L’ERP qui centralise un grand nombre de données, qu’il crée lui-même ou via des produits auxquels il s’est ouvert, permet aujourd’hui de gagner en analyses et en recommandations pour les métiers. L’ERP, loin d’être mort, devient le socle indispensable à la transformation numérique des entreprises.
Seules les entreprises qui transforment leur activité en profondeur savent mener la disruption numérique, conclut une étude mondiale menée par Infosys. Cela passe par la modernisation de leurs systèmes informatiques et de leurs ERP, offrant ainsi des fondations technologiques solides.
L’ERP, la solution nécessaire pour une transformation numérique réussie de l’entreprise ? Patrick Rahali, Director and Market Leader ERP chez CXP, cabinet européen indépendant d’analyse et de conseil, l’affirme : « L’ERP doit être capable de permettre la transformation de l’entreprise : nouveaux business models, nouveaux services… ». Mais encore faut-il qu’il soit à la hauteur. Il lui faut « être suffisamment ouvert » ou encore capable de « s’interfacer avec des outils de collecte (des objets connectés par exemple) pour traiter de grands volumes de données », complète le responsable.
Un ERP ouvert
« Il y a actuellement deux types d’ERP. D’un côté, les “anciennes générations” et de l’autre ceux dits “intelligents”, soit intégrant de l’IA, de l’analyse prédictive, etc., soit très ouverts vers l’extérieur, pour interagir avec l’IoT et des solutions dédiées, ce qui leur permet d’être plus performants et productifs », renchérit Ahmed Mahcer, président du Directoire de TVH Consulting, intégrateur indépendant de solutions ERP Microsoft et SAP (lire l’Avis d’Expert – « L’ERP a besoin d’une nouvelle approche »). Sans un ERP solide et moderne, comment une coopérative agricole et ses adhérents agriculteurs pourraient-ils utiliser l’IoT sur les tracteurs ou des drones de cartographie des parcelles et faire remonter automatiquement des informations dans l’ERP pour suivre les consommations d’engrais ou encore de produits phytosanitaires ? Comment, sans un ERP doué d’intelligence artificielle, une entreprise de l’agro-alimentaire, pourrait-elle à partir des données récoltées auprès de ses utilisateurs finaux tirer des tendances pour proposer de nouvelles gammes de produits, et être ainsi en avance sur ses concurrents ? « On voit déjà des solutions pour la maintenance industrielle, prédictive, avec des liens automatisés vers les ERP pour pouvoir déclencher une intervention. Ou encore l’utilisation du Machine Learning pour analyser des données, des tendances et pouvoir ajuster en temps réel des informations », explique ainsi le responsable. Fred Jacquet, Product Marketing Manager chez Sage, donne lui l’exemple d’une entreprise qui, à partir de signaux démontrant qu’un client qui payait bien jusqu’à présent allait être en rupture de paiement, pouvait anticiper le risque…
« Nous avons l’ambition de mettre sur le marché le premier “hands free ERP”, un ERP sans les mains. »
Arnaud Merlet, directeur des Opérations, SAP France
Cloud et objets connectés
Selon IDC, les revenus générés par les logiciels d’ERP – avec un taux de croissance annuel moyen de 4,7 % sur 4 ans – passeraient de 3 121 M€ en 2017 à 3 927 M€ en 2021 en France. L’an passé, l’ERP pesait 27 % du marché du logiciel en France. Parmi les segments les plus dynamiques, on note un taux de croissance annuel moyen entre 2017 et 2021 de 9,6 % pour la gestion des achats, de 8 % pour la gestion de projets, de 7,1 % pour la gestion des actifs, et de 7 % pour la performance financière. Les logiciels ERP SaaS enregistrent une croissance de l’ordre de 15,4 %, les logiciels ERP on-premise, quant à eux, ne dépassent pas les 1,6 % de croissance sur la même période. « L’ERP en mode SaaS est toujours très plébiscité par les entreprises. Cependant, avec l’avènement du Cloud, un autre choix se propose à elles : faire basculer leur logiciel de gestion vers le Cloud. Qu’il soit privé, public ou hybride, les prestataires proposent en général toutes les solutions d’hébergement afin de satisfaire les différents besoins des entreprises en fonction de leur volume de données ou de la sensibilité de celles-ci, par exemple », indique Manon Ribes, responsable marketing chez Celge, un comparateur en ligne de logiciels ERP, CRM et autres solutions de gestion.
Quels grands éditeurs ne poussent pas les versions Cloud auprès des clients ? « L’effort et la stratégie d’orientation d’Oracle porte sur toutes les solutions Cloud, indique Patrice Barbedette, vice-président Digital Finance & Supply Chain Southern Europe d’Oracle. Gartner nous positionne d’ailleurs avec notre ERP Cloud comme le leader de ce marché ». SAP va, lui, réaliser cette année la moitié de son chiffre d’affaires, avec ses solutions basées sur le Cloud, affirme son CEO Bill McDermott. En France, l’éditeur espère le même résultat en 2019, indique Arnaud Merlet, directeur des Opérations, SAP France. Patrick Rahali confirme l’intérêt du Cloud pour les entreprises : « Le Cloud fait partie des enjeux les plus importants, à l’heure où l’entreprise doit aller vite (fast IT) dans ses projets d’évolution. » Une solution Cloud signifie standardisation et simplification – et donc rapidité et agilité – ainsi que réduction des coûts, comme le souligne Patrice Barbedette, Oracle proposant une solution « complètement Cloud public et d’un seul bloc, unique ».
Ainsi, pour reprendre l’exemple de maintenance prédictive cité plus haut, le Cloud s’avère un modèle de plus en plus prisé pour répondre aux nombreux enjeux que soulèvent les projets d’objets connectés. Les porteurs de tels projets interrogés par Markess dans son étude “Le Cloud au service des objets connectés & de l’IoT : Projets & tendances 2020”, en sont convaincus. Plus de 90 % d’entre eux comptent recourir au Cloud d’ici à 2020. Ils évoquent plusieurs raisons majeures, à commencer par la communication des objets connectés avec d’autres environnements du système d’information. A leurs yeux également, l’analyse des données en provenance d’objets connectés permet de garantir la puissance de traitement nécessaire pour analyser des données à la volée, en volume et en temps réel. La société Engie Axima combine ainsi le Cloud et l’analyse de big data (elle utilise la plateforme Cloud public Cloudwatt d’Orange) pour prédire les pannes de ses installations techniques et réduire les coûts d’exploitation associés. Le Cloud permet aussi l’accès à des jeux d’API pour interconnecter les services applicatifs entre eux.
André Brunetière, directeur R&D et Product Management chez Cegid, qui vient de racheter l’éditeur français d’ERP Qualiac, nous explique sa vision de l’ERP intelligent, ou plutôt comment l’ERP rend intelligent les outils auxquels on le connecte : « Il y a 4/5 ans, certains disaient que l’ERP était mort. Ce qui est mort, c’est une certaine idée de l’ERP, celui qui va tout gérer, avec une seule base de données ». Ce qui est devenu impossible, avec des produits « compliqués à paramétrer et à utiliser, et avec toujours un temps de retard au regard de l’adaptation permanente des processus de l’entreprise ». Par ailleurs, selon le responsable, comment imaginer qu’un ERP puisse à la fois gérer les processus de tant de sociétés opérant dans des secteurs différents : transport, retail, agricole, etc. ? « L’ERP devient la plaque tournante d’un certain nombre de données et de processus, mais dans une logique d’ouverture à d’autres données et sources de traitement », que l’on va retrouver dans des produits spécialisés dans un domaine vertical d’industrie ou dans une fonctionnalité très précise. L’ERP travaille aujourd’hui « avec un environnement tiers et varié », résume-t-il. « Nous avons chez Cegid ces noyaux centraux, celui de Qualiac qui va plutôt adresser le haut du marché des entreprises et organisations publiques, et notre approche Y2 (NDLR : solutions de gestion Cloud), qui lui adresse le monde des moyennes et petites entreprises. »
Valoriser la donnée
Les entreprises s’interrogent, et éditeurs et intégrateurs cherchent les réponses aux nouveaux enjeux de ces dernières avec des solutions intelligentes, ouvertes vers d’autres solutions, et capables de valoriser la donnée. TVH Consulting a ainsi créé il y a un an “un Lab Innovation”, basé autour de plusieurs grands axes : Intelligence artificielle, IoT, mobilité apps, Blockchain et informatique quantique. Ahmed Mahcer précise : « Il ne s’agit pas de monter un lab pour en monter un, mais de répondre à cette question : que peuvent et que doivent apporter ces technologies à notre cœur de métier qu’est l’intégration de solutions ERP, mais surtout à nos clients ? Nous travaillons sur des cas d’école concrets, qui commencent à se matérialiser. En décembre, lors de notre prochain événement “TVH User Club”, nous allons présenter à nos clients nos travaux et nos premiers pilotes réalisés. Autour de l’IoT, je peux d’ores et déjà vous dire que cela concernera le secteur coopératif agricole, autour de l’intelligence artificielle nos maquettes porteront sur le secteur chimie-pharma-cosmétique ».
« On va vers une direction financière ou supply chain augmentée, qui va avoir encore plus d’impact sur l’organisation. »
Patrice Barbedette
Automatiser et prédire
L’éditeur Cegid creuse des pistes similaires. Et cherche à s’ouvrir, par exemple, à l’IoT dans l’industrie et aux logiciels de gestion prédictive de maintenance, dont les informations peuvent être récupérées par l’ERP qui va assurer de son côté du prédictif d’organisation de la production. Une ou des machines vont tomber en panne ?, l’entreprise va pouvoir ainsi anticiper la réorganisation de la ligne de production. Des fonctionnalités très pointues vont aussi compléter l’ERP dans le domaine de l’intégration fiscale, sur des problématiques de consolidation, de gestion des immobilisations, des locations (une solution sur le point de sortir chez Cegid), etc. On comprend dès lors que l’une des premières priorités lorsque Cegid a réalisé l’acquisition de Qualiac était d’arriver à une fluidité parfaite entre l’ERP Qualiac et ses propres fonctions spécialisées. Nicolas Dalbignat, responsable des ventes nouveaux clients chez Qualiac, relève également des complémentarités entre son ERP et la gestion des flux logistiques, alors que Cegid a racheté en 2017 Cylande, éditeur de progiciels pour le retail. Ce qui permet de proposer aux entreprises du secteur une offre complète, de la comptabilité, à l’approvisionnement logistique, en passant par la gestion du point de vente et le parcours client, sans oublier la partie RH, avec une connexion à la suite Talents de Cegid.
Les entreprises demandent de plus en plus des fonctionnalités, des transactions ou des process qui intègrent de l’intelligence artificielle pour faire du prédictif, ou des bots pour automatiser les tâches répétitives comme la réconciliation de factures par exemple, explique Patrice Barbedette. Les directions financières ou supply chain ne veulent plus « vérifier les chiffres du passé et présenter les chiffres d’aujourd’hui », mais « être en capacité de prédire l’avenir et d’avoir un impact sur le business model », souligne-t-il. Il est aujourd’hui possible, donne-t-il en exemple, que la direction financière recommande ainsi à la direction des achats de proposer aux fournisseurs des délais de paiement plus courts, alors que la position en cash est bonne, en échange d’une remise.
Pour Oracle, l’intelligence artificielle « doit être partout dans la solution, dans la fonctionnalité où elle est pertinente, ou “fully embedded” ». Le schéma est valable aussi pour la Blockchain par exemple. La donnée y est toujours centrale dans la façon dont les solutions sont développées, et « c’est pour cela que nous avons embarqué l’IA en natif et que nous ne la traitons pas de côté ».
Chez SAP, et sa vision “Intelligent enterprise”, on pense d’abord que « toute adoption d’intelligence par le système commence par avoir les bonnes données prêtes à être utilisées et avec un accès facile », rappelle Arnaud Merlet. Comprenez le « in-memory computing, le traitement des données en temps réel, en mémoire vive, avec un niveau granulaire le plus fin ». L’automatisation des processus, sans valeur ajoutée, permet ensuite de repenser les processus eux-mêmes.
Interactions “naturelles”
Processus automatisés et algorithmes intelligents vont de pair avec des interfaces utilisateurs intuitives et innovantes. Une demande faite oralement en langage naturel sur un smartphone, ou par écrit sur une tablette tactile, et l’ERP communiquera sous forme de graphiques par exemple les données analysées nécessaires au responsable, un DAF ou patron d’une PME.
Chez certains éditeurs, on met ce volet en avant, comme chez Sage ou SAP. « A partir d’informations dictées à son smartphone, un artisan, alors qu’il se trouve chez un client, pourra automatiser l’élaboration d’un devis ou d’une facture », indique Fred Jaquet. Il voit un des futurs de l’ERP dans l’Edge Computing, c’est-à-dire le traitement des données au plus près de l’endroit où elles sont produites. Chez SAP où les recherches dans le domaine sont très poussées, « L’interaction avec le système doit être le plus naturel possible », indique Arnaud Merlet. Cela passe par la compréhension du contexte dans lequel se trouve l’utilisateur, avant l’interaction avec ce dernier. Avec le rachat en début d’année de Recast AI, une startup française, SAP se dirige vers « l’intelligence conversationnelle », que l’interaction en temps réel se fasse « via du texte, un chatbot, sur un écran ou pas, par la voix ». « Nous avons l’ambition de mettre sur le marché le premier “hands free ERP”, un ERP sans les mains », révèle ainsi Arnaud Merlet. « Nous avons également une solution qui permet d’interroger le système par écrit, via un stylet sur tablette : l’utilisateur écrit et interagit en temps réel avec le système, peut ensuite supprimer une colonne, faire un calcul complémentaire, etc. » Cette solution, actuellement en version bêta, et mise à disposition chez certains clients de SAP, sera, elle, bientôt commercialisée.