♦ Aujourd’hui, Sopra Steria c’est 4,1 Mds€ en 2018, plus de 45 000 collaborateurs dans 25 pays. Pour l’exercice 2019, le groupe vise une croissance organique annuelle de son chiffre d’affaires, à conditions de marché équivalentes, comprise entre 4 % et 6 %, un taux de marge opérationnelle d’activité de l’ordre de 10 % et un flux net de trésorerie disponible compris entre 5 % et 7 % du chiffre d’affaires. Le groupe de Pierre Pasquier met en œuvre un modèle original d’ESN et d’éditeur de ses propres solutions.
Le Projet Sopra Steria 2020 est lancé pour améliorer la performance du groupe dans tous les domaines et augmenter sa valeur ajoutée. L’acquisition de CIMPA en octobre 2015 permet d’intensifier sa présence sur le marché́ du PLM (Product Lifecycle Management). Après l’acquisition de l’éditeur Cassiopae, finalisée en janvier 2017, trois nouvelles sociétés rejoignent Sopra Steria en 2017 : Kentor, 2MoRO et Galitt. Courant 2018, le groupe acquiert la société allemande de services informatiques Bluecarat pour renforcer son positionnement en Allemagne et pour offrir de nouvelles opportunités de croissance à la filiale locale, ainsi que Sword Apak pour compléter son offre Crédits. En 2019, il réalise deux grandes avancées sur le marché du Core Banking : l’acquisition de SAB et le partenariat avec les Sparda-Bank en Allemagne qui lui permettent de construire une plateforme digitale pour 7 banques allemandes. Fin 2019, Sopra Steria renforce également son activité et consolide sa stratégie en lançant sa nouvelle marque de conseil en transformation digitale, Sopra Steria Next.
♦ Groupe Open (303,9 M€ et 3645 collaborateurs), l’un des pionniers de la transformation numérique, a subi de plein fouet, la pénurie des ressources en compétences qui a entraîné pour conséquence un recul du chiffre d’affaires 2019 de –3,9%. C’est assez rare dans le secteur, sachant que la plupart des prestataires ont progressé sur un marché en croissance de +3,1%.
« Cette contre-performance s’explique principalement par : la diminution du recours à la sous-traitance (mise en conformité) soit -7,1 millions d’euros sur l’année. Hors sous-traitance, la baisse du chiffre d’affaires aurait été de -1,9% ; un effet calendaire défavorable (-0,4%). Groupe Open a engagé depuis la fin d’année 2018, la refonte de sa politique Ressources Humaines mettant en œuvre des actions concrètes et efficaces vers ses candidats et collaborateurs pour attirer les talents, les intégrer dans de bonnes conditions et les fidéliser. Suite à ce plan d’actions d’envergure, Groupe Open constate une stabilisation de ses effectifs (hors Pays- Bas) au second semestre et finit l’année à 3247 collaborateurs productifs interne. » Pour les deux co-présidents, Frédéric Sebag et Guy Mamou-Mani, « bien qu’ayant encore un embarqué négatif qui devrait générer un chiffre d’affaires en baisse sur le 1er semestre 2020, les effets des actions déjà déployées, relatives à l’effectif productif (interne et sous-traitant) et au taux d’occupation, permettent d’obtenir la visibilité d’une forte amélioration des résultats 2020 par rapport à ceux de 2019. »
♦ Créée en 1990 sous le nom d’Europstat par Laurent Piepszownik, spécialisée en analyse statistique de données puis en décisionnel, Umanis (219,2 M€ en 2019 et 3000 collaborateurs) s’est positionnée sur la data, le digital et les solutions métiers.
Elle accompagne les entreprises sur la globalité de leurs projets informatiques (conseil, développement, intégration, info- gérance et conduite du changement) selon plusieurs modes d’intervention : la prestation sur site, le forfait et en centres de services. Au cours de l’exercice 2019, Umanis a réalisé 4 opérations de croissance externe : Contact Consulting, société de conseil en management et systèmes d’information, Océane Consulting Nord, ESN qui a permis de doubler le périmètre d’activité dans le nord de la France, le cabinet de Conseil Neonn, spécialisé dans le pilotage de la performance financière des grands groupes, et Ebiznext, société de conseil spécialisée en architecture des systèmes d’information et stratégie digitale.
Le Cloud computing
La transformation digitale passe obligatoirement par la migration vers le cloud de l’infrastructure informatique interne, que ce soit vers un cloud privé, hybride ou public.
En novembre dernier, le cabinet Gartner a publié son étude sur le marché mondial du cloud public évalué à 266,4 milliards de dollars en 2020, en croissance de 17% par rapport aux 227,8 milliards de 2018. L’IaaS (Infrastructure as a Service) connaît la plus importante croissance en 2020, dû à la consolidation des datacentres. Sur le marché du cloud, le SaaS (Software as a Service) est le segment le plus important depuis 2018 et ce, au-delà de 2022 certainement. Il est évalué à 116 milliards de dollars l’an prochain et 151,1 milliards de dollars en 2022.
Le deuxième segment de marché en importance est celui de l’IaaS qui atteindrait 50 milliards de dollars en 2020. L’IaaS devrait croître de 24 % d’une année sur l’autre, soit le taux de croissance le plus élevé dans tous les segments du marché. Viennent ensuite le BPaaS (Business Process as a Service) avec 46,9 milliards de dollars de revenus l’an prochain et près de 54 milliards de dollars en 2022, puis le PaaS (Plateform as a Service) avec 39,7 milliards de dollars de revenus en 2020 et 58 milliards de dollars en 2022, et enfin le Cloud Management & Security Services avec 13,8 milliards de dollars de revenus en 2020 et 17,6 milliards de dollars en 2022.
Le marché mondial est clairement dominé par trois prestataires américains que sont AWS (Amazon Web Services), Google Cloud et Microsoft Azure. Ces acteurs proposent non seulement une infrastructure mondiale permettant de déployer la même application à travers tous les pays de la planète, mais également beaucoup de services facilitant la migration vers le cloud et ce déploiement. L’envers de la médaille se trouve dans le Cloud Act qui permet à la justice américaine d’examiner les données qui sont hébergées dans les clouds des prestataires américains, ce, quel que soit le lieu géographique à travers le monde ! La parade au Cloud Act se trouve dans l’utilisation de clouds souverains, en France et en Europe. Godefroy de Bentzmann, président de Syntec Numérique et Pierre-Marie Lehucher, président de Tech’In France précisent : « L’ambition française en matière de souveraineté numérique et de Cloud doit se concrétiser au niveau européen, se traduire par un niveau d’exigence élevé en matière de normes et d’offre industrielle, tout en respectant les attentes du marché. »
Et surtout tirer les leçons de l’échec du projet Andromède, nom de code du tristement célèbre projet initial de « cloud souverain » lancé à l’initiative du gouvernement français en 2011 et qui a abouti à l’échec des deux acteurs Cloudwatt et Numergy dépositaires des 150 M€ de financement de l’État.
ROGER BUI, CEO IPRESSE.NET