Des patrons d’entreprises numériques européennes comme Spotify, Booking.com ou Zalando ont exprimé leur “grave préoccupation” face à la taxe sur les géants du numérique que l’Union européenne tente de mettre en place, dans une lettre aux ministres des Finances européens rendue publique mardi.
Cette mesure “causerait un préjudice matériel à la croissance économique et à l’innovation, à l’investissement et à l’emploi dans toute l’Europe“, écrivent les dirigeants de 16 entreprises. Selon eux, la taxe proposée “a été conçue pour les grandes entreprises très
rentables, mais elle aura un impact disproportionné sur les entreprises européennes, ce qui entraînera un traitement injuste“.
La proposition actuellement en débat, présentée en mars par la Commission européenne, vise essentiellement les géants américains du numérique comme Google, Apple, Facebook et Amazon, alias les Gafa. Elle prévoit la mise en place rapide d’une taxe de 3 % sur les revenus tirés de certaines activités (publicité ou revente de données personnelles), le
temps qu’une solution soit négociée à l’échelle mondiale au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
La France, à l’origine de cette proposition, espère que les autres pays européens l’approuveront d’ici la fin de l’année. Mais certains Etats membres restent opposés à ce projet, comme l’Irlande où plusieurs géants du numérique ont installé leur tête de pont européenne. Cette taxe ne vise que les groupes dont le chiffre d’affaires annuel mondial s’élève à plus de 750 millions d’euros et dont les revenus dans l’UE excèdent 50 millions d’euros, ce qui est le cas de certaines entreprises signataires de la lettre.
Du capital en moins pour réinvestir
“La plupart des jeunes entreprises et des nouvelles entreprises comptent sur leurs revenus pour croître et se développer“, expliquent les dirigeants européens dans leur courrier, également signé par les patrons du site de voyage en ligne eDreams ou Rovio, l’éditeur finlandais d’Angry Birds. La taxe proposée “priverait ces mêmes entreprises d’une source essentielle de capital à réinvestir dans leur croissance“, ajoutent-ils. En outre, la proposition de Bruxelles soulève selon eux “des questions juridiques, techniques et politiques multiples et graves“. “Nous reconnaissons les préoccupations publiques et politiques et sommes prêts à contribuer à la réforme des principes fiscaux internationaux afin de garantir une fiscalité équitable dans une économie mondiale numérisée“,
précisent-ils également.
“Nos propositions sont neutres en termes de nationalité et d’entreprise“, a réagi mardi un porte-parole de la Commission européenne. “Notre objectif est d’assurer des conditions de concurrence équitables pour toutes les entreprises, qu’elles soient basées dans l’UE, non basées dans l’UE, petites ou grandes“, a-t-il ajouté. Sous la pression de Paris, les ministres européens doivent à nouveau débattre de cette taxe lors d’une prochaine réunion à Bruxelles le mardi 6 novembre.
Au Royaume-Uni, le ministre britannique des Finances, Philip Hammond, a, lui, annoncé lundi la création d’une taxe similaire. Ce nouvel impôt ciblera à partir de 2020 l’activité générée sur le sol britannique par ces groupes, qui seront taxés à hauteur de 2%.
“We will now introduce a UK Digital Services Tax.
…It will be carefully designed to ensure it is established tech giants – rather than our tech start-ups – that shoulder the burden of this new tax.” #Budget2018 pic.twitter.com/h2hKxMrO1Y
— HM Treasury (@hmtreasury) October 29, 2018
Forte préoccupation de Washington
Dans un communiqué jeudi 25 octobre, le secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin exprimait sa forte préoccupation, estimant qu'”une taxe devrait être basée sur les profits et non les ventes et ne devrait pas cibler une industrie spécifique par un impôt selon une norme particulière“. Il exhorte les partenaires de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à “travailler” sur ce sujet avec les Etats-Unis “plutôt que de prendre une initiative unilatérale sur la question“. “Venant de l’administration Trump cela ne manque pas de sel“, a répliqué le ministre français des Finances, Brunos Le Maire, lors d’un discours à Paris au dixième dîner international de l’assurance, en allusion aux différentes mesures unilatérales prises par le gouvernement américain. “Je ne vois pas pourquoi nous n’aurions pas le courage de mettre en place de manière souveraine et libre cette taxe sur les géants du numérique“, a-t-il affirmé…