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L’automatisation au cœur de la gestion documentaire

Les grandes avancées de l’automatisation proviennent de développements réalisés par l’industrie du document électronique. Elles profitent aujourd’hui des technologies de RPA et d’IA pour mieux maîtriser le cycle de vie des documents.

« Le Deep Learning a cela d’étrange :
tant qu’on ne l’a pas mis en œuvre on n’est pas certain du résultat. »

Jean-Jacques Bérard, Esker

 

 

« Le deep learning donne d’excellents résultats pour des problèmes qui n’ont pas de solution algorithmique parfaite mais pour lesquels on dispose d’une multitude de cas résolus. Les concepts et algorithmes sont anciens mais l’émergence de cartes graphiques surpuissantes combinées à d’immenses volumes de données a permis dès 2012 de battre les meilleurs algorithmes conventionnels dans la reconnaissance d’images », explique dans une tribune Jean-Jacques Bérard, vp R&D chez Esker.

Tout est dit dans ce court passage : il fallait la disponibilité conjointe d’énormes quantité de données et de capacités de traitement pour que les solutions d’auto apprentissage fleurissent précisément aujourd’hui, alors que leurs programmes était déjà conçu il y a une cinquantaine d’années. On cherchait alors à automatiser le processus d’enregistrement de l’information visuelle en mettant au point le traitement de texte avant de favoriser l’émergence du document numérique. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de la programmation, le document apparaît comme un objet manipulé à des fins algorithmiques. En point d’orgue, l’apparition de la notion d’hypertexte dans les années 1960 jette les bases d’un couplage entre un ensemble de ressources documentaires et un ensemble de connaissances lié à ces ressources par un mécanisme d’ancrage. Plus tard, la percée du langage SGML structure l’usage du document électronique. Tim Berners-Lee en met au point une version simplifiée qu’il baptise HTML, et qu’il va exploiter pour relier entre elles les ressources de l’hypertexte universel, autrement dit le Web.

La GED a façonné l’automatisation des processus documentaires

A travers de multiples niveaux de structuration, processus et document forment un couple aussi âgé qu’indissociable. La notion de processus documentaire s’est imposée très tôt. La numérisation, l’indexation, le classement, l’intégration au SI, le stockage, la recherche, l’extraction, le partage, l’archivage et la destruction des documents forment ce processus, et constituent un cheminement de la donnée qu’il a fallu contrôler et optimiser. « L’automatisation des processus documentaires c’est l’histoire de la GED. Nous vivons aujourd’hui une évolution de cette automatisation avec de nouveaux niveaux de services. Cette évolution se fait à la faveur de l’état de l’art des technologies et de la puissance machine disponibles sur le marché. Des innovations émergent dans le monde de la gestion documentaire mais elles ne font qu’en compléter d’autres qui ont vu le jour il y a déjà très longtemps », souligne Noureddine Lamriri, VP Product Management chez Everteam.

« L’IA est vendue comme une approche magique, mais on peut être déçu car cela nécessite un travail de conception qui peut générer des erreurs dans un premier temps. »

Noureddine Lamriri, Everteam

 

On se souvient par exemple de l’apparition des bannettes électroniques dont l’objectif était de reproduire numériquement la distribution manuelle du courrier dans les entreprises. Ces offres perdurent mais ne représentent aujourd’hui qu’un maillon d’une chaîne de traitement du courrier que les organisations cherchent à rationaliser dans son intégralité. Cela vaut pour toute autre activité. Lorsqu’une entreprise maîtrise ses processus documentaires, elle en connaît les atouts mais aussi les contraintes qui, souvent, correspondent aux actions manuelles. C’est pourquoi le BPM (business process management) a été largement exploité dès les années 2000 pour substituer une machine à une personne et automatiser autant que possible les étapes d’un processus métier. Les spécialistes en ont alors fait une brique générique capable de s’interfacer avec n’importe quelle application et émuler un enchaînement d’étapes. Mais, en se cantonnant à la performance et à la standardisation, ces outils ont montré leurs limites. « Le BPM a évolué vers le case management, une autre manière de traiter l’automatisation des processus avec plus de flexibilité. Aujourd’hui le business, c’est la réactivité et la capacité à traiter les cas particuliers. La rigidité du BPM n’est plus adaptée aux besoins du marché, sa démarche est trop structurante alors que les process de l’entreprise évoluent de leur côté en fonction des attentes des clients et du marché », estime Jean-Louis Sadokh, membre du conseil d’administration du groupe T2i.

« Nous ne parlons pas de BPM de RPA ou d’IA mais plutôt de processus de gestion automatisée. »

Jean-Louis sadokh, T2i

 

Automatiser de bout en bout pour optimiser le ROI

Quelles que soient les applications transverses ou métier concernées, les organisations cherchent à établir une gouvernance dans laquelle se mêlent approche globale des projets, déploiement progressif des solutions, agilité des processus, rationalisation des métiers. L’automatisation leur fournit un terrain de développement prometteur. « L’automatisation est l’addition des trois technologies complémentaires BPM, RPA et intelligence artificielle. Le BPM, c’est la gestion des processus métiers. Mais lorsqu’on parle de RPA, robotic process automation, le process est considéré comme un traitement automatisé, robotisé. On a donc d’un côté des processus et de l’autre des tâches. L’intelligence artificielle a quant à elle la capacité de réaliser des apprentissages à partir d’observations ou de jeux d’exemples. Le volet intelligent vient du fait qu’on utilise des réseaux de neurones qui ont des fonctionnements inspirés de ce qu’il se passe dans un cerveau humain, mais évidemment ça n’a rien d’intelligent », résume François Bonnet, responsable marketing produit chez Itesoft.

« Archivage et automatisation facilitent la traçabilité. L’un des objectifs de l’automatisation du processus métiers est de savoir qui a fait quoi, quand et sur quelles données. »

François Bonnet, Itesoft

 

« L’automatisation documentaire a vu le jour avec l’équipement des scanners industriels de modules de LAD RAD pour automatiser l’extraction d’information. Elle se poursuit avec la RPA qui consiste à alimenter les systèmes d’information de manière automatique. Rien n’est nouveau dans cette approche si ce n’est qu’on essaye aujourd’hui de réaliser cette automatisation de bout en bout avec cohérence, car on se rend compte qu’on décuple les gains et le ROI quand les automatismes touchent tous les maillons de la chaîne plutôt qu’un seul », indique pour sa part Pascal Robert, directeur pôle automatisation et robotisation chez Docapost.

Alors qu’une DSI ne considère jamais la supervision des traitements back office du document comme prioritaire, la valeur ajoutée des solutions d’ECM réside dans leur capacité à gérer des processus métiers. L’automatisation fournie par de telles applications est un précieux levier de productivité. Elle s’établit d’abord à travers les briques de capture, OCR, LAD et RAD, pour piloter ensuite la GED et l’archivage. Toutes ces opérations reposent sur les moteurs de workflow et, désormais, de RPA associés à chacune des briques.

Cela facilite l’automatisation lorsqu’une plateforme unique fournie par un prestataire gère de bout en bout les processus documentaires, mais se révèle plus ardu à coordonner quand les briques sont issues de différents éditeurs et qu’il existe en plus un gestionnaire de processus interne.

Une automatisation facilitée

« Si le SI de l’entreprise possède déjà un chef d’orchestre de processus en interne, celui-ci peut souvent automatiser des processus documentaire, mais les coûts sont problématiques car de grosses composantes du SI sont activées… Pilotée depuis la RPA, la capture ou la GED peut se révéler bien plus agile pour gérer un bout de processus.
À l’intérieur d’un processus global, la gestion des processus documentaires devient alors un sous-processus parmi d’autres », explique Xavier Davila, directeur du pôle Capture et RPA chez Arondor. Une GED peut toutefois se transformer en pivot à partir duquel le pilotage de différents processus devient possible. « Les entreprises voient souvent la GED à côté du BPM et du workflow, mais cette GED possède son propre modeleur graphique de processus, elle peut prendre en charge la dématérialisation d’un document de bout en bout, depuis un scan, un OCR ou un module de LAD RA, puis le ranger automatiquement au bon endroit et spécifier une date limite à partir de laquelle le document sera archivé », illustre Stéfan Recher, VP sales Continental Europe chez M-Files.

« L’IA sert à valoriser les contenus et les informations dormantes et à augmenter la productivité des utilisateurs métier. »

Stéfan Recher, M-Files

 

Transposer les processus et les optimiser

Les factures, les documents RH et les contrats figurent en tête des processus documentaires dont les entreprises souhaitent automatiser la gestion. Les volumétries importantes et les étapes de traitement chronophages sont également ciblées. Les priorités s’établissent aussi selon les spécificités des métiers et en fonction de l’aspect stratégique des documents sur les plans réglementaire et législatif. Dans tous ces projets, le degré d’automatisation et l’ampleur de transformation des processus ne vont pas nécessairement de pair. « On transpose d’abord des processus manuels à isopérimètre de manière numérique. Par exemple, plutôt que de passer par du papier, du scan et de la transmission en pièce jointe, on cherche à exploiter un document électronique ou un formulaire en ligne pour faire en sorte que les différentes étapes de validation passent entre les mains des mêmes personnes. Les entreprises ont aujourd’hui une bonne perception de ce qu’elles peuvent réaliser en matière de dématérialisation des processus même si pour beaucoup d’entre elles se pose encore la question du dernier chaînon, la signature.

Lionel Lemoine

La seconde phase, c’est l’optimisation qui peut amener à faire évoluer le processus en changeant ses règles de validation et d’approbation pour le rendre encore plus efficace », indique Lionel Lemoine, responsable avant-vente chez Adobe.

Le numérique est-il soluble dans tout type de processus documentaire ? Les spécialistes sont plutôt unanimes, que l’entreprise soit rompue à l’utilisation des nouvelles technologies ou qu’elle n’ait pas encore entamé sa transformation numérique, l’automatisation est un atout pour tous les projets. « Avec le numérique, on peut réaliser exactement la même chose que ce qui est fait habituellement, mais évidemment sans erreur, beaucoup plus vite et sur une volumétrie plus grande. Le processus par lui-même n’est pas changé », estime Eric Adrian, directeur général de UiPath France. L’automatisation représente un investissement mais les prestataires promettent un ROI rapide. Le plus connu est celui de la facture dont les coûts de traitement peuvent être divisés par 8 en l’espace de quelques mois. C’est un bon début qui a permis aux organisations de mettre le pied à l’étrier. Celles qui ont passé le cap cherchent à actionner d’autres leviers de performance là où toutes les activités métier le permettent, mais l’entreprise totalement dématérialisée et robotisée n’est pas encore une réalité.

Faire confiance à la technologie

« Les clients ont besoin d’apprendre à faire confiance à la technologie, l’automatisation ne concerne souvent que 2/3 des flux parce que l’humain a encore besoin d’intervenir sur les documents problématiques. Dans les années 90, l’EDI, qui véhicule un flux 100 % numérique, promettait un monde sans intervention humaine, mais encore aujourd’hui ce n’est pas le cas car il faut régler sans cesse des problèmes », indique Jean-Jacques Bérard. Cette forme de défiance explique pourquoi la plupart des projets voit le jour d’abord sous forme de PoC. Une façon de lever les craintes et de s’approprier en douceur la technologie. « On n’automatise jamais 100 % d’un processus, c’est par exemple le cas de la signature électronique où le parapheur nécessite toujours une intervention humaine de validation. L’automatisation de processus demande un peu d’accompagnement et de conseil, mais l’objectif est de s’adapter au mode de fonctionnement de l’entreprise. Ce qui n’empêche pas de trouver d’autres approches et de retoucher les processus en place, tout en étant alors capable de démontrer la valeur ajoutée du déploiement de la solution. Le processus d’onboarding, qui aide un nouvel employé à trouver sa place dans un parcours d’intégration pour faire pleinement partie de l’entreprise, en est une bonne illustration », souligne Emmanuel Faure, directeur du marketing de Locarchives.

« À travers l’analyse sémantique, l’IA peut optimiser la gestion des données structurées et non structurées, par exemple la gestion de l’archivage des e-mails. »

Emmanuel Faure, Locarchives

La signature électronique est elle aussi emblématique des progrès réalisés en matière d’automatisation, en particulier lorsque le processus est alimenté en données par des formulaires ou des applications tierces pour intégrer ensuite d’autres workflows. « Il y a dans les documents PDF et les contrats des informations à extraire et des automatisations à réaliser, par exemple des actions de paiement. Les données sont alors exposées à des API pour construire des intégrations de bout en bout. On peut ajouter plus d’intelligence dans ces process avec les smart contrats qui présentent plus d’autonomie pour exécuter des clauses en se connectant à des systèmes internes ou externes à l’entreprise, par exemple pour valider la météo ou les cours de bourse, et, en fonction de ces données, ajuster eux-mêmes l’exécution du processus », explique Olivier Pin, directeur général de DocuSign.
Un tel projet s’appuie sur une gouvernance fine des données et une gestion sans faille des accès.
L’intelligence des traitements détermine quant à elle l’efficacité des interactions de l’entreprise avec ses clients, ses partenaires et ses collaborateurs. La RPA et l’IA entrent alors en jeu.

La fluidité pour la RPA, la gestion du risque pour l’IA

« La RPA permet de s’interfacer avec des portails web, par exemple pour automatiser la prise de commande. On peut la considérer comme un moteur de macros exécutées sur des pages Web, mais cette robotisation demeure bête et s’arrête au moindre problème. Le stade suivant est de passer à la cognitive RPA », indique Eric Adrian. « L’intelligence n’est pas dans la RPA, dont l’objectif est de fournir un gain de productivité. Mais la RPA sait rendre faisables des choses qui ne l’étaient pas, par exemple mettre en relation des SI différents, notamment de vieux environnements en cobol ou fortran, les connecter à des Web services et les alimenter. Pour soulager les back offices, un robot RPA sait aussi fournir une vue à 360° des SI », souligne de son côté Pascal Robert.

L’émergence de la RPA profite de la numérisation des entreprises autant que de la lourdeur et de la complexité du legacy. « Après une vague d’industrialisation de la production informatique, les grands groupes ont voulu refondre leur SI. Ce qui était impossible face à la lourdeur et la complexité de tels systèmes. Aujourd’hui, ces entreprises dépendent encore d’applications de production et métiers parfois anciennes (certaines tournent toujours sur mainframe IBM) et d’une grande diversité : client-serveur, traditionnelles sur Windows et dans le Cloud. Quand une entreprise décide d’extraire des données de cette multitude d’applications, la façon la plus agile de le faire avec des processus fluides s’avère la RPA » indique, Pierre Col, chief marketing officer chez Contextor.

« Les concepteurs de la RPA se mettent à la place de l’utilisateur final. Ils rajoutent par petites touches
des éléments d’automatisation dans l’environnement de travail. »

Pierre Col, Contextor

Quant à l’IA, elle se fonde sur ses algorithmes d’autoapprentissage pour enrichir l’automatisation d’un système expert capable d’identifier les documents, de les affecter dans les bonnes catégories et de rendre autonome leur cycle de vie, à condition de pouvoir travailler sur des données qualifiées. Les technologies sont au point, encore faut-il les vendre aux entreprises, en parlant gestion du risque et gain de productivité. « Pour le risque, il s’agit de conformité et de litige. Pour respecter le RGPD, la détection de données personnelles dans un document facilite la mise en conformité. Lors d’un litige, l’IA accélère la recherche de documents, soit en étendant le champ des données analysées, soit en créant des relations automatiques entre ces données, des relations ontologiques, sémantiques et de sens qui se substituent à l’analyse intellectuelle d’une personne qui ferait une recherche documentaire fine. Mais, souvent, le risque n’est pas assez important pour déclencher un investissement. Il faut alors mettre en avant le gain de productivité, par exemple le contrôle automatique de la conformité en s’appuyant sur des référentiels documentaires, une vérification réalisée sur les métadonnées structurées mais aussi sur le contenu non structuré. Autres exemples, l’IA peut s’assurer qu’un document reçu est bien celui qu’on attendait en s’appuyant sur le champ sémantique des documents, ou encore réaliser le typage automatique d’un document dans un fond documentaire volumineux ou des corpus documentaires abandonnés. Les entreprises possèdent une masse énorme de documents à la dérive, dans la messagerie, les outils de stockage et de synchronisation dans le Cloud, les disques réseau et les RSE. Avec l’IA, elles peuvent se réapproprier leur corpus en passant d’un traitement documentaire qui aboutit à la constitution de silos à une gouvernance d’un capital informationnel plus transverse », explique Noureddine Lamriri.