Pour stocker ou analyser de plus grands volumes de données, le prestataire Cloud de proximité doit composer avec les géants du Cloud public, accessibles en débordement.
La mondialisation et la désintermédiation de l’économie s’appliquent naturellement aux infrastructures numériques. Disrupter ou être disrupté devient la règle du jeu. Elle s’applique partout, en particulier aux hébergeurs de proximité, confrontés aux services managés par les géants du Cloud computing, américains et chinois en tête.
Les hébergeurs régionaux peuvent-ils encore tirer leur épingle du jeu ? « La possibilité de se faire une place sur le marché est de plus en plus difficile, reconnait Hamid Medjahed, Cloud Solution Architect chez Prologue. Les géants du Cloud dominent un marché en forte croissance en offrant des services qui répondent à de nouveaux besoins informatiques, et surtout par leur énorme capacité d’investissement permettant d’accélérer la cadence d’innovations et de creuser l’écart avec la concurrence ».
Pour autant, les acteurs régionaux peuvent conserver une place de choix, à condition d’accorder toute leur attention aux besoins des clients : « Comme ils ne peuvent pas lutter de façon frontale avec les géants, ils doivent trouver leurs propres différenciateurs et offrir une alternative intéressante grâce à leur proximité. »
Accompagner les migrations
Une piste de salut passe par l’adoption d’une stratégie multicloud. Il s’agit de s’interfacer avec les géants mondiaux du Cloud et de compléter leurs offres respectives par un savoir-faire et des services de migration d’applications ou de sauvegardes multi-sites. Le prestataire régional peut servir un nombre croissant d’organisations déjà clientes de plusieurs solutions Cloud ; ce choix évite l’enfermement dans l’écosystème d’un seul et unique fournisseur d’infrastructures ou de services en ligne.
Suivre une stratégie multicloud procure d’autres opportunités à l’hébergeur, par exemple « offrir des services Cloud personnalisés, plus rentables, ce qui exige de bien comprendre les besoins des clients et d’élaborer une stratégie conforme à la réglementation locale », souligne Hamid Medjahed.
Paradoxalement, pour fidéliser les clients, il faut parfois leur permettre de migrer vers une architecture hybride, associant Cloud public et privé. Le prestataire local apporte un accompagnement technique régulier et l’assurance de pouvoir consommer les derniers services Cloud avec une faculté de débordement vers un ou plusieurs Cloud public.
Les GAFA ne peuvent pas encore rivaliser partout. « Partant du constat qu’un seul prestataire convient rarement à couvrir tous les besoins clients, les petits hébergeurs doivent trouver et conquérir les organisations où ils peuvent fournir des services à forte valeur ajoutée », recommande l’architecte de solutions Cloud de Prologue ; l’éditeur français accompagne plusieurs hébergeurs et opérateurs, dont Orange Business Services, partenaire d’Amazon Web Services et de Microsoft Azure, dans la construction de services Cloud de protection de données.
Masquer la complexité des infrastructures
« Les entreprises de taille intermédiaire expriment de plus en plus d’attentes avec des contraintes de disponibilité et de confidentialité des données. Cela ne les incite pas à aller vers le Cloud public », confirme Nicolas Leroy-Fleuriot, PDG de Cheops Technology, prestataire Cloud national comptant 450 collaborateurs et 13 agences en France.
L’hébergement de données personnelles ou confidentielles à proximité des sites de l’entreprise conserve un attrait, en particulier lorsque le prestataire n’est pas soumis au Cloud Act américain. Toutefois, face aux volumes croissants à archiver, les entreprises confient plus volontiers la sauvegarde de leurs fichiers et le débordement dynamique d’applications aux géants du Cloud.
En devenant un acteur multicloud, l’hébergeur régional parvient à masquer la complexité de chaque réseau soutenant les données et les applications des clients. Il s’appuie, par exemple, sur la solution Use IT Cloud de Prologue, pour garantir un suivi en temps réel des ressources Cloud déployées.
L’équipe technique compose souvent son propre jeu d’outils open source pour accélérer le déploiement des services, en suivant une chaîne d’intégration continue, qu’il faut maintenir et faire évoluer : « Les GAFA changent régulièrement leurs APIs, imposant de faire évoluer fréquemment l’outillage fonctionnel du portail Cloud hybride. Coûteuse en temps et en maintenance, la console d’administration unifiée n’est pas la panacée. Nous préconisons plutôt une stratégie de déploiement de la bonne application dans le bon Cloud au meilleur prix. Cela signifie qu’on ne déplace vers le Cloud public que ce qui a du sens à l’être, les autres services restant hébergés chez nous, où ils sont orchestrés par des outils open source d’automatisation tels Ansible et Nagios pour la supervision », précise le leader de Cheops.
La proximité des serveurs et celle d’ingénieurs experts en infrastructures à tarif sage forment les valeurs clés de l’hébergeur régional pour monter en compétences et fidéliser ses clients, à mesure qu’on lui confie l’infogérance d’applications plus critiques.
L’infogérance d’applications critiques
Ainsi les clients de Cheops Technology retiennent-ils volontiers l’externalisation de données massives via SAP Hana, ou évaluent-ils le Cloud sur AS/400, des configurations que l’on ne rencontre pas chez les géants du Cloud. « Nous concentrons notre positionnement sur la personnalisation d’environnements et les technologies Cloud en adéquation avec les attentes de nos clients. Deux clients sur trois signent un contrat de maintien en conditions opérationnelles poussé jusqu’à la performance applicative, ce que les CSP (Cloud Service Providers) mondiaux ne proposent pas », distingue encore Nicolas Leroy-Fleuriot.
Cette personnalisation de l’offre externalisée passe par une négociation fine sur des critères précis d’engagement de services, avec parfois des unités d’œuvre métiers rendant prévisibles les dépenses du client : « L’abonnement peut être fixé en fonction du nombre de magasins équipés et selon le nombre d’employés de chaque point de vente », illustre le manager. Au-delà de la mise en production des machines virtuelles, Cheops procure des outils de pilotage des ressources consommées.
Offrir un site complémentaire à l’entreprise
« La colocation est une activité régionale qui exige des interventions de maintenance très rapide », renchérit Nicolas Aubé, le fondateur et PDG de Celeste. Cet opérateur indépendant dispose d’un datacenter à Champs sur Marne et expérimente, sous les vignes de Saumur, le centre de données souterrain avec récupération de chaleur.
« L’offre de colocation n’existe pas chez les GAFA. Les métiers et les serveurs que nous hébergeons sont d’une grande diversité qui se reflète dans une centaine de nos baies. Notre métier consiste à proposer un datacenter efficace, à être capable de fournir l’espace, la sécurité, le réseau et l’énergie. C’est un site essentiel pour l’entreprise. D’ailleurs tous nos clients hébergés optent aussi pour une offre fibre optique, fournie par Celeste ou par un autre opérateur. »
Ce site complémentaire, dédié à la protection des données et des applications, sert fréquemment à la reprise d’activités en cas de sinistre ; il devient parfois même le site principal du système d’informations de l’entreprise. « Les entreprises veulent une garantie de temps de rétablissement et aussi un site de confiance, à la fois durable et économe en énergie. Je note une réelle prise de conscience par rapport à la consommation d’énergie du numérique », poursuit le fondateur de Celeste. Il entend former une offre nationale dans plusieurs régions d’ici à la fin 2020, à l’aide d’acquisitions ou de partenariats, pour devenir le premier opérateur dédié des PME et des ETI françaises.
Le Cloud détruit les intermédiaires
Les intermédiaires du Cloud sont-ils dans une position durable ? « Progressivement, tous les services sont orchestrés par des programmes informatiques. Du coup, les baronnies disparaissent. Elles sont perturbées, puis éliminées le plus souvent par une plateforme numérique », observe Sami Slim, Deputy Director de Telehouse France. Ce prestataire d’infrastructure, d’origine japonaise, encourage des connexions directes entre l’informatique d’entreprise, celle des partenaires et des clients : « il n’y a plus de raison de faire de nombreux sauts sur Internet, chacun étant exposé aux cyberattaques. Notre datacenter TH2 du boulevard Voltaire à Paris est le principal nœud de réseau national. Nous louons des racks ultra-connectés avec un écosystème d’opérateurs et de prestataires Cloud. L’entreprise rejoignant TH2 devient un voisin de l’écosystème ; ses services en ligne sont hébergés à moindre coût et dégagent moins de CO² », avance-t-il.
De grands clients internationaux se rallient aux grands Cloud providers, faisant peu de cas des intermédiaires locaux, constate Arnaud de Bermingham, le CEO de Scaleway (groupe Iliad/Free) : « Je pense qu’il y aura de moins en moins de clients en colocation qui gèreront leurs propres infrastructures. C’est un métier en voie de disparition. Un métier qui aura disparu dans les cinq à dix années qui viennent. Les acteurs régionaux devront lutter pour survivre. Nous y contribuons en développant notre écosystème et l’ensemble des produits répondant à une logique multicloud ».
Pour une exploitation pratiquement sans sous-traitance, l’équipe Scaleway s’entoure de référentiels et d’automatismes : « Nous gérons plus de 100 000 serveurs pour les besoins internes du groupe. Et nos datacenters sont commercialisés en colocation, plus de 300 clients nous confiant leurs serveurs et équipements répartis sur plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés. Nous devons accepter des serveurs très hétérogènes pour nos clients qui envoient des techniciens, lesquels commettent parfois des erreurs lors d’interventions avant que cela ne nous revienne. On s’est inspiré des erreurs habituelles vues depuis 20 ans sur nos sites, pour une nouvelle conception de site avec une simplicité extrême ». Scaleway accompagne ses clients dans leur démarche d’industrialisation, avec un ensemble d’API, de processus et d’outils novateurs, focalisés sur l’automatisation du datacenter, deux innovations faisant même l’objet de brevets internationaux.
Nouvelles fabriques de données
« L’usine numérique est avant tout une fabrique de données. La proximité des utilisateurs devient intéressante avec le big data, l’IoT, et l’edge computing. Ces projets nous permettent de gagner des affaires », signale Anwar Saliba, le directeur général adjoint d’Euclyde. Il désigne, en particulier, les algorithmes d’IA et les calculs menés en temps réel comme les derniers transformateurs du paysage des traitements distribués.
Toutes les applications en ligne n’ont pas un rayonnement mondial, nuance-t’il aussitôt. « L’edge computing ré-équilibre des charges applicatives vers les datacenters régionaux, Pour l’analyse de données provenant d’objets connectés, l’entreprise retient à la fois la plateforme d’un grand Cloud et héberge les données brutes chez un prestataire local où des pré-traitements sont effectués. L’hébergeur de proximité fait partie de la chaîne de services Cloud. C’est le cas aussi de notre offre Cloud Connect, où nous servons de passerelle vers un Cloud public. »
Des applications en transition vers le Cloud
Progressivement, les stations de base des réseaux mobiles gagnent en intelligence, devenant à leur tour des micro-datacenters de proximité, dont la portée reste faible mais avec un délai de latence réduit – inférieur à 5 milli-secondes. Dans le même temps, la distribution des traitements professionnels évolue, à mesure que les applications basculent vers le Cloud computing, vers les plateformes délivrées en tant que services, et vers les logiciels SaaS.
Une nouvelle segmentation des centres de données apparaît, où l’hyperscaler fournit de larges capacités de calcul et de stockage, tandis que l’edge datacenter s’apparente à un centre de taille moyenne, proche d’usages exigeants. Les prochains usages 5G devraient multiplier les eNodes, de véritables datacenters placés sous les stations de base mobiles, avec des serveurs capables de piloter les interactions et quelques calculs localement, tout en servant de courroie de transmission aux objets connectés.
Ikoula anticipe l’optimisation financière
Un nouveau métier apparaît avec l’externalisation IT : « Le FinOps optimise les coûts d’infrastructures des grands groupes. Résultat : ceux qui ont migré vers un GAFA sortent leur cœur de business du Cloud public », constate Jules-Henri Gavetti, le PDG d’Ikoula qui propose Kubernetes pré-installé pour l’orchestration de micro-services. Comment en est-on arrivé là ? Chaque service déversait ses charges de travail dans le Cloud où les fichiers sont dupliqués pour des analyses et des sauvegardes. « Extraire 50 To d’un stockage S3 coûte cher – la facture grossit avec le trafic réseau et devient imprévisible. Je vois toujours une appétence pour la souplesse du Cloud, seulement si on l’accompagne d’une maîtrise des coûts. Notre offre FlexHQ englobe une VM répliquée sur site distant, une couche d’infogérance, un interlocuteur unique chez Ikoula, le tout pour un prix maîtrisé. »